Un épicurien aux fourneaux du Grand Véfour
Le club des grands Chefs forme un cercle extrêmement restreint dans lequel on observe les caractères les plus variés. Points communs : d'abord un talent extraordinaire, hors du commun. Ensuite, le plus souvent, une capacité à venir saluer les clients en salle, et les honorer d'un petit mot et d'un sourire forcément inoubliables. Parmi les benjamins de cet aréopage, Guy Martin est sans doute l'un des plus simples et des plus décontractés. Il nous a reçus, avenant et souriant, à la fin d'un repas évidemment exceptionnel.
Vous dirigez le Grand Véfour depuis 1991, quel a été votre parcours avant cela ?
J'ai dirigé un relais-château à Divonne-les-Bains pendant huit ans, et puis le Grand Véfour depuis quinze ans aujourd'hui... J'y suis heureux, c'est une maison qui est vivante, classée monument historique, et néanmoins très fun parce que l'on peut vraiment s'amuser dans la présentation, par les recettes. Je ne me sens pas du tout bloqué par le poids de l'histoire.
Le Michelin vous honore de trois étoiles depuis cinq ans maintenant. Comment obtient-on une telle consécration ?
Il faut travailler, être dedans tous les jours, de la régularité, des ingrédients de qualité, et le sourire ! Il faut être heureux dans ce qu'on fait, prendre du plaisir au quotidien, avoir de bons collaborateurs...
Quelle image souhaitez-vous donner du Grand Véfour ? C'est tout de même
un établissement très classique par rapports aux autres grands restaurants, non ?
Classique par le décor, pas par la cuisine ! Ni par l'attitude des serveurs : ce n'est pas figé, le service est dynamique et chic.
Est-il exact que vous affichez complet tous les soirs, et que même pour déjeuner, il vaut mieux réserver ?
C'est vrai, nous sommes toujours complets le soir. Pour le déjeuner, les réservations se font très longtemps à l'avance, mais il arrive qu'il y ait des annulations de dernière minute, et l'on gère donc plus facilement la liste d'attente. Pour le dîner on arrive toujours à la compléter, parce que lorsqu'une réservation est annulée à 20h00 ou 20h15, on peut encore rappeler les clients sur la liste, ce qui n'est pas possible le midi.
Quelle est longueur de cette liste d'attente ?
Nous la bloquons à dix noms.
Parlons de votre cuisine. Comment la qualifieriez-vous ?
Elle est hyper calée au marché, aux producteurs. On a vraiment une qualité d'ingrédients, une traçabilité. Et en même temps, dans chaque recette, à part les ravioles de foie gras qui font partie de la grande tradition de la maison, c'est une cuisine vivante. On y trouve des épices qui viennent du Maghreb, des citrons du Moyen-Orient ou d'Asie...
Votre carte est réputée être l'une des meilleures, mais vos plats profitent aussi de présentations très raffinées, voire sophistiquées. Comment concevez-vous, et réalisez-vous, ces assiettes magiques ?
La peinture m'aide à vivre en général, je suis vraiment amateur et suis trois fois par mois dans les musées, et les tableaux peuvent m'inspirer : cela peut être la dynamique d'un mouvement, la matière ou l'œuvre dans son ensemble... Ensuite les associations se dessinent dans ma tête : je dessine le plat sur une feuille de papier, et la recette est quasiment faite : il n'y a plus qu'à faire les réglages en cuisine, les notes croquantes ou acides, les différences de températures... En fait il n'y a plus qu'à poser la recette, parce qu'en même temps que je dessine le plat, elle mûrit dans ma tête. Le cœur de la recette c'est le dessin : lorsque le décor est créé, tout est fait, après il ne reste que le réglage, les dosages.
Cela vous vient-il comme ça, ou bien vous travaillez-vous à l'élaboration de nouveaux plats ?
