Guy Bourdin L'imagiste
Les catalogues d' exposition ont parfois un petit côté "conserve"; on a l'extrait du fruit, pas le fruit.
Avec ce "Guy Bourdin" édité chez Gallimard à l'occasion de l'exposition du même nom inaugurant la toute neuve Galerie du Jeu de Paume il s'agit d'une tout autre chose.
Nous disposons en effet des photos du maître - comme les premières lectrices de Vogue ou Marie-Claire. Comme elles, à l'époque, nous pouvons feuilleter à loisir et profiter des œuvres. Difficile à faire avec Rubens ou Vinci.
Mais surtout, nous avons un grand avantage sur ces premières lectrices : C'est la distance. La distance du temps.
Et là : Surprise ! L'onde de choc étant amortie, les poussières du scandale retombées, on découvre que ce sacré Bourdin, loin d'être le premier des provocateurs de la mode, si mal et tant copié par la suite, est un poète.
Oui, oui, vous avez bien lu : un poète, un vrai.
Vérifiez par vous-même si vous ne me croyez pas...
Avec ce "Guy Bourdin" édité chez Gallimard à l'occasion de l'exposition du même nom inaugurant la toute neuve Galerie du Jeu de Paume il s'agit d'une tout autre chose.
Nous disposons en effet des photos du maître - comme les premières lectrices de Vogue ou Marie-Claire. Comme elles, à l'époque, nous pouvons feuilleter à loisir et profiter des œuvres. Difficile à faire avec Rubens ou Vinci.
Mais surtout, nous avons un grand avantage sur ces premières lectrices : C'est la distance. La distance du temps.
Et là : Surprise ! L'onde de choc étant amortie, les poussières du scandale retombées, on découvre que ce sacré Bourdin, loin d'être le premier des provocateurs de la mode, si mal et tant copié par la suite, est un poète.
Oui, oui, vous avez bien lu : un poète, un vrai.
Vérifiez par vous-même si vous ne me croyez pas...
Car nous disposons ici de beaucoup d'inédits, et de commentaires, et d'explications, et de repères.
Il faut bien ça quand même, car, si Bourdin était célèbre - moins qu'Helmut Newton et c'est fort injuste d'ailleurs - il était mal connu.
Il faut reconnaître qu'il ne faisait rien pour cela non plus : "Je suis plutôt fuyant, dira-t-il, dans une interview, je n'aime pas qu'on ait des idées sur moi. Je peux être noir ou blanc, comme la vie."
C'est Philippe Garner qui présente ici le jeune Guy. Abandonné par sa mère aux tristes années d'avant-guerre, et négligé par son père", au sortir du service militaire il sonne chez Man Ray lui-même. Le jeune homme veut montrer ses photos à celui qu'il admire, au surréaliste de l'objectif, au maître de l'époque.
On est en 52. C'est du Doisneau; ces années là sont en Noir et Blanc.
Pour l'instant c'est plutôt en noir : il est viré par Madame Ray. Il n'a pas de chance avec les mères le petit Guy.
Têtu il revient.
Et il a raison. Man Ray, "suffisamment impressionné par son talent et le potentiel qu'il décelait en lui", va contribuer à le lancer.
Il sentira chez son protégé, comme il l'écrit lui-même dans la présentation de la première exposition du petit, "une ardeur à ne pas être seulement un bon photographe". En fait souligne Philippe Garner, qui présente ici "Les années de formation" : avec Man Ray comme maître, Guy Bourdin "allait surtout apprendre à construire des images qui, tout en suggérant l'intensité d'une situation psychologique décrivent l'étrangeté d'une situation physique".
Tout est là, à en attraper la "Nausée" ou à étouffer dans un "Huis Clos" dont l'époque veut sortir à tout prix.
Et Guy Bourdin surtout qui, encore une fois, n'hésite pas à vouloir montrer ses photos. Cette fois ce sont des fesses. Une étude de fesses.
Il se présente en décembre 54 au magazine Vogue, synonyme de qualité littéraire et artistique, muni de son portfolio.
Ecoutons Philippe Garner : "la rédactrice en chef adjointe, Edmonde Charles-Roux étudia le portfolio." "Une série de nus, des études de fesses à la manière d'Ingres ou de Géricault", se souvient-elle. "Frappée par la qualité et l'autorité des images elle les montra au rédacteur en chef, Michel de Brunhoff. Bourdin fut immédiatement engagé." Il collaborera à Vogue plus de trente ans...
Et c'est ainsi que se produisit une révolution dans l'image de mode.
Notons en passant que Bourdin se voyait comme un faiseur d'images - et non de photographies. "Je ne me suis jamais considéré comme le responsable de mes images. Elles ne sont que des accidents. Je ne suis pas un metteur en scène, juste un ajusteur de hasard."
Il y aurait beaucoup à dire sur cette affirmation mais il reste que cet "ajustement du hasard" par l'artiste s'est révélé extraordinairement efficace.
Lancé par Vogue, il a enchaîné les productions pour le monde de la mode pendant toute la seconde moitié du 20ème siècle. Ses campagnes de publicité pour de très grandes marques, d'Issey Miyake à Gianni Versace, d'Emanuel Ungaro à Claude Montana, en passant par Chanel, Revillon, Loewe, Charles Jourdan ou les magasins américains Bloomingdale's, les calendriers Pentax ou Yashica, et bien sûr Vogue, Marie-Claire ou 20 ans, ont ouvert le monde de la publicité vers une forme artistique nouvelle.
