Plaidoyer pour le cigare
Et si l'une des terreurs, quasi-enfantine, qui nous attend au coin de la rue, fumer en catimini sous le regard d'un big brother omniscient, était déjà là?
A quoi ressemblerait un monde sans fumées, sans cigares, sans épicuriens ? A un monde désolé où le plaisir se mesure à l'aune des équilibres comptables.
Défense du souffle végétal.
A quoi ressemblerait un monde sans fumées, sans cigares, sans épicuriens ? A un monde désolé où le plaisir se mesure à l'aune des équilibres comptables.
Défense du souffle végétal.
Quelques réflexions sur le tabac et l'atmosphère de terreur qui l'environne aujourd'hui
A New York le 11 septembre 2001, quelques instants avant l'écroulement des tours du World Trade Center qui allait faire des milliers de victimes, dans l'obscurité totale des couloirs et des halls, quelques personnes cherchent anxieusement, une issue. Pas de fenêtre pour éclairer leur fuite, pas le plus fin rai de lumière pour diriger leur évacuation : le trou noir. Dans la panique qui s'empare du petit groupe, un individu s'approche et prend l'initiative, un homme d'ordinaire rejeté aux portes des bureaux pour assouvir son vice, un immoral, un délinquant : un fumeur. Parce qu'il est le seul fumeur - espèce honnie d'un puritanisme américain de triste mémoire - en ce lieu, en cet instant, il est aussi le seul à disposer encore d'un briquet, de la flamme salvatrice qui permet au groupe de s'orienter, sortir et d'échapper à la mort. L'anecdote relatée par des journaux me fut rapportée par des amis new-yorkais, mais la démesure de la catastrophe et l'obsession anti-tabac ne permirent pas aux Américains traumatisés d'en tirer quelque enseignement sur la tolérance.
Qu'il me soit permis à travers ce plaidoyer pour le cigare, d'exprimer quelques réflexions sur le tabac et l'atmosphère de terreur qui l'environne aujourd'hui. Réflexions que j'adresse aux amateurs qui comme moi, savent lire, écrire, compter, et juger de leur goût. Ils savent aussi apprécier la discussion qu'agrémente une bonne fumée, sans mépriser les contradicteurs ni dédaigner les vertus de la polémique.
Les effets de la publicité fondé sur l'anxiété et la dramatisation sont peut-être plus pervers que le mal
L'hystérie anti-tabac gagne l'Europe et la France. Nos habitudes de suiveurs nous perdrons si nous ne prenons du recul. Les prix du tabac augmentent de 10 à 20% régulièrement en toute bonne conscience, et les paquets de cigarettes, de tabacs de pipe, ou les cigares, se couvrent de "warning" (l'américain s'impose ?) évoquant les pathologies cardio-vasculaires, les cancers, les composés chimiques industriels, ou encore le lapidaire "Fumer tue" aux allures de calembour (le tort tue aussi). Or, si le cadre noir de ces "warnings" est devenu aussitôt un élément du décor des paquets de cigarettes (ceux de nos boîtes de cigare, comme une espèce de sceau de garantie supplémentaire) les effets de ce type de publicité fondé sur l'anxiété et la dramatisation sont peut-être plus pervers que le mal qu'il prétend combattre.
Car en usant du langage de façon publicitaire quand il devrait s'agir d'information et de vérité, la prolifération des "warnings" s'autorise le mensonge. Et perd de sa crédibilité. Qui ne voit que "Fumer tue" est un mensonge analogue à "La fraîcheur du petit matin" (ce slogan qui qualifiait la fumée des cigarettes Gallia dans les années 70), puisqu'en fumant je ne tue personne, ni (pour l'instant ?) ne suis tué par personne. D'où il résulte que "Fumer tue" n'effraie que ceux qui ne fument pas, quand cela n'attire pas les adolescents vers la fumée, eux si sensibles aux sirènes de la transgression.
Le théâtre de la culpabilité
Fumer - plus certainement fumer en inhalant la fumée - peut entraîner des maladies graves voire mortelles comme des cancers : cela est confirmé statistiquement. Mais, d'une statistique quelle qu'elle soit, il est mensonger de tirer une vérité absolue sans déformer et déréaliser les mots, voire le langage tout entier.
