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Françoise Mouly au New Yorker

Au New Yorker, la Française Françoise Mouly est directrice artistique, chargée des couvertures illustrées. Un rôle stratégique. Rencontre.

 


 


Le rêve américain

En ce matin d'hiver, le vent balaie les rues transversales qui mènent à Times Square. Un temps éminemment new-yorkais. Le groupe de presse Condé Nast, l'éditeur du New Yorker, occupe un immeuble entier en ce cœur de la ville dont le magazine offre un synonyme journalistique depuis quatre-vingts ans et dont les couleurs n'ont que très peu varié : le New Yorker, ce sont des écrivains et des illustrateurs associés pour raconter le présent. Françoise Mouly en est la directrice artistique chargée des couvertures. Vu l'importance de ces dernières, toujours dessinées, la notoriété considérable qu'elles ont apportée au magazine et l'excellence de leurs auteurs, on mesure la responsabilité confiée à cette Française qui étudia l'architecture aux Beaux-Arts de Paris, avant que de s'installer à New York en 1974. Françoise Mouly, œil bleu sombre, élégance discrète, fermeté attentive, s'exprime dans sa langue maternelle. Parfois cependant, les mots lui viennent en anglais. Elle est l'épouse du grand Art Spiegelman. "Le New Yorker n'a pas oublié les précurseurs qui furent L'Assiette au beurre, Punch et Le Rire, explique-t-elle. J'avais fondé ici mon propre magazine, très graphique, Raw. Quand j'ai quitté la France, je voulais partir vers l'ouest, c'était un rêve. Je me suis éprise de New York, et j'y suis restée. Tina Brown, qui dirigeait alors le New Yorker, m'a engagée en 1993. Mais à l'époque, je ne le lisais pas ! Le New Yorker ne se vendait qu'à 600 000 exemplaires, surtout en dehors de la ville. Il avait sauté une génération de lecteurs, la mienne. Tina Brown dut en faire adhérer de nouveaux, sans revenir sur le parti pris du magazine, qui est de demeurer en dehors du coup. Le risque, c'est évidemment de passer à côté de l'intérêt du lecteur, et d'est ce qui tendait à se produire quand elle est arrivée. Le New Yorker avait atteint l'Everest mais il n'y avait plus d'oxygène!"


La tradition du dessin

"Au public du New Yorker, extrêmement sophistiqué, on n'est pas obligé de tout expliquer. Il est capable de chercher le sens, de le découvrir et de jubiler. Aussi le magazine repose-t-il sur une somme d'individualités plutôt que sur une esthétique globale. La priorité demeure le dialogue avec des gens qui ont quelque chose à dire. À mon arrivée, Steinberg et Sempé étaient déjà là. J'ai introduit certains collaborateurs de Raw, Loustal, Mattotti, tandis que Tina Brown amenait Richard Avedon, Art Spiegelman, Richard Sorel. Il faut savoir que dans le New Yorker, les couvertures (covers) ne sont pas liées au sujet principal du numéro (cover story). Et que l'on fait très attention à ne pas dénaturer l'image, d'où le cavalier (flag) en papier-calque qui donne le sommaire : notre ambition, c'est d'offrir un portrait de ce qui se passe actuellement. Nos couvertures tiennent compte de la saison, elles constituent un éditorial dessiné que je commande aux artistes longtemps à l'avance. Parfois, l'actualité bouleverse mes projets : par exemple, après le 11 septembre, quand Art Spiegelman a conçu pour nous sa célèbre couverture noire. David Remnick, le directeur du New Yorker, pensait exceptionnellement à une photo. Moi, je tenais absolument à maintenir la tradition du dessin. Je crois au pouvoir de l'art..."








Cet article est paru dans
Senso n°23
Juillet 2006