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Un lieu suranné

Alangui au bord du lac de Côme, ce palace est un monde à lui seul. Pénétrer dans la Villa Serbelloni, à Bellagio, sur les rives du lac de Côme, en Italie, c'est s'inviter à un voyage suranné, revenir au temps où l'aristocratie seule parcourait l'Europe sans souci.
Bien qu'italienne, Bellagio a des allures de cité suisse. Le panorama grandiose des Alpes se miroite dans les eaux saphir du lac et les cimes enneigées semblent posées sur ses rives . Cette étendue liquide invite à la rêverie et au romantisme et rien ne lui va mieux que ces contours un peu flous, laissant deviner les villages de pêcheurs aux toits de tuiles dorés, les palais ou villas aux jardins croulant sous camélias ou bougainvillées . Totalement préservé par les Beaux-Arts italien, ce village pittoresque a su conserver authenticité et charme d'antan, grâce à ses terrasses en escaliers, ses ruelles escarpées et piétonnes, ses maisons aux couleurs méditerranéennes, ses jardins séculaires, et ses réverbères à l'ancienne.
Va-et-vient de valporetto, de water taxis, terrasses ensoleillées, palmiers, complètent ce petit Eden préservé.

Une clientèle hors norme

Jusque 'en 1992, pour accéder à ce petit joyau, le bateau restait le seul moyen de locomotion. Depuis une route tortueuse et étroite y mène. C'est d'ailleurs cet isolement qu'apprécièrent tant les personnalités américaines en quête d'anonymat ou les riches héritiers.
Dix «Who’s Who» ne suffiraient pas à mentionner toutes les têtes couronnées, politiques et célèbres venues poser leur célèbre postérieur sur les transats autour de la piscine sur le lac (mythique !) ou rêver dans les lits king size des chambres et suites.
Tous sont venus en riva, accostant aux pontons du Bellagio, donnant ses lettres de noblesse à cette station chic, aujourd'hui un peu assagie et assoupie : Isadora Duncan, Franklin D. Roosevelt, Winston Churchill, John et Jacky Kennedy, Rudolf Valentino, D. Fairbanks...

Un peu d'histoire

Cette villa édifiée en 1488 par la famille de Crémone, fut rachetée en 1853 par le comte Frizzoni pour sa femme qui n'en voulut point, puis revendue pour devenir en 1873 un hôtel de luxe. C'est l'arrière grand-père de Gianfranco Bucher, un suisse, qui la racheta en 1918 à un allemand de 75 ans qui finit ses jours dans la villa ( il décéda à 104 ans !). Un véritable génie cet arrière-grand-père, qui après avoir commencé sa vie professionnelle dans une fabrique de parquet à Lucerne, dans les années 1820, se lança ensuite dans l'hôtellerie, ayant décelé les besoins de riches familles qui commençaient à voyager et souhaitaient trouver des établissements confortables. Il construisit pas moins de 37 hôtels (Gènes, Caire, Italie, Suisse...)
Il fut aussi l'inventeur du frein automatique pour les funiculaires. Homme de famille nombreuse, il eut pas moins de 17 enfants avec 2 femmes légitimes.
Ainsi véritable maison de famille depuis 5 générations, Gianfranco Bucher, propriétaire actuel des lieux, se rappelle avec nostalgie de son enfance au sein de cet établissement hors norme où il était interdit de courir dans les couloirs, de cueillir les roses ou d'approcher la clientèle prestigieuse. Des familles investissaient l'hôtel pour 6 mois, avec force malles, bagages et domestiques ! En un mot La dolce Vita !
Pour s'éloigner de l'environnement familial, il décide alors de faire des études d'ingénieur en mécanique, puis à la fin de ses études commence à travailler. Mais l'amour voué à la Villa Serbellonni est trop fort et il retourne à 26 ans faire ses armes auprès de son père, qui rapidement, dû à une santé défaillante lui passe le flambeau.
L'amour du métier et cette vie un peu tzigane, comme il le dit lui-même, lui convient parfaitement.
Tenant à son indépendance, l'hôtel n'appartient à aucune chaîne et cultive sa différence.

Un décor mêlant baroque et Néoclassicisme

Le personnel, souvent quadrilingue ( français, anglais, italien, allemand), ainsi que Luciano, vraie personnalité et concierge hors-pair, tâchent de devancer le moindre souhait, sont aux petits soins pour la clientèle. Dans le grand salon au plafond à caisson, (une vraie merveille) où trône une opulente cheminée et où s'étirent d'antiques tapis persans, les stars du cinéma côtoient des retraités des affaires ou de la politique, au son d'un trio de musiciens, qui animent les soirées. Dans un décor parfois un peu désuet, mêlant style baroque, Belle Epoque, Empire ou Néoclassique, chambres et suites donnent en partie sur le lac, vue magique au réveil garantie ! Ah les lustres en verre de Murano, miroirs démesurés, plafonds décorés de fresque, tapis persans, tissus imprimés et surtout le monumental escalier éclairé par un gigantesque lustre de Murano, sont autant de rappels de cette ambiance d'antan. Certes les chambres sont parfois un peu désuètes, mais un simple regard à la fenêtre et la magie opère !Petite touche personnelle, un plateau de fruits frais accompagné d'un petit mot signé par Gianfranco Bucher, accueillent le visiteur.
On se perd dans cette multitude de petits salons restés pour la plupart dans leur jus. mais L’élégance avant tout, per favore ! Cet hôtel est plus qu’un hôtel. Un refuge. Une destination. Un made in Italy pur jus. Cette ambiance d'antan, ce cadre vieille Europe, font toute sa renommée.

Un chef étoilé à la Villa Serbelloni

Surannée la Villa Serbelloni ? Que nenni, notamment avec son chef Ettore Bocchi, qui depuis des années officie dans son domaine de prédilection, la cuisine et qui s'est vu décerner en 2005 sa première étoile Michelin.
Il orchestre avec mastria, les dîners italiens à la Goletta dans un décor marin contemporain, un peu étonnant pour le lieu et au Mistral, terrasse protégée par de grandes baies vitrées amovibles, face au lac. Chef réputé, il a mis à une époque, sa brigade à la cuisine moléculaire et en a conservé quelques traces dans ses plats à déguster.
Sa cuisine pleine de couleurs, de goûts et d'audace surprend et étonne avec plaisir ! Il faut gouter à son succulent turbot cuit dans du sucre en fusion ou du veau cuit à basse température, ses raviolis fourrés de blanc de paon dans un bouillon de paon et champignons ou à sa glace à la crème refroidie à l'azote liquide !
Enfin les environs sont sublimes. tout peut se faire à pied ou en petit valporetto. Des jardins de la villa Melzi du XIX ème, au petit village de pêcheurs Pescalo, le jardin botanique de la fondation Rockfeller Bellagio , on peut aussi d'un jet de bateau, visiter la sublime villa Carlotta sur la rive d'en face et celle de Balbianello.
Ici le temps n'a plus de prise. Avec cette impression permanente d’être dans un décor de film, dans une romance de jadis. Peu importe que certaines sublimes villas partent à vau-l’eau, faute d’entretien et sont aujourd’hui coincées entre bitume et glissières de sécurité. Il faut bien reconnaitre que le charme du lac de Côme opère et que pour quelques jours vous avez fait un bond en arrière dans le temps de cette vieille Europe !