Gastronomie


Tabacalera de Garcia La plus grande manufacture du monde !

Trente ans d'épopée industrielle et financière ont fait de la manufacture de la Romana en République Dominicaine, la première fabrique de cigares premium du monde.
La floraison du Cibao

Premier producteur mondial de cigares de luxe depuis 25 ans, la République Dominicaine s'est imposée à la faveur du blocus américain sur Cuba et de l'impatience consécutive des Américains en rupture de stock de pétards taïnos.
Connu depuis la conquête espagnole (cf. L'Officiel du Cigare “Spécial terroirs”), mais éclipsé par la gloire de la Vuelta Abajo (Cuba), le terroir dominicain de la vallée du Cibao ne disposait jusqu'à la révolution castriste, d'aucune manufacture de cigares, sinon de petites unités locales tenant plus du “chinchal” (fabrique familiale artisanale) que de la manufacture.
Les grandes feuilles d'olor dominicano étaient exportées vers les fabriques américaines ou européennes (Hollande, Allemagne, France, Espagne) qui les utilisaient en assemblage pour des cigares de grande production, sans valoriser l'appellation d'origine. Ainsi les amateurs Français du début du 20ème siècle connaissaient les “Saint Do” comme des cigares populaires, de bonne qualité, sans comparaison avec les raffinés et affirmés havanes.
Quarante années de stupide embargo ont changé la donne en offrant l'opportunité à l'île de Saint-Domingue, une fois le dictateur Trujilllo éliminé et une stabilité politique retrouvée, de naître au monde du cigare de luxe sous l'impulsion énergique de régisseurs de plantation, d'agronomes, de fabricants Cubains et Américains, et surtout, de semences cubaines. Car l'introduction, dans les années 60, d'une semence originaire de la zone de Piloto dans la Vuelta, a donné naissance au très dominicain “piloto cubano”. Ce qui ouvrit des possibilités d'assemblage (mais aussi de croisements avec l'olor dominicano), qui apportèrent la complexité gustative qu'on est en droit d'exiger d'une fumée de haut vol. Ces possibilités sont loin d'être épuisées aujourd'hui, et les fumeurs suivent in vivo depuis 30 ans, la floraison du Cibao.

Une histoire singulière, marquée par l'esprit d'entreprise américain

L'histoire de la Tabacalera de Garcia illustre à sa manière la naissance et le développement exponentiel de l'industrie cigarière dominicaine. Une histoire singulière, marquée par l'esprit d'entreprise américain, avec ses rebondissements financiers et industriels.
Ces acteurs en sont, dans l'ordre d'apparition :

  • Consolidated Cigars Corp.
    Une vieille compagnie américaine, fondée en 1918 par Julius Lichtenstein, importateur aux Etats-Unis de tabacs de Sumatra, qui racheta successivement six fabriques artisanales de Tampa Florida et d'ailleurs, pour donner à l'ensemble le nom martial de Consolidated Cigar Corp.
    La compagnie développa son réseau de distribution à travers les Etats-Unis et s'appuya sur la marque “Dutch Masters” pour racheter ensuite El Producto, un cigare “clear havana” (qui signifiait à l'époque : cigare fait en feuilles de Cuba mais fabriqué en Amérique du Nord), dont l'acteur américain George Burns fut le grand promoteur. Il fut remercié ensuite par la création d'une marque à son nom. A la fin des années soixante, la Consolidated Cigar Corp. intéressa beaucoup le puissant conglomérat Gulf and Western Inc. en la personne de son maître le natif Australien Charles Bluhdorn qui vient alors de revendre des affaires dans le métal et d'acheter la Paramount Picture. Gulf and Western prend le contrôle de Consolidated Cigar Corp. en 1968.