Des médecins plus sérieux que ceux qui désirent changer la statistique en loi déterminante pour tout individu (l'individu est justement ce qui échappe à la statistique), devraient préciser de quel usage du tabac il est question. Ils pourraient aussi indiquer à ceux qui sont particulièrement visés (les fumeurs de cigarettes), des seuils statistiques de dangerosité. Une vraie information permettrait aux fumeurs excessifs ou "addicts" de se freiner en connaissance de cause, plutôt que de rebondir de patchs en rechutes comme des pêcheurs un jour repentants, l'autre se ruant dans leur coulpe et entre les deux gavés de substituts pharmaceutiques. On croirait qu'ils entrent dans les ordres !
Or l'acte d'arrêter de fumer ou de s'en tenir à une mesure non toxique n'a pas besoin de ce théâtre de la culpabilité, orchestré collectivement sous prétexte de santé publique. Un bon médecin fait de remarquables diagnostics ainsi que de judicieuses ordonnances, on ne lui demande pas des ordres.
Un "glissement sémantique"
D'ailleurs, bon nombre des plus grands médecins et chercheurs français en cardiologie, neurologie, cancérologie, psychologie, sociologie, fument (le cigare souvent) et considèrent que la fumée dans certains de ses usages, présente des avantages en termes de santé psychique, de résistance au stress, et de sociabilité.
"Fumer tue" comme message, émanant d'une autorité collective, devrait donc être condamné fermement par l'Académie Française comme "glissement sémantique" incompatible avec la rigueur classique de la langue de Racine. L'expression : "Statistiquement, il est vrai, fumer peut tuer" serait plus proche de la vérité et formerait un alexandrin passable, bien que le choix criminalisant du mot "tuer" prêterait à commentaire. Parmi les exemples récents de glissements imposés au sens des mots, on notera que les accidents de la route, ordinairement dus à l'inconscience des conducteurs, sont devenus à la télé des "violences" routières. Ce qui ôte tout sens clair au mot de "violence" et jette un voile (islamique ?) sur des violences moins sémantiques et plus urgentes à traiter.
Prohibition et fiscalité
Le modèle américain de la prohibition, testé en grandeur absolue à l'époque d'Al Capone, a fait ses preuves. Elles alimentent encore l'industrie hollywoodienne du cinéma. Et New York, la ville splendide de tous les excès, y reprend goût actuellement avec le tabac, en allant traquer de loi en loi la liberté individuelle jusque dans les bars, les restaurants et même dans la rue. Il est permis d'en rire et de penser que le cinéma européen n'a pas besoin de la contrebande du tabac pour trouver matière à de bons scénarios. Car le premier effet du renchérissement constant du tabac en France est l'augmentation nette des achats transfrontaliers dans les départements touchant aux frontières : 20% de diminution des ventes tabac en départements frontaliers pour 13,5% en moyenne nationale, et apparition de la contrebande. Une situation qui favorise la criminalisation du tabac et des fumeurs et pose la question de l'harmonisation européenne. Sera-t-elle celle de la prohibition ou de la liberté d'usage conscient? Ce n'est pas qu'un débat d'école.
Tondre les fumeurs est une affaire fiscale sans grand avenir
En attendant l'Europe, on pourrait espérer que le renchérissement "hygiéniste" du tabac en France, offre au moins l'opportunité d'augmenter la recette fiscale. Même si la gestion exclusive du dossier par le Ministère de la Santé écarte toute mauvaise pensée de ce côté. Après tout, dit la rumeur médiatisée, que les fumeurs paient n'est que justice : ils creusent le trou de la Sécu avec leurs cancers !
Or la réalité est assez différente : d'abord le trou de la Sécurité sociale est estimé autour de 11 milliards d'euros pour 2003 et le montant de la recette fiscale du tabac en France tourne autour de 11 milliards d'euros (rapport Altadis) en 2003 (10,92 milliards €) ! On dirait presque que les fumeurs bouchent ce trou...Ensuite la recette est restée à peu près la même en 2003 qu'en 2002 (10,89 milliards ), la hausse des prix compensant juste la diminution de la consommation. Tondre les fumeurs est une affaire fiscale sans grand avenir.
Les médecins nous dirons si c'est le nombre des fumeurs qui chute ou la chute des fumeurs dans la contrebande qui fait l'invariance du magot. Quoique pour y voir clair, il faudrait réprimer la contrebande (ce qui coûte cher) et que la Santé (ministère) alimente la Santé (zonzon)....
