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Tawaraya : Les traditions vivantes au Japon

Les éditions Philippe Picquier se sont fait remarquer par le courage et la perspicacité qui les ont animées dans l'illustration des cultures asiatiques, et notamment la culture japonaise, un domaine jusqu'alors timidement abordé par la sphère éditrice française. C'était donc une audace éditoriale et une aventure bien téméraire, heureusement récompensée par le succès.
L'un des superbes fruits de cette audace est un ouvrage sur le Ryokan Tawaraya, une des plus magnifiques auberges traditionnelles du pays du soleil levant, qui connaissent, à nouveau, un engouement justifié par la qualité et l'authenticité.
Lecture et visite de cette auberge gérée par la même famille depuis le début du XVIIIème siècle et qui n'a pour ainsi dire pas changé depuis l'époque où les daimyôs venaient y passer la nuit.
La culture de Kyoto, où perdure un art de vivre unique

L'auteur, Muramatsu Tomomi, (selon l'usage japonais son nom de famille précède son prénom), a investi tout au long des 223 pages de son livre toute sa sensibilité, sa force d'observation et son attachement - presque féroce - pour la tradition de son pays, tout particulièrement celle de Kyoto, l'ancienne capitale où perdure contre vents et marées un art de vivre unique. (Cette ville est le témoin si fort d'une culture rare que lors de la dernière guerre, l'armée américaine lui avait épargné la destruction...)

Madame Satô Toshi représente la onzième génération des possesseurs de ce joyau de culture

Le fil rouge de cet ouvrage réside dans la force de caractère de l'actuelle propriétaire de l'auberge Tarayawa, Madame Satô Toshi, qui représente la onzième génération des possesseurs de ce joyau de culture. L'auteur s'est ainsi trouvé "de plein pied avec ce qui fait l'originalité de Kyoto" grâce à cette personnalité qui défend avec une ardeur peu commune les artisans de Kyoto.
C'est toujours le même soin apporté au décor architectural, les mêmes techniques de fabrication des tatamis, les même recettes pour confectionner le fromage de soja. Outre la magie du lieu, les métiers artisanaux, du charpentier au fabricant de papier nous sont présentés à travers les photographies de Naoya Hatakeyama. On découvre ainsi comment ces artisans minutieux et exigeants, animés par le même idéal de perfection esthétique, entretiennent avec l'auberge qu'ils font vivre d'étroites relations d'interdépendance et transforment, grâce à leur savoir-faire ancestral, l'extraordinaire en quotidien.

Méticulosité

L'un des mots-clefs qui révèle la qualité d'accueil inégalée du Tawaraya est la "méticulosité". Non seulement le décor floral, l'agencement des jardins, la matière des lits, (les fameux "futons" japonais), l'exquisité de la cuisine, séduisent l'hôte, mais aussi le fait que "chacun contribue avec toute la méticulosité voulue aux devoirs d'hospitalité tel que le conçoit Madame Satô. C'est à dire tel que le concevait ses ancêtres.
Il est évident qu'en tant que japonaise, l'auteur a une grande admiration pour cette femme qui dirige son établissement familial de plus de 300 ans avec un respect et un amour filial de la tradition mais aussi avec le sens de la modernité et de l'innovation. Le Ryokan qui reçoit un gros contingent d'étrangers a une liste impressionnante d'hôtes de marques, de Leonard Bernstein au premier ministre canadien Pierre Trudeau en passant par Alfred Hitchcock ou l'écrivain Saul Bellow.

Une petite cage en herbe

La culture littéraire de l'auteur donne à ses descriptions un relief parfois émouvant. Elle a ainsi été ravie de trouver un soir dans sa chambre une petite cage en herbe qui abritait un insecte d'automne. Cette étonnante attention de ses hôtes fit qu'elle se souvint alors d'une cage identique qu'elle avait vu au musée Koizumi Yakumo. (Du nom japonais de cet étrange écrivain irlandais qui au 19ème siècle devint japonais...et dont la mère était grecque). Il lui revint en mémoire qu'il ressentait une sorte émotion à écouter ce chant, mais aussi que c'était une coutume commune aux Japonais... et aux anciens Grecs. Au delà des mers et des années les cultures en apparence les plus éloignées trouvent des accords étonnants et révélateurs.
Et cette délicate émotion nous est aussi perceptible.
A un autre moment elle évoque avec une grande justesse, dans ce cadre subtil et ancien, l'"Eloge de l'Ombre" de Tanizaki Junichiro.

"J'ai trouvé ici ce que j'espérais trouver au Japon : l'humanité, la tranquilité et la beauté."

Tous les connaisseurs du "luxe" sont unanimes : Ce sont les détails qui font la différence entre l'ordinaire et l'extraordinaire, et il n'est pas étonnant qu'un chapitre entier soit consacré par l'auteur aux petits objets usuels qui ont été conçus exclusivement pour Tawaraya : Le savon, la brosse, le futon de plumes, la papeterie, et jusqu'aux chemises en soie, dessinées par la propriétaire elle-même. Cette somme de petites attentions discrètes, parfois même non perçues par les hôtes, donnent à ce lieu une athmosphère de subtile beauté.
C'est sans doute pouquoi Saul Bellow a laissé ce témoignage : "J'ai trouvé ici ce que j'espérais trouver au Japon : l'humanité, la tranquilité et la beauté."
Août 2004
Par Sawako TAKAHASHI
Tawaraya : Les traditions vivantes au Japon

Texte de Tomomi MURAMATSU
Photographies de Naoya HATAKEYAMA
Editions Philippe Picquier 35 Euros

TAWARAYA Ryokan
Adresse :
Anenokoji-agaru, Huya-cho, Nakagyo-ku, Kyoto-shi, 604
Tel : 075-211-5566.
Fax : 075-211-2204
18 Chambres
Prix : de 35.000 à 75.000 yens (de 292 à 625 dollars) par personne, 2 repas compris.