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La collection des laques merveilleuses de Marie-Antoinette

Dans ses mémoires Madame de Boignes décrit avec une poignante nostalgie sa dernière rencontre avec Marie-Antoinette. L'époque et son style, que cette reine avait fortement marqués, étaient dans leur ultime déliquescence.
Madame de Boigne, alors petite fille, avait remarqué que la Reine était habillée en Colombine. La dernière Reine de France espérait-elle encore que la marche des Parisiennes en colère sur Versailles le 5 octobre 1789 fut une farce passagère ? Certainement pas, et la preuve en est qu'elle prit alors en toute hâte, mais avec circonspection, ses dispositions pour sauver les précieux objets dont elle aimait à s'entourer dans ses appartements privés. Ils tenaient en sept caisses. la sixième était entièrement consacrée à une extraordinaire collection de laques japonaises...
Une collection conçue par une femme pour une femme

C'est la première fois que cette collection unique est entièrement présentée et désormais accessible grâce à Monika Kopplin et son livre : "Les laques du Japon. Collections de Marie-Antoinette" publié par les éditions de la Réunion des Musées Nationaux (RMN).
Dans cet ouvrage savamment conçu et élégamment écrit, la directrice du Museum für Lackhunst de Münster déploie sous nos yeux l'un des plus beaux ensembles de cette sorte en occident, une magnifique collection d'une soixantaine de pièces exceptionnelles, conçue par une femme pour une femme.
La majeure partie de ces boîtes, écritoires, enscensoirs et coffrets, des pièces rares à l'esthétique d'une délicatesse et d'un raffinement extrêmes provenait du legs de l'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche à Marie-Antoinette sa fille bien aimée.
Non seulement cette grande impératrice a donné la totalité de sa collection de laques du Japon à sa fille mais elle avait déjà offert à Madame de Pompadour, des années avant l'arrivée de l'héritage maternel à Versailles en 1781 deux superbes boîtes en laque japonaises.

Il y a 7.000 ans déjà...

En 1747, un connaisseur français signalait la beauté des laques du Japon qui faisaient l'admiration de l'Impératrice d'Autriche : "Tous les beaux et anciens ouvrages du Japon se reconnaissent non seulement à la qualité du vernis extérieur mais aussi au travail des dedans..."
Ce travail vient de loin ! Lors de la fouille d'un site archéologique de la civilisation Jômon (10.000-300 avant J.C.) les chercheurs n'en croyaient pas leurs yeux lorsqu'ils ont découvert des fragments de laque...
Longtemps considérée comme une technique importée du continent chinois, via la péninsule coréenne, la fabrication de laque utilise la sève du Rhus Verniciflura, une espèce commune au Japon comme en Chine. Les morceaux de bois laqués trouvés lors des fouilles archéologiques ont en fait 7.000 ans.
"Cela prouve, s'émerveille Shiba Ryotaro, grande autorité en matière de culture japonaise, que les habitants de l'archipel à l'époque Jômon menaient une vie enviable." Il ne peut qu'avoir raison quand on sait que la fabrication du shikki (la laque en japonais), demande une longue patience et prend beaucoup de temps. En somme, les habitants de l'archipel nippon étaient cueilleurs, chasseurs et pêcheurs -ils étaient aussi de remarquables potiers comme en attestent les célèbres pôteries Jômon ... mais ils avaient aussi trouvé le temps et l'énergie de fabriquer des pièces de laque.
"Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles" écrivait Paul Valéry.

Utilisée jusque sur l'armure des samuraïs

Aujourd'hui, comme à l'époque néolithique, la sève est récoltée de la même manière que le latex ou la résine en pratiquant des incisions dans l'écorce de l'arbre à laque (Urushi en japonais). Elle est ensuite purifiée, déshydratée et homogénéisée avant d'être appliquée sur le bois où elle forme un revêtement lisse et brillant. Contrairement à d'autres vernis, la laque ne demande pas de solvant résistant à la chaleur ou à l'eau. Elle est si dure qu'elle a été utilisée sur l'armure des samuraïs... Les pièces du trésor de Marie-Antoinette présentent pour la plupart un fond noir et un décor en "maki-e" plat qui met en valeur la poudre d'or, d'argent ou d'alliage souvent rehaussé par de fines lignes tracées avec un poinçon.

Les pièces de la reine étaient cependant des "pièces d'exportation"...

Ironie de l'Histoire, la révolution qui s'est produite au Japon avec l'avènement de l'ère Meiji et son occidentalisation forcée a mis en circulation des laques provenant de collections japonaises qui ont fait de l'ombre à la prodigieuse collection de la reine Marie-Antoinette...
Monika Kopplin est obligée de citer ces mots d'un pionnier de l'Histoire de l'art japonais en occident Louis Gonse(1846-1921) : "...comme nous aimons en France les opinions toutes faites, nous répétons en confiance que rien n'est plus parfait en ce genre que les laques de Marie-Antoinette. Je les ai examinées avec la plus grande attention, et je regrette de dire que si cette collection méritait sa réputation au XVIIIème siècl, alors que les points de comparaison faisaient défaut, il ne doit plus en être ainsi aujourd'hui..."
Selon Louis Gonse les laques de la reine sont de seconde qualité et faites pour l'exportation vers l'occident. "Les pièces fines sont l'exception, affirme-t-il , aucune ne tiendrait à côté des de quelques unes des merveilles des XVème, XVIème et XVIIème siècle venues en europe pendant le cours de ces dernières années."

Le style Marie-Antoinette

La présentatrice de la collection n'a pas cette sévérité. Parmi les collections historiques de laque, écrit dans sa préface Monika Kopplin, celle de Marie-Antoinette est comparable à un solitaire dans un coffret à bijoux. "Les laques de Marie-Antoinette peuvent être appréciées pour ce qu'elles sont en réalité : des oeuvres reflétant parfaitement la personnalité de la Reine, et ce qu'il conviendrait d'appeler, selon Stefan Zweig, non pas le style Louis XVI, mais le "style Marie-Antoinette."
Octobre 2004
Par Sawako TAKAHASHI
Monika Kopplin
"Les laques du Japon, Collections de Marie-Antoinette"
Avec un essai de Christian Baulez

publié par
les Editions de la Réunion des Musées Nationaux.
Photos Thierry Ollivier Agence photographique de la RMN



ci-contre :
Elizabeth Vigée-Lebrun
"Portrait de Marie-Antoinette 'en gaulle' " 1783
Huile sur toile, Kronberg, Hessichte Hausstiftung