Gastronomie


Caviar, la relève de l'élevage français

En constant progrès, d'une traçabilité exemplaire, il offre une excellente alternative aux amateurs d'or gris. Aujourd'hui, les amateurs de caviar ont l'embarras du choix.

Mais que choisir entre caviar sauvage et caviar d'élevage ? Parmi les premiers faut-il préférer ceux de la Caspienne du Nord à ceux de la Caspienne du Sud ? Autrement dit, caviars azéri, kazakh, turkmène, etc. ou iranien ?
L'affaire se complique quand il s'agit de se décider pour du sevruga, du beluga ou de l'osciètre. Et quel osciètre élire : royal, impérial ? Viennent encore des distinctions entre tradition et nouvelle pêche. Et comme si ça ne suffisait pas, certaines maisons brouillent parfois votre parcours initiatique par d'autres appellations qui leur sont propres....


Sauvage ou élevage

Essayons de nous y retrouver. Le caviar est un avatar d'œufs d'esturgeons, préparés afin d'être consommés tels quels ou bien pressés, ou propres à entrer dans quelques préparations imaginées par les cuisiniers. Au commencement, il a 24 espèces d'esturgeons (27 si l'on compte les apparentées) recensées dans le monde. Mais ces différents esturgeons (Acipenser) ne sont pas tous recherchés pour leurs œufs, trop petits et/ou sans intérêt gustatif. Ne sont retenus que quelques espèces soit sauvages soit d'élevage.
Des premières on retiendra :
Le sevruga tiré de l'Acipenser stellatus est fait de petits grains gris foncé. Marqués par l'iode, ils sont d'une grande finesse et goûteux.
L'ossetra (osciètre) issu de l'Acipenser guelden staedti et de l'Acipenser persecus est constitué de grains plus gros que le sevruga et plus fermes. Leur couleur va du doré au brun en passant par le gris anthracite. De saveur délicate et d'arômes complexes, ils sont très appréciés par les amateurs.
Le beluga (1) est issu de l'Huso huso, le plus gros et le plus rare des esturgeons. C'est aussi le plus cher. Fragiles et moelleux, les gros grains ont une saveur subtile.
Des secondes :
Le baeri, esturgeon sibérien, a été introduit en France à la fin des années quatre-vingt. Il peut vivre et se reproduire en bassin. Aujourd'hui, grâce aux progrès accomplis par les éleveurs, le caviar qui en est issu a acquis ses lettres de noblesse. Il s'apparente à l'osciètre par ses qualités gustatives et souvent par la taille des œufs.
Le transmontanus est un esturgeon blanc élevé en Californie également acclimaté en Italie. Il rappelle l'osciètre par la taille des grains et le sevruga par leur couleur.

Réussite française

De nombreuses maisons, dont certaines ont été créées au début du 20e siècle, proposent ces différents caviars dans l'Hexagone, en Belgique et en Suisse. Chacune a sa spécificité russe, iranienne ou française en fonction de son histoire et de son approvisionnement. Mais il faut savoir que depuis quelques années, les quotas d'importation des caviars sauvages ont spectaculairement diminué. Et du coup le prix du kilo a fait un bond qui le rend pour ainsi dire inabordable. Parallèlement, grâce à un élevage de mieux en mieux maîtrisé de l'Acipenser baerii en Aquitaine, la quantité de caviar français produite augmente d'année en année (environ vingt tonnes en 2006).
Depuis la fin des années 90, des dégustations à l'aveugle ont prouvé que le caviar d'Aquitaine avait progressé en qualité au point d'être l'égal de certains caviars sauvages. Un signe qui ne trompe pas, de plus en plus de chefs de restaurants gastronomiques le mettent à la carte et ceci pas seulement pour des raisons économique car le caviar d'élevage a aussi un prix.