L'amalgame : le fumeur de cigare n'inhale pas sa fumée, il la goûte
On parle de tabac en général et l'on oublie que la grande feuille des Taïnos et des Mayas a généré des usages divers qui n'ont ni la même fréquence, ni la même fonction, ni la même qualité eu égard au plaisir. La dangerosité elle-même semble différente d'un usage à l'autre, et pour mémoire les chamanes, ancêtres de nos « experts » médicaux appréciaient la vertu hygiénique des injections rectales de jus de tabac.
Sans rire, face aux haros sur le tabac en général, il faut pointer encore l'abus de langage qui amalgame cigarette et cigare en les réduisant au genre. Car cigarette et cigare relèvent d'un mode de consommation différent. Avant tout, l'inhalation les distingue. Car à la différence du fumeur de cigarette, le fumeur de cigare n'inhale pas sa fumée, il la goûte. Certes il en inhale un peu puisqu'il est capable d'emboucaner sereinement sa vie durant quelques bons fauteuils et bonnes tables de ses volutes gourmandes. Mais ces risques pulmonaires sont-ils plus importants que l'exposition au diesel ambiant de nos villes ?
Goûter la fumée d'un cigare signifie l'apprécier en bouche et au nez selon ses arômes, sa texture, sa puissance, en appréciant l'ivresse gustative qu'elle procure. Une ivresse nicotinique rassasiante que ne connaît pas le fumeur qui court de cigarette en cigarette. Ce dernier aspire dans ses poumons une fumée sans goût sinon celui des produits de synthèse, plus ou moins toxiques élaborés dans le seul but de l'accoutumer, et dont l'effet nicotinique fugace et plus pulmonaire et cardiaque que cérébral se change aussitôt en impatience.
Le cigare rend patient
A l'inverse, le cigare rend patient. De cette patience de déguster, converser, lire, comprendre, et de ne pas se laisser mener par les évènements. Le cigare est d'ailleurs souvent utilisé explicitement à cet effet. Dans son livre "Cigare, de l'initiation à la maîtrise ", G. Belaubre rapporte une anecdote historique. "Voici comment le commandant d'Hérisson, aide de camp de Jules Favre, relate la négociation de l'armistice de 1871 : "Au moment où commençait l'entretien, le chancelier Bismarck prit la soucoupe aux trois cigares, et, la tendant à Jules Favre : "Fumez-vous ?" demanda-t-il. Jules Favre s'inclina pour refuser, et déclara qu'il ne fumait jamais. "Vous avez tort, lui dit bonnement le cuirassier diplomate. Lorsqu'on aborde un entretien qui peut parfois générer des discussions, engendrer des violences de langage, il vaut mieux fumer en causant. Quand on fume, voyez-vous, continua-t-il en allumant le Havane, ce cigare que l'on tient, que l'on manie, que l'on ne veut pas laisser tomber, paralyse un peu les mouvements physiques. Moralement, sans nous priver en aucune façon de nos facultés cérébrales, il nous assoupit légèrement. Le cigare est une diversion, cette fumée bleue qui monte en spirale et qu'on suit malgré soi des yeux, vous charme, vous rend plus conciliant. On est heureux, la vue est occupée, la main est retenue, l'odorat est satisfait. On est disposé à se faire des concessions mutuelles... " (p86)
"Un fumeur de cigare ne peut être totalement mauvais !"
Cette dimension relaxante et conciliante de la fumée du cigare, due à son mode de consommation et aux vertus naturelles des feuilles, est évidemment loin de la fébrilité anxieuse qui accompagne l'usage respiratoire éminemment compulsif de la cigarette. André Santini, Député Maire d'Issy-les-Moulineaux qui affirme son goût pour le cigare et trempe dans ses volutes un humour à l'anglaise, en déduit qu'un fumeur de cigare "ne peut être totalement mauvais !".
Quant à l'accoutumance (dépendance), si le cigare est souvent considéré comme un vice par le budget pressing des rideaux du salon, je ne connais pas d'amateur qui ne professe son indépendance d'esprit et de corps et ne soit capable de s'abstenir au besoin, sans souffrir le martyre qui tenaille les "addicts" de la cigarette. Aux sots qui diront : "Pourquoi n'arrêtez-vous pas alors ?" il répondra qu'entre fumer et arrêter, entre blanc et noir, loin de cette alternative binaire à laquelle nous réduit nos ordinateurs, le fumeur de cigare apprécie la maîtrise du plaisir et toutes les nuances gustatives qui unissent le non au oui dans la dialectique de ses volutes.