Jamais ! Ca vient comme ça ou ça ne vient pas. Et si j'imagine une recette, il faut que je la note tout de suite, parce que après, j'oublie. J'écris des livres pour le grand public, qui reprennent des recettes que je fais à la maison pour mes amis ou ma famille (et qui ne sont pas des recettes que je fais pour le Grand Véfour), mais je n'ai aucun cahier de recettes !
Parlons un peu de l'homme à présent. Vous avez la réputation d'être amateur de mode, de chaussures, de cigares... Quel est votre couturier préféré ?
Il m'est difficile de répondre, parce que ça dépend ! Mon dernier coup de cœur était pour un costume Kenzo, que j'ai adoré. J'aime la façon dont ils soignent leurs intérieurs, ce qui ne se voit pas, comme Paul Smith. Mais ça peut aussi être des gens moins connus, voire des copains qui font des vêtements !
En chaussures ?
Là aussi, j'ai eu un coup de coeur pour les couleurs rouge orangé de Gérard Sené : la patine était superbe et je trouvais cela très osé. J'aime aussi beaucoup Aubercy, plus classique mais excellent, mais cela peut être aussi une paire mesure fabriquée en Angleterre ou en Thaïlande. D'une manière générale, j'adore les chaussures : je peux aller jusqu'à Milan pour découvrir les nouveautés ! En fait, je marche plutôt au coup de flash : je suis open. (Nota : à ses pieds le jour de notre rencontre une paire de richelieu Gucci bout carré à empeigne unie).
Les cigares ?
J'adore, je suis un vrai passionné ! Mon père m'a initié au vin et au cigare. Pour mes 18 ans il m'a fait découvrir le Margaux et les Davidoff, cubains à l'époque. C'est un vrai moment de faire goûter un cigare avec un bon vin, j'apprécie le geste, la confiance, toute la symbolique. On se retrouve à trois ou quatre copains, on enlève les bagues et on goûte en blind. Le cigare est un univers magique, quelque chose d'affectif et d'important pour moi.
La carte du Grand Véfour bénéficie-t-elle de cette passion ?
Ce qui m'intéresse aussi, c'est d'essayer d'avoir ceux qui viennent de sortir. J'y arrive grâce à des amis d'Espagne ou d'Andorre, et à ceux qui savent que j'adore les cigares et m'en rapportent de leurs voyages. J'ai été parmi les premiers, comme ça, à fumer des Robaina. De fait, j'essaie, pour notre carte aussi, de proposer des nouveautés à côté des cigares traditionnels. (Nota : le Grand Véfour ne pratique pas les tarifs cigares décourageants que l'on observe trop souvent : 15% de marge seulement, parce que "ce ne doit pas être une raison de profit, mais un plaisir". Sic. Message à faire passer...).
Vos clients et le cigare ?
Il y en a des sévères ! Le cigare a hélas une mauvaise image. Il faut expliquer aux gens que c'est un moment de plaisir et de détente. Quand je fume mon cigare dans les jardins des Tuileries, c'est un moment de bonheur. Au restaurant ce qui est bien c'est de demander à la table voisine si le cigare ne gêne pas. Et je peux vous dire qu'à ce moment-là le cigare passe mieux. Je compare ça aux parfums d'Annick Goutal ou de Serge Lutens : on a envie de les suivre quand on en croise dans la rue.
Vous définiriez-vous comme un Epicurien ?
Ce n'est pas à moi de le dire. J'apprécie la vie au quotidien, et grâce à ce métier on a une ouverture parce que l'on peut voyager, rencontrer des tas de gens.... Je crois que s'il n'y avait que des cuisiniers, il n'y aurait jamais de guerre ! J'aime les belles choses, les bons vins, même si ce sont des vins de petits propriétaires, faits avec amour. Maintenant, quand on parle de marque, on est sûr qu'il y a une qualité. Je crois que la marque est un gage de qualité.
En dehors du Grand Véfour, à quoi occupez-vous vos loisirs ?
Le dressage, puis la balade, à cheval, donc. J'ai aussi fait beaucoup de montagne, mais j'ai eu un accident en 2000 et j'ai dû arrêter. Et tous les ans au mois d'août, c'est un mois à la découverte d'un pays en famille. Le Costa Rica, Cuba, Madagascar...