  • Charles Bluhdorn dit "Charlie"
    Charles Bluhdorn que certains proches décrivent comme mégalomane, coléreux et malpoli (Cf. le livre d'Evans “Work in Progress”) était un vrai capitaliste hollywoodien qui avait bâti sa fortune sur le sucre. En 1967, il venait d'entrer au cinéma avec la Paramount (dont le logo représente un golfe et des montagnes de l'ouest (Gulf and Western), mais aimait toujours jouer avec le sucre. Dans les Caraïbes, il contrôlait plusieurs plantations de cannes à sucre dont une de 240.000 acres (100.000 hectares ! ) en République Dominicaine entre la Romana et Punta Cana. Amoureux du coin, il s'y fit construire une maison qui est devenue aujourd'hui un état dans l'état sous le nom de Casa de Campo, l'une des plus chic résidences de vacances des grands de ce monde et de Holly-wood en particulier. C'est là qu'il fit construire, pour sa fille passionnée de Beaux-Arts, une reproduction d'un village italien du 16ème siècle : Altos de Chavon.
    Les raisons pour lesquelles Bluhdorn acheta Consolidate Cigar Corp. en 1968 sont financières et passionnelles. Le marché américain du cigare était vacant, il y avait du tabac à Saint-Domingue. Propriétaire de la zone franche de la Romana et disposant d'une main-d'œuvre très peu chère, il saisit l'opportunité d'y établir un centre de fermentation de feuilles de cape qui pouvait consolider la Consolidated Group Corp., laquelle possédait des tapados dans le Connecticut, une fabrique de cigares machines à Puerto Rico, et venait d'acquérir Moro Cigars à Miami avec sa marque de fabrique “Primo del Rey” ainsi que ses créateurs : la famille Junco, exilée de Cuba.
    Le cigare fait toujours rêver les capitalistes. Mais la passion était surtout pour Saint-Domingue cette terre presque vierge, son peuple accueillant, ses travailleurs bon marché, et ses plages magnifiques. D'ailleurs, “Charlie”, que beaucoup considèrent comme le père du tourisme en République Dominicaine (il lance le développement de la côte la Romana-Punta Cana), se voyait, plus tard, décrocher doucement des affaires dans sa Casa de Campo avec quelques cigares à offrir aux amis.
    En 1970, Consolidated Group Corp. alors aux mains de Bluhdorm déplace donc Moro cigars de Miami pour l'installer près des feuilles dans la zone franche de la Romana. La manufacture qui ne s'appelle pas encore Garcia, naît.
    Un jeune ingénieur industriel dominicain y est embauché pour veiller à la qualité de l'organisation : Jose Seijas, aujourd'hui directeur général de la Tabacalera de Garcia. Les analystes financiers considère que l'achat de Consolidated Group Corp. par Gulf and Western donna à la compagnie une “corporate culture” de multinationale.

  • Pepe Garcia
    Pepe Garcia est le personnage, dont l'entrée en scène au début des années 70, donnera son nom à la manufacture, et à quelques marques d'origine cubaine à fort imaginaire ajouté, qui contribueront à faire de la Tabacalera de Garcia à la Romana la plus grande manufacture de cigares du monde.
    Car Pepe est, à cette époque, un cigarier exilé (Cubain), anciennement propriétaire avec Menendez (créateur de Montecristo) de la fabrique Upmann à la Havane, nationalisée par la Révolution.
    Pepe Garcia s'est installé aux Canaries où il a créé la CIT. Il produit les marques Montecruz (copiée sur la marque de son ancien associé Menendez), Don Diego (marque d'origine cubaine), Flamenco et Don Marcos.
    L'enjeu que représentait alors l'utilisation des marques cubaines (propriétés industrielles des exilés) sur le marché américain, donne à Pepe Garcia, en plus de son savoir-faire de cigarier, un potentiel commercial sujet à convoitise. Consolidated Group Corp. se rapproche de lui pour le soutenir dans ses recours auprès de la justice espagnole en matière de propriété des marques H.Upmann et Montecristo face à leurs jumelles nationalisées par Fidel. Approche amicale et stratégique. Puis en 1972, Consolidated achète la CIT et Pepe, et récupère les droits d'utilisation des deux prestigieuses marques cubaines sur le marché américain. Aux Canaries, la CIT de Pepe développe sa production rapidement, grâce à la mécanisation de la confection des poupées en usage aux Canaries, et au performant réseau de distribution de Consolidated Group Corp. qui diffuse les cigares à travers les Etats-Unis.