Cigare, plaisir et respect
A l'école primaire publique, l'instituteur nous enseignait que le respect est la première valeur de la vie en société. Les programmes ont-ils changé depuis ? La diabolisation des fumeurs ne fera pas vivre les non-fumeurs plus longtemps et le respect est souhaitable des deux côtés. Quant à ceux qui veulent s'occuper de censurer mon plaisir "pour mon bien" - au nom de quelque expertise médicale, religieuse, sociologique, scientifique, ou militaire- ils me donnent envie de leur chanter un de ces merveilleux airs de Don Giovanni.
Le contre-exemple new-yorkais et la multiplication des interdits du tabac dans les bars, les restaurants (la rue même à présent!) repose sur un principe purement moraliste : "fumer est mal ". Car si la protection des mineurs et l'interdiction dans les lieux publics fermés sont légitimes, on voit mal la légitimité de légiférer jusque dans les lieux ouverts ou dans les bars et restaurants qui ne sont pas à proprement parler des lieux publics puisque le gérant en est le responsable devant la loi.
La fréquentation des bars et restaurants n'est pas obligatoire pour l'instant ... Libres doivent donc rester restaurateurs, cafetiers et hôteliers de choisir s'ils veulent se réserver une clientèle fumeurs ou non-fumeurs, ou encore s'ils veulent s'équiper d'extracteurs efficaces résolvant le dilemme. Tous savent bien que les fumeurs de cigare sont généralement amateurs de bonne cuisine comme de bons vins. Qu'ils consomment généralement plus que les autres et souvent des produits plus "luxueux" aux marges confortables.
Car le cigare est un produit de bouche au même titre que les vins et les chefs d'oeuvres de la Cuisine. A ce titre, il sollicite le goût et donc le jugement du bon et du mauvais à travers la mesure des sensations. Ce qui d'ordinaire développe l'aptitude à savourer l'existence en général.
Epicure, pour qui le plaisir était la mesure de la vie, prônait la mesure dans le plaisir, car la seule nocivité certaine en toute chose est celle de l'excès.
L'excès de lois de propagande et de morale aussi.
A New York le 11 septembre 2001, quelques instants avant l'écroulement des tours du World Trade Center qui allait faire des milliers de victimes, dans l'obscurité totale des couloirs et des halls, quelques personnes cherchent anxieusement, une issue. Pas de fenêtre pour éclairer leur fuite, pas le plus fin rai de lumière pour diriger leur évacuation : le trou noir. Dans la panique qui s'empare du petit groupe, un individu s'approche et prend l'initiative, un homme d'ordinaire rejeté aux portes des bureaux pour assouvir son vice, un immoral, un délinquant : un fumeur. Parce qu'il est le seul fumeur - espèce honnie d'un puritanisme américain de triste mémoire - en ce lieu, en cet instant, il est aussi le seul à disposer encore d'un briquet, de la flamme salvatrice qui permet au groupe de s'orienter, sortir et d'échapper à la mort. L'anecdote relatée par des journaux me fut rapportée par des amis new-yorkais, mais la démesure de la catastrophe et l'obsession anti-tabac ne permirent pas aux Américains traumatisés d'en tirer quelque enseignement sur la tolérance.
Qu'il me soit permis à travers ce plaidoyer pour le cigare, d'exprimer quelques réflexions sur le tabac et l'atmosphère de terreur qui l'environne aujourd'hui. Réflexions que j'adresse aux amateurs qui comme moi, savent lire, écrire, compter, et juger de leur goût. Ils savent aussi apprécier la discussion qu'agrémente une bonne fumée, sans mépriser les contradicteurs ni dédaigner les vertus de la polémique.
