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Renaud Pellegrino, un artiste autant qu' un artisan

Renaud Pellegrino fait partie de ces artisans d’art, intemporels dans leurs créations. Il voit dans le sac un prétexte à une attitude, la touche ultime, la saute d'humeur espiègle ou extravagante qui accompagne nos tenues.

Un magicien des couleurs et des matières

Il recherche une harmonie de style, un rythme d’allure dans l’espace, une gestuelle naturelle et élégante où le sac posé doit être visuellement parfait pour avoir sa place dans un décor.
Magicien des couleurs et des matières, il a marqué son époque.
De sa lancée chez Carita en 1970, à la boutique du rez-de-chaussée du célèbre salon de la rue du Faubourg Saint-Honoré, en passant par sa période YSL - 1976 1983 – où il lancera des succès, tel le sac cardinal, ou sa première boutique rue saint roch -1984 - il retournera à ses premières amours, après un intermède malheureux avec les japonais, en s’installant au 14 rue du Faubourg-Saint- Honoré, enfin pour le plus grand plaisir des femmes, il revient s'installer au 149 rue Saint- Honoré.
Connu des aficionados, des collectionneuses, des addicts de sacs bijoux, il est artiste autant qu'artisan puisque ses pièces sont entrées dans les collections permanentes du Musée des Arts décoratifs.

Renaud Pellegrino, d’où venez-vous ?

J’ai eu une enfance heureuse, sereine et calme, qui s’est déroulée sans histoires et sans envies particulières, n’ayant pas de point de référence.
Issu d’une famille modeste, à Cannes, j’étais le second de quatre frères. Mon père, qui avait commencé ses études de pharmacie, a du arrêter d’étudier et travailler en tant que peintre en bâtiment, ayant déjà quatre fils à élever à l’âge de 24 ans. J’ai eu la chance de vivre dans un endroit privilégié, passant mon enfance dans une couleur dorée, un climat doux.
A quatorze ans, mes parents n’ayant pas les moyens de nous inscrire tous les quatre au lycée, j’ai démarré mon apprentissage chez un bottier. Le fruit du hasard a voulu que ce bottier se trouve à proximité de notre maison, ce qui permettait à ma mère de veiller sur moi.
Je me souviens également, que tous les jeudis après-midi, je les passais chez mon arrière-grand-mère, auprès des potiers et des céramistes. C’est certainement de cette période, que date ma passion pour la terre, et mon envie de me reconvertir dans le métier de céramiste.
En ce temps, je rêvais énormément, j’avais besoin d’imaginer, d’inventer des histoires dans ma tête. Ce qui explique très certainement mon besoin de créativité aujourd’hui.

Est-ce votre travail chez ce bottier, à 14 ans, qui vous a ensuite inspiré ce beau métier et créé cette passion pour les sacs et les chaussures ?

Non, car très rapidement, je me suis ennuyé chez ce bottier. Par contre, j’y ai acquis une dextérité manuelle, qui m’a servi pour mon futur métier.
J’ai ensuite travaillé dans un atelier de chaussures féminines qui m’a donné ce déclic des matières, des couleurs, de la fantaisie, que j’ai eu envie d’exprimer.
Pendant mon service militaire, j’ai rencontré tout un monde cosmopolite qui m’a fait réaliser que la vie ne s’arrêtait pas à Cannes. J’ai alors eu l’envie de monter « à la Capitale » c’est-à-dire Paris. J’avais 22 ans.