Le bonheur ?
C'est compliqué. C'est vivre sa vie, c'est un bateau. Et il passe aussi et surtout par la famille. Ce n'est pas politiquement correct, mais je crois ça.
Par Pascal Boyer
J'ai dirigé un relais-château à Divonne-les-Bains pendant huit ans, et puis le Grand Véfour depuis quinze ans aujourd'hui... J'y suis heureux, c'est une maison qui est vivante, classée monument historique, et néanmoins très fun parce que l'on peut vraiment s'amuser dans la présentation, par les recettes. Je ne me sens pas du tout bloqué par le poids de l'histoire.
Le Michelin vous honore de trois étoiles depuis cinq ans maintenant. Comment obtient-on une telle consécration ?
Il faut travailler, être dedans tous les jours, de la régularité, des ingrédients de qualité, et le sourire ! Il faut être heureux dans ce qu'on fait, prendre du plaisir au quotidien, avoir de bons collaborateurs...
Quelle image souhaitez-vous donner du Grand Véfour ? C'est tout de même
un établissement très classique par rapports aux autres grands restaurants, non ?
Classique par le décor, pas par la cuisine ! Ni par l'attitude des serveurs : ce n'est pas figé, le service est dynamique et chic.
Est-il exact que vous affichez complet tous les soirs, et que même pour déjeuner, il vaut mieux réserver ?
C'est vrai, nous sommes toujours complets le soir. Pour le déjeuner, les réservations se font très longtemps à l'avance, mais il arrive qu'il y ait des annulations de dernière minute, et l'on gère donc plus facilement la liste d'attente. Pour le dîner on arrive toujours à la compléter, parce que lorsqu'une réservation est annulée à 20h00 ou 20h15, on peut encore rappeler les clients sur la liste, ce qui n'est pas possible le midi.
Quelle est longueur de cette liste d'attente ?
Nous la bloquons à dix noms.
Parlons de votre cuisine. Comment la qualifieriez-vous ?
Elle est hyper calée au marché, aux producteurs. On a vraiment une qualité d'ingrédients, une traçabilité. Et en même temps, dans chaque recette, à part les ravioles de foie gras qui font partie de la grande tradition de la maison, c'est une cuisine vivante. On y trouve des épices qui viennent du Maghreb, des citrons du Moyen-Orient ou d'Asie...
Votre carte est réputée être l'une des meilleures, mais vos plats profitent aussi de présentations très raffinées, voire sophistiquées. Comment concevez-vous, et réalisez-vous, ces assiettes magiques ?
La peinture m'aide à vivre en général, je suis vraiment amateur et suis trois fois par mois dans les musées, et les tableaux peuvent m'inspirer : cela peut être la dynamique d'un mouvement, la matière ou l'œuvre dans son ensemble... Ensuite les associations se dessinent dans ma tête : je dessine le plat sur une feuille de papier, et la recette est quasiment faite : il n'y a plus qu'à faire les réglages en cuisine, les notes croquantes ou acides, les différences de températures... En fait il n'y a plus qu'à poser la recette, parce qu'en même temps que je dessine le plat, elle mûrit dans ma tête. Le cœur de la recette c'est le dessin : lorsque le décor est créé, tout est fait, après il ne reste que le réglage, les dosages.
Cela vous vient-il comme ça, ou bien vous travaillez-vous à l'élaboration de nouveaux plats ?
Jamais ! Ca vient comme ça ou ça ne vient pas. Et si j'imagine une recette, il faut que je la note tout de suite, parce que après, j'oublie. J'écris des livres pour le grand public, qui reprennent des recettes que je fais à la maison pour mes amis ou ma famille (et qui ne sont pas des recettes que je fais pour le Grand Véfour), mais je n'ai aucun cahier de recettes !
Parlons un peu de l'homme à présent. Vous avez la réputation d'être amateur de mode, de chaussures, de cigares... Quel est votre couturier préféré ?