Les effets de la publicité fondé sur l'anxiété et la dramatisation sont peut-être plus pervers que le mal
L'hystérie anti-tabac gagne l'Europe et la France. Nos habitudes de suiveurs nous perdrons si nous ne prenons du recul. Les prix du tabac augmentent de 10 à 20% régulièrement en toute bonne conscience, et les paquets de cigarettes, de tabacs de pipe, ou les cigares, se couvrent de "warning" (l'américain s'impose ?) évoquant les pathologies cardio-vasculaires, les cancers, les composés chimiques industriels, ou encore le lapidaire "Fumer tue" aux allures de calembour (le tort tue aussi). Or, si le cadre noir de ces "warnings" est devenu aussitôt un élément du décor des paquets de cigarettes (ceux de nos boîtes de cigare, comme une espèce de sceau de garantie supplémentaire) les effets de ce type de publicité fondé sur l'anxiété et la dramatisation sont peut-être plus pervers que le mal qu'il prétend combattre.
Car en usant du langage de façon publicitaire quand il devrait s'agir d'information et de vérité, la prolifération des "warnings" s'autorise le mensonge. Et perd de sa crédibilité. Qui ne voit que "Fumer tue" est un mensonge analogue à "La fraîcheur du petit matin" (ce slogan qui qualifiait la fumée des cigarettes Gallia dans les années 70), puisqu'en fumant je ne tue personne, ni (pour l'instant ?) ne suis tué par personne. D'où il résulte que "Fumer tue" n'effraie que ceux qui ne fument pas, quand cela n'attire pas les adolescents vers la fumée, eux si sensibles aux sirènes de la transgression.
Le théâtre de la culpabilité
Fumer - plus certainement fumer en inhalant la fumée - peut entraîner des maladies graves voire mortelles comme des cancers : cela est confirmé statistiquement. Mais, d'une statistique quelle qu'elle soit, il est mensonger de tirer une vérité absolue sans déformer et déréaliser les mots, voire le langage tout entier.
Des médecins plus sérieux que ceux qui désirent changer la statistique en loi déterminante pour tout individu (l'individu est justement ce qui échappe à la statistique), devraient préciser de quel usage du tabac il est question. Ils pourraient aussi indiquer à ceux qui sont particulièrement visés (les fumeurs de cigarettes), des seuils statistiques de dangerosité. Une vraie information permettrait aux fumeurs excessifs ou "addicts" de se freiner en connaissance de cause, plutôt que de rebondir de patchs en rechutes comme des pêcheurs un jour repentants, l'autre se ruant dans leur coulpe et entre les deux gavés de substituts pharmaceutiques. On croirait qu'ils entrent dans les ordres !
Or l'acte d'arrêter de fumer ou de s'en tenir à une mesure non toxique n'a pas besoin de ce théâtre de la culpabilité, orchestré collectivement sous prétexte de santé publique. Un bon médecin fait de remarquables diagnostics ainsi que de judicieuses ordonnances, on ne lui demande pas des ordres.
Un "glissement sémantique"
D'ailleurs, bon nombre des plus grands médecins et chercheurs français en cardiologie, neurologie, cancérologie, psychologie, sociologie, fument (le cigare souvent) et considèrent que la fumée dans certains de ses usages, présente des avantages en termes de santé psychique, de résistance au stress, et de sociabilité.
"Fumer tue" comme message, émanant d'une autorité collective, devrait donc être condamné fermement par l'Académie Française comme "glissement sémantique" incompatible avec la rigueur classique de la langue de Racine. L'expression : "Statistiquement, il est vrai, fumer peut tuer" serait plus proche de la vérité et formerait un alexandrin passable, bien que le choix criminalisant du mot "tuer" prêterait à commentaire. Parmi les exemples récents de glissements imposés au sens des mots, on notera que les accidents de la route, ordinairement dus à l'inconscience des conducteurs, sont devenus à la télé des "violences" routières. Ce qui ôte tout sens clair au mot de "violence" et jette un voile (islamique ?) sur des violences moins sémantiques et plus urgentes à traiter.
Prohibition et fiscalité
Le modèle américain de la prohibition, testé en grandeur absolue à l'époque d'Al Capone, a fait ses preuves. Elles alimentent encore l'industrie hollywoodienne du cinéma. Et New York, la ville splendide de tous les excès, y reprend goût actuellement avec le tabac, en allant traquer de loi en loi la liberté individuelle jusque dans les bars, les restaurants et même dans la rue. Il est permis d'en rire et de penser que le cinéma européen n'a pas besoin de la contrebande du tabac pour trouver matière à de bons scénarios. Car le premier effet du renchérissement constant du tabac en France est l'augmentation nette des achats transfrontaliers dans les départements touchant aux frontières : 20% de diminution des ventes tabac en départements frontaliers pour 13,5% en moyenne nationale, et apparition de la contrebande. Une situation qui favorise la criminalisation du tabac et des fumeurs et pose la question de l'harmonisation européenne. Sera-t-elle celle de la prohibition ou de la liberté d'usage conscient? Ce n'est pas qu'un débat d'école.
