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Jean Paul Barbier Mueller : Collectionneur sans frontières

Une centaine de pièces de la plus grande collection privée au monde d'arts africains, océaniens et précolombiens, s'expose au musée Jacquemart André.

« C'est l'objet qui vous attire...»


Ainsi Jean Paul Barbier Mueller justifie-t-il son choix d'œuvres issues des 4 continents. Des pièces aussi exceptionnelles par leur qualité que leur diversité tant il semble que le collectionneur soit une sorte de seigneur chaussé de bottes de 7 lieux qui lui permettent de parcourir en accéléré les continents dans sa quête infinie.

« J'ai toujours collectionné commençant par les silex, les minéraux, les fossiles. A 13 ans j'étais un grand lecteur. J'étais en Suisse, et enfant unique, je m'ennuyais ». Jean Paul Barbier commence une collection de livres. « Tous les collectionneurs disent qu'ils ont commencé tôt. Moi j'en ai la preuve. J'ai obtenu ma première dédicace le 17 octobre 1943. Les livres sont ma première grande passion, ma passion secrète. J'achète un livre mu par une curiosité extraordinaire. Pour l'objet je me laisse aller au coup de cœur. »

Il existe un dénominateur commun entre les œuvres acquises par le collectionneur et exposées tant au musée Jacquemart André, qu'au quai Branly, ou à Genève : leur extrême finesse, leur beauté. Les objets ne représentent pas seulement le témoignage d'une autre civilisation, une sorte de vision panoramique, de reconstitution d'une société. Non, toutes expriment la même recherche esthétique. Jean Paul Barbier Mueller explique : « La collection Barbier Mueller a eu 100 ans en 2007. J'ai ouvert le musée de Genève en 1977, celui de Barcelone il y a 10 ans (le fond d'œuvres d'art pré colombien est prêté jusqu'en 2015). C'est ainsi que j'ai pu éprouver le dilemme entre le collectionneur et le directeur de musée. Parfois le directeur arrive à persuader le collectionneur de la complémentarité d'une œuvre qui s'impose désormais au milieu d'autres. »

Une influence décisive : Joseph Mueller son beau père

Le père de sa femme Monique est né en 1887 en Suisse alémanique. Orphelin de père et de mère il vivait avec ses 3 sœurs. Les enfants Mueller avaient hérité la manufacture de pièces d'horlogerie familiale. Ils en tiraient quelques revenus qu'ils dépensaient parcimonieusement. Le père de son meilleur ami, Oskar Miller, collectionnait la peinture contemporaine. Dès 1905, Miller possédait un portrait de Picasso« Fernande ». « Mon beau père était tombé en arrêt devant cette toile. A 20 ans, il recevait son héritage. En 1907 achetait son premier tableau. L'année suivante il allait à Paris chez Ambroise Vollard le célèbre marchand d'art et s'extasiait : « j'ai découvert Cézanne le plus grand peintre du moment ». L'enthousiasme du jeune homme émeut le marchand qui lui promet de ne pas renchérir lors de la vente du tableau à Drouot. « Et Josef réussit à acquérir ce tableau qui est toujours dans mon salon ».


En 1918,Josef acquiert 6 Picasso et 7 Matisse et se passionne pour l'antiquité. De 1938 à 1942 il se fixe à Paris et achète Leger, Rouault, Max Ernst. Il vit à Montparnasse dans un atelier pourvu en guise de confort d'un lavabo en étain alimenté en eau froide. Les toilettes sont dans la cour. « Imaginez comment il pouvait recevoir ses petites amies ». Là, il voisine avec de Staël. En 1942 il retourne en Suisse avec ses tableaux et ne cesse d'acheter toute sa vie. « C'était un personnage très balzacien, une sorte de père Goriot » qui ne possédait pas de voiture, peu de liquidité. « Il n'a rien donné à ma femme de son vivant excepté le fameux tableau de Marx Ernst « la forêt enchantée » que l'artiste considérait comme son chef d'œuvre et qui nous a valu jusqu'à sa mort en 1976 d'être persécutés par lui chaque fois qu'une exposition lui était consacrée. Je n'ai jamais vu Max Ernst mais il commençait toutes ses lettres par un : cher Jean Paul, Accepteriez vous de prêter la «Forêt »... »
(A sa mort en 1977, Josef Mueller laissait 2500 œuvres africaines et océaniennes outre un millier de peintures)

En quête de la perfection

« Je collectionnais depuis mon enfance. J'avais des petites Tanagra un peu moches, des lampes étrusques ». Il épouse Monique la fille unique de Joseph en 1955. « Avec Josef Mueller j'ai découvert la recherche du meilleur. Toute ma vie j'ai connu des problèmes de liquidités. Quant à Josef, il a légué à ma femme sa collection et...des dettes. »
On ose à peine demander à Jean Paul Barbier Mueller quelles sont les œuvres préférées de sa collection, on risque timidement : « ... une question très difficile sans doute, un peu comme si on demandait à une mère lequel d'entre ses enfants elle préfère » lui : « oui je suis exactement comme une mère. Tous ces objets sont mes enfants je remarque que celui-ci est plus affectueux, celui là meilleur juriste, cet objet est plus fort. J'ai 3 enfants et 11 petits enfants. Je leur ai donné très tôt un conseil. Vous nous aurez en vie votre mère et moi au moins jusqu'à vos 50 ans. Alors soyez indépendants, créez votre entreprise. Ce qu'ils ont fait. Et ils collectionnent aussi : Jean Gabriel possède la plus belle collection de casques et masques japonais en bronze du monde, Thierry est un monomaniaque de la peinture strictement contemporaine qu'il acquiert dans le secret le plus total. A 20 ans il a acheté 2 Baselitz. Stéphane passionné d'histoire de France collectionne dans une grande discrétion... »
« Qu'est-ce qui constitue la personnalité d'un collectionneur ? » Se risque-t-on à demander
« Mais c'est un gène évidemment ! Mon beau père était collectionneur, ses sœurs aussi, ma femme a hérité de ce gène mes 3 fils aussi... »