Il m'est difficile de répondre, parce que ça dépend ! Mon dernier coup de cœur était pour un costume Kenzo, que j'ai adoré. J'aime la façon dont ils soignent leurs intérieurs, ce qui ne se voit pas, comme Paul Smith. Mais ça peut aussi être des gens moins connus, voire des copains qui font des vêtements !
En chaussures ?
Là aussi, j'ai eu un coup de coeur pour les couleurs rouge orangé de Gérard Sené : la patine était superbe et je trouvais cela très osé. J'aime aussi beaucoup Aubercy, plus classique mais excellent, mais cela peut être aussi une paire mesure fabriquée en Angleterre ou en Thaïlande. D'une manière générale, j'adore les chaussures : je peux aller jusqu'à Milan pour découvrir les nouveautés ! En fait, je marche plutôt au coup de flash : je suis open. (Nota : à ses pieds le jour de notre rencontre une paire de richelieu Gucci bout carré à empeigne unie).
Les cigares ?
J'adore, je suis un vrai passionné ! Mon père m'a initié au vin et au cigare. Pour mes 18 ans il m'a fait découvrir le Margaux et les Davidoff, cubains à l'époque. C'est un vrai moment de faire goûter un cigare avec un bon vin, j'apprécie le geste, la confiance, toute la symbolique. On se retrouve à trois ou quatre copains, on enlève les bagues et on goûte en blind. Le cigare est un univers magique, quelque chose d'affectif et d'important pour moi.
La carte du Grand Véfour bénéficie-t-elle de cette passion ?
Ce qui m'intéresse aussi, c'est d'essayer d'avoir ceux qui viennent de sortir. J'y arrive grâce à des amis d'Espagne ou d'Andorre, et à ceux qui savent que j'adore les cigares et m'en rapportent de leurs voyages. J'ai été parmi les premiers, comme ça, à fumer des Robaina. De fait, j'essaie, pour notre carte aussi, de proposer des nouveautés à côté des cigares traditionnels. (Nota : le Grand Véfour ne pratique pas les tarifs cigares décourageants que l'on observe trop souvent : 15% de marge seulement, parce que "ce ne doit pas être une raison de profit, mais un plaisir". Sic. Message à faire passer...).
Vos clients et le cigare ?
Il y en a des sévères ! Le cigare a hélas une mauvaise image. Il faut expliquer aux gens que c'est un moment de plaisir et de détente. Quand je fume mon cigare dans les jardins des Tuileries, c'est un moment de bonheur. Au restaurant ce qui est bien c'est de demander à la table voisine si le cigare ne gêne pas. Et je peux vous dire qu'à ce moment-là le cigare passe mieux. Je compare ça aux parfums d'Annick Goutal ou de Serge Lutens : on a envie de les suivre quand on en croise dans la rue.
Vous définiriez-vous comme un Epicurien ?
Ce n'est pas à moi de le dire. J'apprécie la vie au quotidien, et grâce à ce métier on a une ouverture parce que l'on peut voyager, rencontrer des tas de gens.... Je crois que s'il n'y avait que des cuisiniers, il n'y aurait jamais de guerre ! J'aime les belles choses, les bons vins, même si ce sont des vins de petits propriétaires, faits avec amour. Maintenant, quand on parle de marque, on est sûr qu'il y a une qualité. Je crois que la marque est un gage de qualité.
En dehors du Grand Véfour, à quoi occupez-vous vos loisirs ?
Le dressage, puis la balade, à cheval, donc. J'ai aussi fait beaucoup de montagne, mais j'ai eu un accident en 2000 et j'ai dû arrêter. Et tous les ans au mois d'août, c'est un mois à la découverte d'un pays en famille. Le Costa Rica, Cuba, Madagascar...
Le bonheur ?
C'est compliqué. C'est vivre sa vie, c'est un bateau. Et il passe aussi et surtout par la famille. Ce n'est pas politiquement correct, mais je crois ça.
Par Pascal Boyer
Janvier 2007