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Une dégustation au Crillon

Une vie de dégustateur est comme toute vie professionnelle jalonnée d'étapes. Celles de son premier Latour, de son premier Pétrus, de son premier Yquem...
Autodidacte formé à Bordeaux, il me fut relativement aisé d'accéder à ces crus prestigieux, au contraire des grands bourgognes peu prisés de ces "barbares" girondins. C'est cela qui me décida un beau jour à "monter" à Paris afin d'acquérir une vision plus jacobine du vignoble français. Je fis bien, car, grâce à Francine Legrand et son époux, j'ai pu déguster les produits des meilleurs vignerons de la Côte d'or.
Un seul, ou presque, me résistait encore : La Romanée-Conti.
Une étape dans la vie d'un dégustateur

Une espèce de timidité de ma part, et l'inquiétude de passer à côté d'un chef d'œuvre, sachant qu'un grand vin n'est pas une accumulation de qualités, une espèce monstrueuse de concentration : plus d'arômes, plus de parfums, plus de couleurs, plus d'alcool, etc., mais l'expression d'un mariage heureux et équilibré de qualités subtiles et indéfinissables, à nulles autres pareilles, me taraudaient.
Toujours est-il que lorsque vint cet heureux jour de mai 2004 où je fus convié au sein d'une pléiade de réputés dégustateurs à participer au Crillon a la présentation du millésime 2001 de ce fameux domaine je répondis présent. Au programme sept grands crus étaient proposés à nos papilles, dont cette pépite sortie de moins de 2 hectares de vigne.

Faire partager une émotion avec des mots

Comment faire partager un tel moment, une telle émotion avec des mots. C'est là une des plus principales difficultés de ce métier. Je vais quand même tenter d'y parvenir en vous livrant mes notes de dégustation. Elles valent ce qu'elles valent, elles m'appartiennent. Ce sont celles d'un dégustateur avec son histoire, sa mémoire et ses mots. Vous comprendrez à leur lecture que quelques années d'apprentissage ne furent pas superflues avant de se risquer dans cette aventure.


ECHEZEAUX 2001 :
Robe d'un rubis intense, colorée.
Nez expressif de petits fruits noirs, avec poivre noir, cacao, réglisse, et terre chaude.
Attaque douce et enveloppée, montée en bouche sur une impression kirschée soutenue par un velouté de cerises noires. Pulpeux avec une finale toute en douceur sur des tanins fondus. Epanoui.


GRANDS ECHEZEAUX 2001 :
Robe aux rebords légèrement tuilés.
Nez exprimant des expressions de fruits bien mûrs, type prunes violettes, quetsches, sur un fond floral, rosé, épanoui.
Bouche de moyenne ampleur, avec une persistance boisée encore présente qui lui confère une relative sécheresse en fond de bouche, accentuée par la richesse alcooleuse.
Beau vin, mais à attendre.


ROMANEE-ST-VIVANT 2001 :
La robe est intense, couleur rubis.
Le nez est délicat et complexe mêlant caractères empyreumatiques (amandes grillées, croûtes de pain), notes kirschées, et florales (fleurs blanches, muguet).
Bouche sphérique et suave où on retrouve en rétro-olfaction du floral (lilas, violettes), du fruit (quetsches), et des épices douces (safran).
Ce vin est très voluptueux, tout en douceur et subtilité.


RICHEBOURG 2001 :
Robe présentant quelques traces d'évolution.
Nez très expressif sur la minéralité et la viande.
Bouche de moyenne intensité avec des tanins rappelant des pépins grillés, impression confortée par des arômes camphrés, des notes résineuses, et une finale sur le poivre gris. On peut imaginer des petits raisins peu pulpeux récoltés à grande maturité.
Original.


LA TACHE 2001 :
Très belle robe soutenue de caractère jeune.
Nez opulent de fruits mûrs sur fond de terre chaude.
Bouche assez ferme aux tanins présents, dominée par une minéralité de type argileuse (fraîcheur mentholée), quelques notes de camphre et une finale de cerises noires sur fond de jus de cuisson de rôti .
Vin impressionnant, restant soyeux malgré sa puissance et sa concentration.


ROMANEE-CONTI 2001 :
Robe de moyenne intensité.
Nez surprenant associant minéralité, fraîcheur du rocher, champignons fins, beaucoup de petits fruits rouges, groseilles, fraises des bois, framboises.
Tanins délicats, bouche sur des notes cendrées et de rosés fanées.
Très aristocratique.


MONTRACHET 2001 :
Le grand blanc du domaine. Couleur jaune dorée. Nez mêlant agrumes, amandes grillées, beurre frais, fruits exotiques.
En bouche on retrouve ce mariage heureux associant, la mangue confite, les kumquats, les clémentines et l'opulence des fleurs blanches (acacia). Enormément de gras et de rondeur pour ce vin sec mais aux arômes de grand liquoreux.
Magnifique bouteille !



Conclusion : A l'éternel débat opposant les tenants de la puissance plaçant La Tâche devant la Romanée Conti, je me garderais bien de trancher, même si à mon goût la délicatesse et "l'étrangeté" de cette dernière semble justifier le piédestal sur lequel les oenophiles l'auront hissée, avec comme conséquence un tarif rendant ces moments particulièrement rares. Encore merci au domaine et à Christian de Chateauvieux, l'organisateur de cette dégustation, de m'avoir permis d'effleurer le mystère de ce très grand vin : Cela n'a évidemment pas de prix !
Septembre 2004
Par Pascal FAUVEL