    La Main-d'Oeuvre

    A cette époque, la Gulf and Western Inc. de Bluhdorn hésite sur la question de la main-d'œuvre. Le cigare de luxe peut-il être fait avec des machines ? Le prix du cigare aux Etats-Unis tournait autour de 2 dollars et le marché demandait du volume. Or pour un joueur du sucre comme Charlie, habitué à la misère des coupeurs de cannes, la main-d'œuvre est toujours trop chère. D'abord, il pousse à la mécanisation et introduit, en 1978, des machines à poupées à la Romana. La marque “Primo el Rey” se dévalorise peu à peu. Consolidated en souffre, car le “hecho a mano” permet seul de ne pas broyer les feuilles et de donner toute sa qualité au cigare.
    En 1982, le prix de la main-d'œuvre augmentant aux Canaries, Gulf and Western somme Consolidated Group Corp. de fermer CIT et de transporter sa production à la Romana où la manufacture prend le nom de Tabacalera de Garcia. Mais la mécanisation a terni l'image de la fabrique et n'engendre que des cigares de médiocre qualité alors que la concurrence se fait vive sur le marché américain où d'autres manufactures de Saint-Domingue ou du Honduras réveillent le goût du cigare de luxe. Bluhdorn est dépassé. Il meurt, en 1983, d'une crise cardiaque en avion entre la Romana et New York. Et, Kissinger assiste à ses funérailles.
    Gulf Western revend aussitôt Consolidated Group Corp. à cinq de ses managers qui ne parviennent pas à s'entendre et revendent, un an plus tard, à Mac Andrews and Forbes Holdings Inc. Cette holding qui réunit Revlon et des télévisions américaines a pour Chairman Ronald Perelman qui fut qualifié en 1989 par le Wall Street Journal de “Corporate raider”.

    La Tabacalera de Garcia

    Incontestablement Ron Perelman réagit alors en fumeur de cigare. Cet ancien joallier fit sa fortune en achetant et revendant des sociétés en bourse, tout en fumant le cigare. Dès sa prise de contrôle, son objectif étant de valoriser l'affaire, il s'entend avec trois des managers de Consolidated Group Corp. qui souhaitent faire de la Tabacalera de Garcia une manufacture de cigares de luxe avec une qualité de production digne du prestige des marques récupérées : H. Upmann et Montecristo.
    Jose Seijas (qui devient General Manager de la Tabacalera ), Theo Folz, directeur général de Consolidated Group Corp. et Richard Di Meola, décident de mettre au rebut les machines et de remettre tous les premium en fabrication “a mano”. A charge pour Jose d'organiser la production et la formation afin d'obtenir à la fois la qualité, la productivité, et une main-d'œuvre qualifiée.
    Le tournant est pris : les hommes de Consolidated Group Corp. soutenus par le “Corporate raider” fumeur de cigares, ont les mains libres pour développer.
    La difficulté consiste à mettre au point une organisation du travail qui permette d'obtenir le plus rapidement possible de mains, même novices, qu'elles roulent des cigares sans défaut de tirage et d'une régularité parfaite.
    Jose Seiras, fort de son expérience auprès de Pepe Garcia aux Canaries de 1978 à 1984 où il avait été envoyé, propose alors, qu'à la différence de Cuba où chaque cigare est roulé et capé par un seul torcedor et le contrôle de qualité effectué en sortie de galère, qu'on sépare la confection de la poupée et le roulage dans la cape, en deux postes de travail : un bonchero pour rouler la tripe dans la sous-cape, un roller pour rouler la poupée dans la cape. Ainsi un contrôle de qualité peut être effectué entre les deux postes.
    L'atelier fut donc divisé en deux.
    Chaque côté dédié à l'une des opérations et le contrôle, effectué au passage d'une section à l'autre, permit de ne plus gaspiller les feuilles de capes qui sont les plus chères. Pour raccourcir le temps de formation des tabaqueros chargés de rouler la poupée (boncheros), ils conçurent de larges rouleuses manuelles pour cigare, baptisées "flip flap", fonctionnant sur le principe des rouleuses individuelles de cigarettes : les feuilles de tripe sont disposées dans le sillon d'un manchon de caoutchouc flottant entre deux rouleaux parallèles qui entraînent et enroulent la feuille de sous-cape autour de la tripe pour former le cylindre de la poupée. La pression sur les feuilles est homogène au roulage et le bourrage peu fréquent. L'année suivante (en 1985) l'objectif zéro défaut au tirage amena les ingénieurs de la Tabacalera de Garcia à inventer ces petites machines de contrôle par succion qui ont conquis depuis le monde du cigare jusqu'à Cuba (cf. la Nouvelle Upmann à la Havane). Ainsi le tirage de 100 % de la production put, durant plus de dix ans, être testé systématiquement.
    De 35 % de rejets enregistrés au début de la réorganisation en 1985, la Tabacalera atteint 9 % en 1996, alors que la production explose et que le nombre de tabaqueros employés est passé de 400 à 1.600.
    Mais entre-temps Ron Perelman, qui avait acheté quelques banques et vu son ami le golden boy Milken partir en prison, eut besoin de liquidité et revendait, en 1988, Consolidated au LBO Fund (fond de pension ?), pour la racheter en 1993 (montée du boom), 40 % plus chère sans que rien n'ait changé dans l'organigramme, ni dans les objectifs de production et de qualité de la Tabacalera de Garcia. C'est à cette époque que Consolidated Group Corp. rachète la marque mexicaine Te Amo et la Royal Jamaica. Fidèle à sa passion de la finance, Ron joue sur la bulle spéculative et l'engouement des Américains boursicoteurs pour le cigare, pour lancer des actions Consolidated sur le marché public. Ce qui lui permet de réaliser de substantielles prises.