Une rencontre clé : les sœurs Carita

A cette époque, j’ai pris le temps de m’amuser, de sortir, de vivre, d’aller danser, de humer l’air du temps. La nuit, j’étais un autre ! C’est ainsi que j’ai combattu ma timidité maladive. C’était le temps de « Salut les copains », le temps de l’insouciance, de la liberté !
C’est lors d’une soirée, en 1969, que j’ai rencontré les deux sœurs Carita, et notamment Maria, avec laquelle je me suis lié d’amitié.
Elle m’a rapidement proposé de prendre en main sa boutique du rez-de-chaussée du Faubourg et son fameux salon qui drainait tant de célébrités - endroit magique, où Marlène Dietrich croisait Brigitte Bardot -. Grâce à Maria qui m’a mis le pied à l’étrier, j’ai pu conquérir ma place.
Dans sa boutique, j’ai tout de suite créé des accessoires de cheveux, puis des sacs, de la maille, des foulards, que je peignais moi-même.
Les choses étaient simples et naturelles, je ne me posais aucune question, j’étais dans mon élément.
Je suis resté 7 ans chez Carita, m’occupant de 50 produits différents.
Puis de 1976 à 1983, ce sont les années Saint Laurent. J’ai monté mon propre atelier et créé pour Yves Saint Laurent, des sacs de Prêt-à-Porter et de Haute-Couture pendant huit ans, en continuant de fabriquer pour Carita, Tan Guidicelli, Dior, Ungaro, Givenchy. Je créais également des sacs plus personnels en mon nom.

Y a-t-il eu un modèle qui a marqué plus que d’autres cette époque ?

Oui, effectivement, un modèle de sac pour Yves Saint Laurent, avec une longue bandoulière qui se portait sur les hanches et qui a connu un grand succès.
J'admirais énormément Yves Saint Laurent. On peut dire que la maison toute entière m'a marqué. Le climat, la richesse des créations, les couleurs m'ont fortement sensibilisé..
Puis, fin 83, j’ai ouvert ma propre boutique Renaud Pellegrino, rue saint Roch, terminant ainsi mon travail pour la Haute Couture. De là, j’ai rapidement eu une clientèle internationale, faisant figure de précurseur dans ce domaine.

Mais vous ne vous êtes pas arrêté en si bon chemin, ce qui vous a valu par la suite les pires ennuis ?

Oui. En 1987, j’ai ouvert une deuxième boutique rive gauche, avec une diffusion au Japon. Puis un groupe japonais a pris des prises de participation dans ma société. J'ai réalisé par la suite que le groupe japonais – Adiron – n’avait pas les mêmes optiques que moi.
Ils voulaient tout changer et baisser les prix.
Par chance, je n’avais pas vendu mon nom. Ce qui m’a permis de tout stopper, et de recommencer au Faubourg-Saint-Honoré, sans regret et sans amertume. Puis après une éclipse de quelques années où j'ai créé pour différentes marques, je suis maintenant au 149 rue St Honoré, avec de nouvelles envies et de nouvelles collections.

Vous avez été absent de la scène parisienne durant quelque temps. Vous avez fermé le Faubourg Saint Honoré pour nous revenir avec de nouvelles collections toujours plus époustouflantes au 149 rue St Honoré. Tel un phœnix vous renaissez toujours de vos cendres, vous êtes un roseau, qui plie mais ne rompt jamais. Qu'est ce qui anime votre flamme de créateur ?


J'ai du mal à l'analyser. Mais à mes yeux, l'avenir est devant moi. Je tourne la page et comme je suis exigeant, je vais de l'avant.

Quelle clientèle attirez -vous?

Je draîne en priorité une clientèle qui refuse les marques ou qui ne se retrouve pas dans une marque.
Ma clientèle s'est toujours composée notamment d’artistes – Lauren Bacall, Isabelle Adjani, Paloma Picasso - de personnalités en relation avec l’art ou de collectionneuses.

Quelle importance revêt ce type d’accessoires à vos yeux ? Vous dites que le sac est une attitude. Expliquez-vous ?

Le sac change une attitude, il est la ponctuation d’un geste. Dans la conception d’un sac, je cherche quelle attitude une cliente aura, en fonction de la poignée. L’allure change, comme la chaussure détermine la marche ou le vêtement la silhouette.
Je suis toujours en quête du volume idéal, tel un sculpteur.

Quel travail représente un sac ?

Un énorme travail, qui démarre, lors de ma première idée que je dessine en modèle réduit de 2cm sur 3cm. Un sac s’il est juste en proportions dans cette taille, gardera cet équilibre, agrandi. Après plusieurs dessins et plusieurs essais, j’arrive à quelque chose de cohérent. Le plus difficile est de trouver l’expression du sac, son tomber, sa ligne.
Puis vient la maquette en volume, que nous habillons dans la matière choisie.
Le plus long, sera la mise au point.

