Portraits


Anne-Charlotte Amaury : Le champagne au féminin

Anne-Charlotte Amaury, 46 ans, PDG de Piper Heidsieck et Charles Heidsieck, depuis 1 an. Chez Charles Heidsieck, le mot d'ordre est exception et le but, élever une cuvée au rang d'œuvre d'art. Pour cela, il faut comme le préconisait Charles, le fondateur : sens de l'aventure, audace, et détermination". Une maxime qu'Anne-Charlotte Amaury met en pratique au quotidien.

Est-ce qu'enfant, le monde du commerce vous était familier ?

Pas du tout. Mon père était ingénieur, directeur d'usine et ma mère institutrice. Le monde publicitaire et la communication m'attiraient. Le marketing plus large et plus orienté "business" m'intéressait plus que la communication. J'ai donc choisi une filière assez ouverte, une école de commerce : Sup de Co Paris.

Pourquoi le marketing ?

Les fonctions rattachées à ce département demandent des qualités antinomiques. Assez vite on gère des marques, des comptes d'exploitation. Cela demande beaucoup de rigueur. Mais parallèlement je suis persuadée qu'il faut faire vivre une marque par l'innovation, la créativité. Il faut être capable d'ouverture et posséder une capacité à réinventer. 
J'apprécie de gérer une entité J'aime prendre une activité, la développer en agissant sur plusieurs paramètres. Il faut une capacité à impacter et avoir très concrètement la vision de son travail. Je trouve que ces fonctions préparent bien à la direction générale.

Vous avez démarré chez Procter et Gamble ?

Oui. J'y ai passé 4 ans et puis j'ai rejoint Danone, un groupe alimentaire énorme où je suis restée 20 ans. Je suis passée par le marketing, la communication puis la direction générale, les départements produits frais, ketchup, bière, eau. Je suis passée de chef de produit à directeur général puis directeur de stratégie pour "les eaux monde". J'aime les postes opérationnels, concevoir un plan, le mettre en application et voir les résultats.

La gestion est-elle identique pour le champagne ou la lessive ?

Oui et non. Il y a des marchés comme l'épicerie ou les produits frais qui doivent être traités de façon très rationnelle.
Par contre le marché de l'Eau est limite... comme des produits de luxe. On doit agir sur l'imaginaire. En fait le marché de la grande consommation est plus proche du luxe qu'on ne pense.

Pourquoi avoir choisi de travailler chez Rémy Cointreau ?

Je suis venue d'abord pour une personne, Jean Marie Laborde. Je voulais travailler avec lui d'abord. Et puis le segment m'intéressait. Il est situé entre le luxe et la grande consommation. Paradoxalement les marques de mode prestigieuses m'intéressent moins car je pense que les directeurs généraux y sont plus des financiers que des créatifs, la création étant laissée à des artistes.
Dans les alcools la dimension "image" est importante et la créativité est prise en charge par la société, elle-même. Le marché et la personne avec qui j'allais travailler m'intéressant, je suis entrée chez Rémy Cointreau pour prendre en charge la branche Champagne.

Il y a aussi des "artistes" dans le Champagne, pour créer une cuvée, ciseler un millésime. Quels sont les rapports entre les artisans et les financiers? Chacun a-t-il une place déterminée ?

Oui. On part de contraintes : Nous (les financiers) déterminons des objectifs. Nous voulons pour Charles Heidsieck, par exemple, être dans le top, avoir une cuvée avec de la personnalité, le vieillissement en cave... Ensuite c'est à eux, les "artistes"  de le réaliser.
Ce que j'aime chez Rémy Cointreau, c'est le respect de la qualité dans le travail, l'équipe. J'ai la chance de travailler avec des artistes qui ont un vrai talent.

Etes-vous en tant que femme satisfaite de votre parcours professionnel ?

Au final, en tant que femme je suis arrivée, à la longue, à des postes intéressants mais pas particulièrement vite. Je ne suis pas très politique, je suis une travailleuse. Et enfin de compte, c'est le travail qui a payé.
Pour les femmes, il faut toujours travailler dans la soute plus longtemps que les hommes, il faut plus prouver. Rien n'est acquis d'avance, même aujourd'hui.

Et sur le plan personnel ?

Je suis mariée et j'ai une fille de 11 ans, Lou. C'est compliqué, pas toujours facile à gérer parce que je suis à cheval sur Reims, Paris et le Japon, mais je n'ai pas fait quatre enfants non plus.
J'ai la chance d'avoir un mari excellent qui, à des moments était beaucoup plus occupé que moi et qui maintenant peut s'occuper davantage de Lou.
J'élève ma fille en suffragette! (rires) Je crois qu'elle comprend qu'une femme indépendante, qui travaille, est dans une situation qui finalement présente beaucoup d'atouts.

Février 2006
Par Véronique GUICHARD