Rosetta Brooks, qui signe un autre essai dans ce catalogue de Gallimard a alors beau jeu de mettre en évidence le rôle de Guy Bourdin dans l'évolution de la photographie de mode, "centre vital de la publicité, où les rapports entre image du produit et produit (autrement dit entre forme et contenu) " ne demandaient qu'à se distendre.
Elle justifie le travail provocant de Guy Bourdin en publicité de mode en soulignant que ces œuvres semblent dire "qu"étant donné l'imposture manifeste des promesses de la publicité, il est de bonne guerre de souligner le côté fabriqué des photographies et de bousculer les frontières de l'imaginaire. C'est la mode au point de rupture : les vêtements d'une femme violée, les chaussures portées à l'heure de la mort, l'écharpe qui sert à étrangler." "En déjouant les attentes du spectateur, ajoute-t-elle plus loin, Bourdin a su, a tout le moins, capter les regards fugaces au beau milieu d'une pléthore d'images."
Je ne suis pas sûr que son analyse, captivante par ailleurs, soit juste quand au fond. D'ailleurs une autre étude, de Charlotte Cotton cette fois, intitulée "La fausse image" la contredit un tant soit peu. "Bourdin, écrit-elle, a fait du produit de mode un élément ni plus ni moins chargé de signification et d'intention que n'importe quelle autre image."
Au cœur de sa démonstration elle place une photographie tirée de la publicité que Guy Bourdin réalisa pour Charles Jourdan au printemps 1975. Après une minutieuse description de cette œuvre, (reproduite ci-contre), elle démontre que l'artiste a accompli un travail minutieux de mise en scène. Et elle ajoute : "Que cette photographie ait fait l'objet d'une composition soigneusement étudiée apparaît clairement au vu de l'esquisse préparatoire... le seul élément à avoir été omis est le produit lui-même : la paire de sandale "sexy". Quelques arguments de précaution suivent pour enlever à l'acte son éclatante évidence, mais le fait est là.
Bourdin conclut-elle d'ailleurs, pourrait nous signifier "que si le produit de mode n'occupe plus une place centrale dans l'image, nos désirs de consommateurs se révèlent pour ce qu'ils sont : superficiels, morbides et vides de sens. C'est à faire cette découverte que Bourdin nous engage dans les pages des magazines. Son grand geste de défit, l'artiste l'offre au lecteur, pour qu'il en tire plaisir, s'en étonne, ou en rie (fût-ce jaune)."
L'exposition et son catalogue témoignent ainsi pour l'artiste qui a donné naissance à la "trash fashion" et condamnent les suiveurs automatiques qui vident de sens sa tentative d'éveil des années 70. Aujourd'hui, sur les podiums de certains défilés, c'est à qui sera le plus "trash"et le plus déjanté. Il faut bien faire le spectacle, fût-il celui de la société pour elle-même... sans vergogne. Mais c'est Bourdin qu'on piétine ainsi au grands pas lourds des catwalks.
La poésie, c'est Laurence Benaïm qui nous l'apporte.
Certes, elle était depuis longtemps évidente chez Bourdin, mais cet essai nous confirme que ses images n'en sont que l'illustration la plus évidentes.
Du secret Bourdin elle a fouillé les carnets et ramené quelques trésors qui mériteraient d'ailleurs une édition particulière. Dans ces carnets "certains textes se laissent lire, là où d'autres se réfugient derrière leur ombre indéchiffrable", entre des croquis ou "des leçons d'italien ou d'anglais en forme d'inventaire".
Ici c'est une écriture, en vagues, qui lâche :
De sa pureté
La marée montante
de la nuit
Ailleurs "l'artiste 'croque' la chose vue, la savoure après l'avoir épicée de ses sels imaginaires :
Le Voluptueux Orient Express
Glissant sur les rails
Comme une caresse sur
Du satin
Se glisse, pénétrant
Dans la Beauce veloutée de la nuit étoilée"
Le meilleur a été gardé pour la fin. Shelly Verthirne qui explore les polaroïds qu'a laissé derrière lui Guy Bourdin nous fait découvrir un petit délice : la polaropoésie.
Dans ce dernier essai de ce très intéressant livre, elle nous fait, enfin, découvrir "le" secret du secret Bourdin. (A noter qu'il n' y a pas chez cet artiste l'ombre d'un autoportrait; c'est assez rare de nos jours pour être signalé.)
Le secret, c'est que cet enfant sans mère a gardé un regard d'enfant. Et donc d'artiste. Il regarde et les choses sont ce qu'elles sont.
Ces mots, au bord du non-sens, témoignent qu'après il n'y a plus de place que pour l'image, la contemplation, la poésie.
Pour cet imagiste "la photographie est un moyen de célébrer la poésie de la nature ou la mélancolie du temps qui passe", note l'auteur. En somme Guy Bourdin fait des polaroïds comme d'autres composent des haïkus. Ils sont simples, légers, et très forts.
"L'enregistrement de ces moments de calme, de ces réflexions, loin des contraintes de l'univers commercial où il évoluait, enrichit encore son répertoire unique et dévoile un aspect plus évocateur et plus pur de son art."
Laissons lui le dernier mot :
Au rêve
Il ne dure que ce que dure
Un rêve
Août 2004
Par Yves CALMEJANE