Affaire de goût

Au bout du compte, le meilleur caviar est celui qui vous donne du plaisir. Pour certains ce sera un caviar jeune (dit de nouvelle pêche) pauvre en salage, pour d'autres qui aiment un goût plus marqué, ce sera un caviar mature et plus salé.
Une apparence brillante, découplé et chatoyante sera toujours préférable à un aspect mat, compact et huileux tant le plaisir gustatif passe d'abord par la vue. La couleur (du gris au noir en passant par le doré) jouant un rôle tout aussi subjectif, la texture s'exprimera : onctuosité, gras, rondeur, fermeté...

Art de la dégustation
 
L'intensité du plaisir dépend aussi de la dégustation. On a vu que des cuisiniers conçoivent des recettes originales autour du caviar mettant ce dernier en valeur et que le caviar peut rehausser un mets.
Mais de l'avis des amateurs, la meilleure façon d'apprécier le caviar est encore de le déguster seul avec une petite cuillère en corne, en nacre, voire en bois, en or ou en vermeil (mais jamais en argent car ce métal dénature les arômes).
La boîte de caviar frais sera ouverte au moment de la dégustation et présentée telle quelle, éventuellement sur un lit de glace pilée pour une jolie mise en scène.

La conservation

Sa durée dépendra de la date de pêche. La DLC (date limite de consommation) est clairement indiquée sur les boîtes de caviar français, beaucoup moins voire inexistante sur les boîtes de caviar sauvage. Dans ce cas et dans sa boîte d'origine bien fermée, il peut se conserver quelque temps au réfrigérateur, entre 0 et 4°C. Lorsque le caviar est resté trop longtemps dans sa boîte les qualités olfactives et gustatives du caviar s'altèrent rapidement. Son apparence se dégrade (il s'écrase et baigne dans l'huile) et prend des goûts parasites (par exemple métallique).

Septembre 2007
Par Jean-Marie PINÇON
Éphémère et éternel

Il n'y a pas plus éphémère qu'un grain de béluga, pas plus fragile qu'un oeuf d'esturgeon. Et pourtant le caviar traverse le temps, plus désiré que jamais. Il est un des emblèmes les plus référents du luxe, ce luxe dont Paul Morand disait qu'il "est immoral quand il n'est pas au service du goût". Mais, au-delà de la morale, comme tous les produits de luxe, le caviar élève tous ceux qui l'approchent, à commencer par le consommateur. Ce qui se jette est par définition éphémère mais cet éphémère-là n'inspire pas le désir. En revanche, si l'œuf d'esturgeon est éphémère, le désir qu'on en a est pérenne. Et jusqu'ici, comme le diamant, le caviar est éternel...

Actuellement une campagne de protection de l'espèce orchestrée et reprise en France par Seaweb en interdit l'importation au Etats-Unis premier consommateur de caviar beluga. Le rôle louable de cette organisation ne doit pas masquer les autres causes de disparition des espèces d'esturgeons. En effet, si la pêche anarchique d'esturgeons pratiquée dans la Caspienne est en partie responsable de la régression de l'espèce, la pollution par les industries du bord de cette mer ont leur part dans ce désastre tout comme la construction de barrages et d'ouvrages d'art sur le cours des fleuves interdisant la remontée des poissons cers leur lieu de reproduction. Naguère, les mêmes causes ont produit les mêmes effets en France où l'esturgeon Acipenser Sturio a pratiquement disparu. Cette espèce a été protégée en 1982. Enfin, il est malheureusement démontré que l'interdiction pure et dure n'empêchera pas les braconniers de continuer leur lucrative besogne. Elle ne fera probablement que développer le commerce parallèle propre à toute prohibition. Seule une action conjointe et raisonnée des états producteurs et la volonté des acheteurs d'acquérir du caviar officiellement contrôlé seront salvateurs. L'éducation du consommateur et la mise en garde contre la tentation d'achat hors des circuits officiels procède en effet de la même démarche raisonnée de sauvegarde des espèces menacées.