Combien êtes-vous à l'atelier ?

Nous sommes 25 et chacun a un rôle essentiel à jouer.
Je suis beaucoup dans la transmission du savoir-faire.

Où puisez-vous votre inspiration ?

Nulle part. C’est une nécessité pour moi, grâce à mon imagination qui est un puits sans fond, je pourrais créer en permanence. Je suis toujours à la recherche du produit juste.
Ce métier représente un véritable langage.

Sur quelles matières préférez-vous travailler ?

J’aime toutes les matières. J’ai un rapport presque physique avec les matières. A mes yeux, elles doivent vivre ensemble, aucune ne prenant le pas sur l’autre.
J'aime beaucoup le veau foulonné, qui donne de la souplesse, de la tenue et du façonné, du volume. Je travaille beaucoup le chevreau velours, le cuir, le veau, la chèvre, l’agneau, le reptile, le poisson - comme la carpe - le satin, les textiles, la moire, les mousselines, les paillettes.
Comme j’aime l’idée d’un mélange pluriculturel en ce qui concerne les matières façonnées, je m’adresse à des artisans étrangers pour apporter sur mes sacs, un clin d’œil du monde.
La tannerie est en grande partie italienne.

Vous aimez les sacs, mais n'auriez vous pas envie de lancer une collection de chaussures, ayant travaillé à 14 ans chez un bottier ?

C'est une question de financement. Mais cela reste du domaine du possible.

Y a-t-il parmi toutes vos créations, un modèle préféré ?

Oui, par exemple le sac YSL appelé « Cardinal » qui rappelle les mitres des hiérarques de l’église.

Vos couleurs préférées ?

Je les aime toutes. J’aime les assembler, les marier, mélanger les matières et les couleurs, croiser les matières et les techniques, pour que le sac reste moelleux.

Peut-on dire que le sac c’est un luxe ?

Pas forcément. C’est un besoin, un accessoire indispensable, qui finit une allure, donne un style de comportement.

Dans votre domaine, comment exprimez-vous le luxe ?

Pouvoir travailler des cuirs d’immense qualité et avoir la chance de ne pas les dénaturer – comme une mauvaise coupe.
J’ai d’ailleurs beaucoup de respect de la matière et des autres. Et je suis très exigeant dans mon travail. J'aime le beau !

Quelle est votre vision du luxe ?

En ce qui me concerne, le mot est galvaudé. C’est la publicité qui décide et lance un produit de luxe alors qu’il ne l’est pas. C’est une simple question de marketing et de rentabilité.
Je regrette qu’il n’y ait plus d’éducation pour savoir ce qu’est le vrai luxe.
J’adhère à des marques comme H&M ou Zara, qui lancent des produits adaptés et qui ont leur juste place dans le monde et la vie moderne.
Par contre, je m’oppose à des marques, qui sous prétexte de notoriété, vendent dix fois plus cher un produit qui par sa qualité, en vaut dix fois moins..
Je trouve ce procédé démodé et déplacé.

Pensez-vous, comme d'autres marques, que les codes du luxe ont changé ?

Oui et depuis longtemps ! On partage le luxe aujourd'hui. Mais au-delà, il y a la vraie qualité, le supplément d'âme....

Comment définissez-vous le classique ? daté ? hors du temps ?

Non. C'est un produit juste, qui n'est pas daté, mais qui ne doit pas être trop "hors mode" non plus !
Certaines pièces par contre sont "trop mode " et de ce fait se démodent très vite !

Quel est le message que vous souhaitez faire passer ?

Ce qui m'intéresse, c'est la connaissance, la curiosité, découvrir, apprendre, aller de l'avant, aller à la découverte de ceux qui nous ont fait avancer.



Mai 2013
Par Katya PELLEGRINO
www.renaudpellegrino.com

visuels : Noel Manalili