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La ballerine Ferragamo

Durant toute la seconde moitié du XXe siècle, l'histoire de la marque Salvatore Ferragamo a beaucoup croisé celle d'Hollywood : de Rita Hayworth à Marylin Monroe, le chausseur italien a habillé les pieds des actrices les plus célèbres. Mais c'est pour Audrey Hepburn qu'il a créé le modèle qui deviendra le plus représentatif de la maison : la ballerine. Gros plan sur un modèle culte.
Certaines chaussures participent plus que d'autres à l'histoire des marques qui les ont créés et commercialisés, et la ballerine dessinée pour Audrey Hepburn est sans doute, avec la Chanel bicolore - encore une ballerine - la plus célèbre entre toutes.
Très à la mode durant toutes les années 60, elle est aujourd'hui rééditée et compte, grâce à une belle variété de déclinaisons, parmi les modèles phares de la maison. Jeux de couleurs et large choix de peausseries ont marqué son histoire.


Naissance en 1954

Déjà célèbre à Hollywood où il compte parmi sa clientèle les plus grandes stars du cinéma américain, acteurs et actrices, Salvatore Ferragamo se voit distingué en 1947 par le Neiman Marcus Award - véritable Oscar de la Mode américain - pour sa "sandale invisible" en fil de nylon. C'est la première fois que cette distinction honore un créateur de chaussures, et elle ajoute une pierre supplémentaire à l'édifice prestigieux bâti par Ferragamo depuis des années. La griffe est désormais incontournable dans la cité du cinéma, et ailleurs. Et c'est la rencontre avec une star hollywoodienne encore en devenir à l'époque, qui va donner naissance au modèle le plus célèbre de la maison pour les cinquante ans à venir. En 1954, récemment récompensée d'un premier oscar pour sa prestation dans Vacances Romaines, Audrey Hepburn, de passage en Italie, fait un détour par Florence pour y rencontrer le chausseur du tout Hollywood. L'actrice a tout juste 25 ans, et la beauté pure et fraîche qui fera d'elle la star que l'on sait. Le courant passe tellement bien entre l'actrice et le chausseur, que celle-ci passe commande d'une ballerine sur mesures.
Le trait de caractère le plus marquant du modèle doit être une grande pureté de ligne, une silhouette fine et épurée. Caractéristiques esthétiques auxquelles le chausseur entend bien ajouter la qualité et le confort qui sont aussi ses marques de fabrique. La chaussure qu'il livre est pourvue d'une bride et fermée par une boucle, et présente un "talon pastille", de forme circulaire.

Le modèle devient immédiatement un best-seller, en Italie d'abord mais aussi et surtout à l'échelle internationale : dans le monde entier les élégantes veulent leur paire de ballerines Ferragamo pour adopter une tenue chic et détendue une fois l'été venu. Le casualwear avant l'heure, adapté à la chaussure... Coordonné à la mode de l'époque, le modèle se porte pour accessoiriser des pantalons serrants qui épousent comme une seconde peau fesses et mollets : le "style Capri" est né. La silhouette ainsi constituée devient le must have de cette fin des années cinquante, synonyme de bon goût et d'élégance discrète. La chaussure que l'on appelle improprement "ballerine Audrey Hepburn" (jamais la maison n'a revendiqué ni utilisé cette appellation, et le précise aujourd'hui encore) connaît un succès mondial immédiat auquel personne à Florence n'aurait osé rêver, et qui ne se démentira pas jusqu'à l'arrêt de production du modèle pour cause de renouvellement de collection, en 1965.
Entre-temps devenue star et amie de Salvatore Ferragamo, Audrey Hepburn devient naturellement l'ambassadrice de la maison. De sa célèbre cliente le chausseur dira : "Les pieds fins et longs d'Audrey, un 7-AAA, sont parfaitement adaptés à sa silhouette. C'est une véritable artiste, une véritable aristocrate. Audrey est toujours naturelle, maîtresse d'elle-même, qu'elle travaille ou achète une paire de chaussures ou un sac".


Rééditée en 1999

Trente ans plus tard, la marque Salvatore Ferragamo est devenue une enseigne mondialement connue, et sa clientèle s'est élargie très loin au-delà des cercles hollywoodien, romain et florentin. En 1999, elle dédie l'exposition "A woman, the style" à la mémoire de sa célèbre ambassadrice, décédée en 1993. Celle-ci est organisée au Palais Spini, dont le bottier a fait l'acquisition en 1938 et qui abrite aujourd'hui le siège et le musée de l'entreprise. De Florence, l'exposition partira pour la France, la Chine, le Japon et l'Australie, rappelant les liens intimes qui unirent l'actrice et la maison. Pour commémorer l'événement, Ferragamo réédite la ballerine, déclinée dans une variété de versions inexistante dans les années soixante. Le modèle se trouve ainsi proposé, notamment, en cuir rouge, et habillé de coquillages colorés. Toujours aussi élégante, et définitivement intemporelle, la silhouette est inchangée, de même que la semelle à talon pastille. Une nouvelle fois, le succès est au rendez-vous : malgré un prix supérieur à ceux de nombre de ballerines sans nom alors sur le marché, le modèle s'arrache. Encouragé par ce nouveau succès, bienvenu à une époque où le commerce est incomparablement plus difficile qu'il y a quarante ans, Ferragamo renouvelle depuis lors chaque année sa ballerine culte, la parant saison après saison de nouvelles robes de couleurs. On la découvre ainsi en corail, en jaune, en vert, et le cuir lisse de la version originale se voit complété de peaux plus marquées, veau grainé, veau-velours (improprement appelé "daim") et python. Ces nouvelles matières et nouvelles couleurs permettent à ce modèle sans âge d'être aujourd'hui comme hier parfaitement de son temps, et de chausser avec le même bonheur la jeune fille de 17 ans que la femme cinquantenaire. Sacrée prouesse.



Pascal BOYER



                                                                                            Cet article est paru dans ENJOY n°1 
                                                                                                        
Septembre 2006