Franck Sorbier : l'orfèvre de la Haute Couture
Si un homme mérite le Paradis, c'est bien Franck Sorbier, créateur féminin de Haute Couture. Le célèbre dicton "qui barre la route fait faire du chemin" lui convient parfaitement. Opiniâtre, rebelle, doté d'un caractère entier, Franck Sorbier, sait où il va. Même si sa voie est parsemée d'embûches, qu'importe il se relève et continue de plus belle. "Le handicap me force à me dépasser" avoue-t-il.
Un créateur né
Né dans le Var, à Fréjus en 1961, il a vécu des années douces dans une région ensoleillée, le Pays Basque.
Passionné d'histoire, brillant en langues, "je les adore" confirme-t-il, il en maîtrise trois (anglais, allemand, russe) il se destinait à l'interprétariat.
Mais le destin en a décidé autrement. Sa fibre artistique très développée et son goût pour le travail manuel en font tout naturellement un créateur.
L'époque "baba cool" des années 70 lui permet d'exprimer son expression personnelle et de créer ses propres vêtements. "J'avais envie d'exister et d'être différent. Une manière à moi de m'affirmer".
Il coud à merveille, par contre le dessin n'est pas son fort. "Médiocre pour dessiner, je coupais la toile directement".
La période Esmod
Qu'importe, il s'inscrit à Paris, à l'Ecole Esmod. S'ensuivent trois années un peu difficiles. Son côté rebelle, autodidacte et indépendant s'accommode mal du moule de l'enseignement. "J'ai dû tout réapprendre de A à Z. C'était dur. Ayant toujours créé à l'instinct et au feeling j'ai trouvé l'apprentissage, et surtout le modélisme, plutôt ardus".
Aujourd'hui Franck Sorbier reconnaît l'importance du dessin chez un créateur. Celui-ci apporte un mouvement, un style et lui donne une identité. Mais il souligne que certains créateurs, comme Patou ou Grès, travaillaient aussi directement sur la toile.
En 1984, il reçoit le Prix Spécial du Jury de l'Ecole Esmod avec 6 pièces de sa première collection de fin d'études.
Il a 22 ans et des rêves pleins la tête.
Un chemin parsemé d'embûches
Pourtant l'atterrissage va être difficile. "Je fais le tour des maisons de couture et de prêt-à-porter, mais rien ne se présente pour moi.
Je me tourne alors vers les bureaux de style (Sim, le Printemps) et les bureaux de concept, tout ce vers quoi je ne me destinais pas, mais j'y apprends une foule de choses".
Il va même temporairement embrasser la carrière de professeur de style aux Ateliers de Sèvres, dans la section Mode. "Je me retrouvais de l'autre côté de la barrière, et côtoyais des étudiants, qui comme moi à mon époque, se rebellaient contre l'autorité".
"Enfin à 25 ans, voyant que je risquais de ne pas réaliser mes rêves, je décide alors de me lancer et je crée mes premières collections".
Premières commandes de Bergdorf & Goodman
En 87/88, commence une période exaltante, faite également d'incertitudes. Premières ébauches dans l'appartement, premières pièces cousues, aide des amis, le système D fonctionne à plein régime.
L'enthousiasme et le travail vont porter leurs fruits, puisque le bureau d'achat américain remarque Franck Sorbier, le suit pendant plusieurs saisons. Finalement en 1990, pour sa septième collection, Bergdorf & Goodman, "Link", une célèbre maison de Singapour et, pour couronner le tout, les Galeries Lafayette lui passent commande. En tout 60 pièces achetées.
C'est le nirvana et la décision de créer en décembre 90, avec 65.000 FF en poche, la société Franck Sorbier.
Tout pourrait être parfait, dans le meilleur des mondes. Mais les choses ne sont pas si simples...
Des hauts et des bas
Grâce au lancement d'un concept novateur, basé uniquement sur la fabrication de vestes, à porter sur des jupes, des pantalons ou des robes, Franck Sorbier connaît le succès.
A la même époque, il reçoit, grâce à Jacques Mouclier, Président de la Chambre Syndicale de la Haute Couture, une aide aux créateurs, d'un montant de 600.000 FF.
Un investisseur qui ne tiendra pas ses promesses, l'oblige en 1997, à arrêter la société.
"Je repars de zéro, une fois de plus raconte-t-il et je me tourne alors vers un poste de styliste free lance pendant trois saisons".
Heureux destin ou hasard, un ancien banquier, au nom éponyme lui redonne sa chance.
Nouvelle installation rue Royale et découverte par Franck Sorbier d'une technique de tissu compressé pour des pièces uniques, qu'il présente en Haute Couture.
La chance lui sourit enfin. Accepté par la Chambre Syndicale de la Haute Couture en tant qu'invité, il est reconnu par ses pairs en 2005, et en devient membre à part entière.
C'était trop beau. Le sort s'acharne de nouveau : son investisseur meurt dans un accident de voiture.
Des pièces uniques dans les collections
Une fois de plus, le réseau d'amis et le soutien de maisons prestigieuses comme Cartier, lui permettent en continuant de créer, de garder la tête hors de l'eau.
En 2004, il se voit décerner par le Ministère de la Culture Française le titre de Chevalier des Arts et des Lettres.
Franck Sorbier est de ceux qui ne renoncent pas. Courage, ténacité et créativité le caractérisent.
Ses collections, des pièces uniques, nécessitant des heures de travail, sont l'expression d'un savoir-faire précieux.
Résolument haut de gamme dans son approche de la couture, il a la volonté de pérenniser sa marque et son style.
Il reste l'un des rares survivants d'un métier de sur-mesure. Humble et simple dans son approche, il privilégie l'esthétisme à l'aspect commercial.
Son prochain projet : créer une collection de Prêt-à-Porter. Avis aux investisseurs.
Septembre 2006
Par Katya PELLEGRINO