Tondre les fumeurs est une affaire fiscale sans grand avenir
En attendant l'Europe, on pourrait espérer que le renchérissement "hygiéniste" du tabac en France, offre au moins l'opportunité d'augmenter la recette fiscale. Même si la gestion exclusive du dossier par le Ministère de la Santé écarte toute mauvaise pensée de ce côté. Après tout, dit la rumeur médiatisée, que les fumeurs paient n'est que justice : ils creusent le trou de la Sécu avec leurs cancers !
Or la réalité est assez différente : d'abord le trou de la Sécurité sociale est estimé autour de 11 milliards d'euros pour 2003 et le montant de la recette fiscale du tabac en France tourne autour de 11 milliards d'euros (rapport Altadis) en 2003 (10,92 milliards €) ! On dirait presque que les fumeurs bouchent ce trou...Ensuite la recette est restée à peu près la même en 2003 qu'en 2002 (10,89 milliards ), la hausse des prix compensant juste la diminution de la consommation. Tondre les fumeurs est une affaire fiscale sans grand avenir.
Les médecins nous dirons si c'est le nombre des fumeurs qui chute ou la chute des fumeurs dans la contrebande qui fait l'invariance du magot. Quoique pour y voir clair, il faudrait réprimer la contrebande (ce qui coûte cher) et que la Santé (ministère) alimente la Santé (zonzon)....
L'amalgame : le fumeur de cigare n'inhale pas sa fumée, il la goûte
On parle de tabac en général et l'on oublie que la grande feuille des Taïnos et des Mayas a généré des usages divers qui n'ont ni la même fréquence, ni la même fonction, ni la même qualité eu égard au plaisir. La dangerosité elle-même semble différente d'un usage à l'autre, et pour mémoire les chamanes, ancêtres de nos « experts » médicaux appréciaient la vertu hygiénique des injections rectales de jus de tabac.
Sans rire, face aux haros sur le tabac en général, il faut pointer encore l'abus de langage qui amalgame cigarette et cigare en les réduisant au genre. Car cigarette et cigare relèvent d'un mode de consommation différent. Avant tout, l'inhalation les distingue. Car à la différence du fumeur de cigarette, le fumeur de cigare n'inhale pas sa fumée, il la goûte. Certes il en inhale un peu puisqu'il est capable d'emboucaner sereinement sa vie durant quelques bons fauteuils et bonnes tables de ses volutes gourmandes. Mais ces risques pulmonaires sont-ils plus importants que l'exposition au diesel ambiant de nos villes ?
Goûter la fumée d'un cigare signifie l'apprécier en bouche et au nez selon ses arômes, sa texture, sa puissance, en appréciant l'ivresse gustative qu'elle procure. Une ivresse nicotinique rassasiante que ne connaît pas le fumeur qui court de cigarette en cigarette. Ce dernier aspire dans ses poumons une fumée sans goût sinon celui des produits de synthèse, plus ou moins toxiques élaborés dans le seul but de l'accoutumer, et dont l'effet nicotinique fugace et plus pulmonaire et cardiaque que cérébral se change aussitôt en impatience.