L'art du partage

« Et cette générosité qui vous fait offrir. Vous avez vendu 500 œuvres d'art au Louvre assorties d'un don de 500 autres... »
« Quand vous voyez 130 000 visiteurs accourir au musée chaque mois et que vous possédez au fond d'un tiroir une vannerie Pomo (merveilleux objets de vannerie recouverts à l'extérieur de fine plumes), vous vous dites que c'est scandaleux ». Jean Paul Barbier Mueller apprend que le musée ne possède aucune pièce de ce type qui atteint des prix exorbitants sur le marché de l'art. Il appelle Stéphane Martin, directeur du Musée duquai Branly.
« Je passerai chez vous, convoquez votre américaniste ». Il se rend au musée et sort la vannerie. Les deux muséologues s'extasient
« Quelle merveille »
« Il est à vous à condition de le placer tout de suite dans une vitrine »
« Mais nous devons d'abord le traiter contre les mites »
« Il est depuis des années dans un tiroir protégé par la naphtaline et s'il avait du s'abimer, ce serait déjà fait ».
On lui parle d'un cadeau qu'il a fait à Jacques Chirac en son temps, un ivoire inuit.
« Ca devait être en 2004 juste avant la petite attaque de Chirac. Alors ma générosité... Vous savez, j'en ai encore une plus belle à la maison ! » conclu-t-il malicieusement.

Une question nous hante : ne sommes nous pas en train de piller les richesses artistiques africaines ? Comme averti de nos interrogations, Jean Paul Barbier Mueller cite son ami le sculpteur sénégalais, Ousmane Sow « Surtout ne renvoyez pas les œuvres d'art en Afrique, vous signeriez leur perdition ! ». Avec les termites, ajoute-t-il les objets sont rongés en 30 ou 40 ans. Et ensuite, on les remplace... »


Une collection de plus de 7 000 pièces

« Dans toute collection il y a une Joconde. Le sceptre au cavalier d'Ifè(Nigéria) est la Joconde des Barbier- Mueller ». Et il raconte l'histoire incroyable de cet emblème du pouvoir en alliage de bronze, surmonté d'une statuette en forme de cavalier.
« Voyez vous, les gens aiment reconnaître. Ils ne souhaitent pas découvrir : Un jour alors que j'étais à Paris un antiquaire me contacte et me propose d'acquérir ce sceptre me précisant que je devais me prononcer rapidement sur photo et décider si l'objet m'intéressait pour le faire revenir de New York où il l'avait proposé au Met. Je ne connaissais aucun autre objet de ce type et décidais de refuser l'offre d'autant que le prix demandé était exorbitant. Mais il me hantait je ne pouvais l'oublier ».
Un jour mu par une soudaine inspiration, Jean-Paul Barbier Mueller appelle une conservatrice du Metropolitanmuséum de New York et l'interroge :
« Cet objet est-il très lourd ? »
« Pas tellement » lui répond son interlocutrice. Son intuition est peut-être fondée.
« Donc le corps du cheval est certainement creux ce qui signifie que l'objet a été produit à la cire perdue et que l'on peut y trouver des résidus de terre. Percez les flancs du cheval prélevez et envoyez le tout à Princeton pour passer un test de luminescence ».
Le résultat est sans appel. Le sceptre a été fondu entre le XII° et le XIII° siècle, à Ifè le lieu même supposé de la création du monde par le dieu Oduduwa. La civilisation d'Ifè était alors à son apogée, capable de produire des œuvres d'une finesse et d'un raffinement sans égal. « J'ai acheté le sceptre après avoir vérifié les autorisations de sortie ».
« Mais comment avoir pu le souffler à la barbe d'une institution telle qu'un musée américain ? »
« J'ai été plus rapide ! Le Met est une administration lente comme toute ces entités ».

Parmi les trésors exposés on remarquera le masque Pebood utilisé au Gabon pour soulager les tensions sociales, le trophée du meilleur cultivateur ivoirien , l'objet force du Congo au corps hérissé de clous, le masque double aux deux jumeaux ivoirien, la statuette d'homme pathologique (est-ce un goitre, une tumeur ?) de l'île de Pâques. Plus incroyable : le masque Lorr des îles de l'archipel Bismarck, face d'Auguste barrée d'une large bouche. Celui-ci a été acheté à un musée de Budapest au temps où il se souciait peu de conserver ses collections...*

Damienne Ettori-Schilton


Mai 2008

Jusqu'au 24 août 2008

Musée Jacquemart-André

158, boulevard Haussmann.
75008 Paris
T : 01 45 62 11 59



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