    SEITA

    La sortie de Ron Perelman coïncide avec le tassement du boom américain du cigare, et les vastes mouvements de concentration qui en résultèrent dans l'industrie cigarière mondiale.
    En France, la privatisation du vieux monopole des tabacs fut menée au pas de charge par Edouard Balladur et Jean-Dominique Comoli. L'énarque à la main de fer (ou plutôt de fibre de carbone) évacue l'oligarchie polytechnicienne qui régnait sur une industrie politiquement et budgétairement protégée, signe la préretraite des machinos, et transforme le vieux Titanic napoléonien en un catamaran financier capable de traverser les océans à la course, dans le mouvement général de la mondialisation. Homme de pouvoir, pilote discret et performant, il introduit la “Corporate culture” à la SEITA et crée la surprise courant 99 en rachetant Consolidated pour un montant qui relève de la macro-économie, six mois seulement avant d'annoncer la fusion de l'antique Régie des Tabacs avec sa sœur jumelle espagnole la Tabacalera. Altadis naît au rang de quatrième plus grande compagnie mondiale de tabac. Le rachat en 2 000 de plusieurs autres compagnies cigarières américaines (Havatampa, Holco Rorh ...) et l'achat de 50 % d'Habanos aux Cubains cette même année, placeront la jeune multinationale au rang de premier producteur et distributeur mondial de cigares de luxe.

    La Tabacalera de Garcia d'Altadis

    A la faveur de la prise de contrôle par Altadis, dont le directoire est à Madrid (le cigare manufacturé reviendrait-il, aux Espagnols qui l'inventèrent dans leurs manufactures royales de Séville au 18ème siècle ?), notre Tabacalera de Garcia récupère des marques espagnoles de cigares de luxe comme Vega Fina ou françaises comme Pléiades, et prend place au sein d'une entité mondiale dédiée au cigare et pas uniquement à la finance. Les marchés européens lui sont ouverts, et la concurrence avec les havanes étant sous contrôle (50 % de Habanos), des perspectives de développement et de distribution inédites s'offrent.
    Pour Jose Seijas, le cigarier dominicain plus que jamais aux commandes de la plus grande manufacture du monde, l'objectif reste le même : “ produire les cigares les mieux faits du monde à un prix raisonnable. Sans jamais perdre en qualité ”.
    Trois mille personnes travaillent aujourd'hui à la production “a mano” à la fabrique de la Romana et 1 % seulement des cigares sont recalés pour défauts de tirage ou de facture. Les contrôles de qualité du produit étant intégrés à chaque étape de la production et la fourniture de tabacs dominicains de haut grade garantie par la famille Mendez (cf. Club Cigare n°22), la Tabacalera de Garcia vise désormais la motivation du personnel et son implication dans la qualité des cigares.
    Au croisement des cultures américaines, espagnoles, françaises et cubaines du cigare, l'avenir sourit au manager dominicain, qui entra comme ingénieur qualité il y a 30 ans : "j'aime vérifier chaque jour que notre qualité s'améliore, développer la formation, et que tout le monde puisse constater que cette direction convient à tous les employés de la Tabacalera de Garcia ”. Un souci des ressources humaines et de la qualité des conditions de travail que l'ouverture de la manufacture aux visites, le mardi et le jeudi de 10h à 14h, sous l'autorité de la compétente Claudia Adams, ne peut que valoriser.
    Cet article est paru dans
    Club Cigare
  • Juin 2004
    Par Yves BELAUBRE
    Tabacalera de Garcia
    Visite sur rendez-vous :
    accès limité. Tél. : (809) 556 3345/2127, Claudia Adams.