Le cigare rend patient
A l'inverse, le cigare rend patient. De cette patience de déguster, converser, lire, comprendre, et de ne pas se laisser mener par les évènements. Le cigare est d'ailleurs souvent utilisé explicitement à cet effet. Dans son livre "Cigare, de l'initiation à la maîtrise ", G. Belaubre rapporte une anecdote historique. "Voici comment le commandant d'Hérisson, aide de camp de Jules Favre, relate la négociation de l'armistice de 1871 : "Au moment où commençait l'entretien, le chancelier Bismarck prit la soucoupe aux trois cigares, et, la tendant à Jules Favre : "Fumez-vous ?" demanda-t-il. Jules Favre s'inclina pour refuser, et déclara qu'il ne fumait jamais. "Vous avez tort, lui dit bonnement le cuirassier diplomate. Lorsqu'on aborde un entretien qui peut parfois générer des discussions, engendrer des violences de langage, il vaut mieux fumer en causant. Quand on fume, voyez-vous, continua-t-il en allumant le Havane, ce cigare que l'on tient, que l'on manie, que l'on ne veut pas laisser tomber, paralyse un peu les mouvements physiques. Moralement, sans nous priver en aucune façon de nos facultés cérébrales, il nous assoupit légèrement. Le cigare est une diversion, cette fumée bleue qui monte en spirale et qu'on suit malgré soi des yeux, vous charme, vous rend plus conciliant. On est heureux, la vue est occupée, la main est retenue, l'odorat est satisfait. On est disposé à se faire des concessions mutuelles... " (p86)
"Un fumeur de cigare ne peut être totalement mauvais !"
Cette dimension relaxante et conciliante de la fumée du cigare, due à son mode de consommation et aux vertus naturelles des feuilles, est évidemment loin de la fébrilité anxieuse qui accompagne l'usage respiratoire éminemment compulsif de la cigarette. André Santini, Député Maire d'Issy-les-Moulineaux qui affirme son goût pour le cigare et trempe dans ses volutes un humour à l'anglaise, en déduit qu'un fumeur de cigare "ne peut être totalement mauvais !".
Quant à l'accoutumance (dépendance), si le cigare est souvent considéré comme un vice par le budget pressing des rideaux du salon, je ne connais pas d'amateur qui ne professe son indépendance d'esprit et de corps et ne soit capable de s'abstenir au besoin, sans souffrir le martyre qui tenaille les "addicts" de la cigarette. Aux sots qui diront : "Pourquoi n'arrêtez-vous pas alors ?" il répondra qu'entre fumer et arrêter, entre blanc et noir, loin de cette alternative binaire à laquelle nous réduit nos ordinateurs, le fumeur de cigare apprécie la maîtrise du plaisir et toutes les nuances gustatives qui unissent le non au oui dans la dialectique de ses volutes.
Cigare, plaisir et respect
A l'école primaire publique, l'instituteur nous enseignait que le respect est la première valeur de la vie en société. Les programmes ont-ils changé depuis ? La diabolisation des fumeurs ne fera pas vivre les non-fumeurs plus longtemps et le respect est souhaitable des deux côtés. Quant à ceux qui veulent s'occuper de censurer mon plaisir "pour mon bien" - au nom de quelque expertise médicale, religieuse, sociologique, scientifique, ou militaire- ils me donnent envie de leur chanter un de ces merveilleux airs de Don Giovanni.
Le contre-exemple new-yorkais et la multiplication des interdits du tabac dans les bars, les restaurants (la rue même à présent!) repose sur un principe purement moraliste : "fumer est mal ". Car si la protection des mineurs et l'interdiction dans les lieux publics fermés sont légitimes, on voit mal la légitimité de légiférer jusque dans les lieux ouverts ou dans les bars et restaurants qui ne sont pas à proprement parler des lieux publics puisque le gérant en est le responsable devant la loi.
La fréquentation des bars et restaurants n'est pas obligatoire pour l'instant ... Libres doivent donc rester restaurateurs, cafetiers et hôteliers de choisir s'ils veulent se réserver une clientèle fumeurs ou non-fumeurs, ou encore s'ils veulent s'équiper d'extracteurs efficaces résolvant le dilemme. Tous savent bien que les fumeurs de cigare sont généralement amateurs de bonne cuisine comme de bons vins. Qu'ils consomment généralement plus que les autres et souvent des produits plus "luxueux" aux marges confortables.
Car le cigare est un produit de bouche au même titre que les vins et les chefs d'oeuvres de la Cuisine. A ce titre, il sollicite le goût et donc le jugement du bon et du mauvais à travers la mesure des sensations. Ce qui d'ordinaire développe l'aptitude à savourer l'existence en général.
Epicure, pour qui le plaisir était la mesure de la vie, prônait la mesure dans le plaisir, car la seule nocivité certaine en toute chose est celle de l'excès.
L'excès de lois de propagande et de morale aussi.
Cet article est paru dans Club Cigare |
Octobre 2004
Par Yves BELAUBRE