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La Chine s'éveille... Réveillons nous!

Depuis le 11 décembre 2004, la Chine a totalement ouvert son marché, aiguisant les convoitises, sur son territoire et à l'extérieur. Ainsi, quelques 1,5 million de touristes chinois sont attendus en Europe en 2005. Et il y a de fortes chances qu'ils passent par la France, première destination citée par les Chinois dans la liste des pays qu'ils ont envie de visiter dans les cinq ans à venir.
Mais si les chiffres sont encourageants, ils ne doivent pas cacher que cette nouvelle clientèle de consommateurs exigeants a des besoins spécifiques. Il faudra que les voyagistes, l'hôtellerie, la restauration et les maisons de luxe fassent de réels efforts pour que le tourisme chinois devienne l'Eldorado promis.
200 millions de consommateurs disposant d'un certain revenu

"Quand la Chine s'éveillera, le monde tremblera", écrivait Alain Peyrefitte, au début des années 70. Obnubilé par le poids de la population chinoise - actuellement 1,3 milliard d'individus, soit 1/5ème de la population de la planète, aurait-il mésestimé l'intérêt pour le monde occidental de pouvoir accéder à 200 millions de consommateurs urbains, disposant de revenus confortables et de l'envie de les dépenser ?

L'ouverture de ce marché émergent s'avère des plus réjouissantes

Même si d'autres statistiques affirment que seules 100 millions de personnes peuvent s'offrir des produits occidentaux, l'ouverture de ce marché émergent s'avère des plus réjouissantes. Pour la grande distribution par exemple (Carrefour, présent en Chine depuis 1995, réalise un CA de 7,76 milliards de yuans et prévoit d'ouvrir 15 hypermarchés cette année), mais aussi pour les produits de luxe. Dans un article daté du 24 novembre dernier, Le Figaro rappelait qu'environ "3% de la population urbaine chinoise a déjà un revenu supérieur à 6.000 yuans (556 euros) et totalise 10 milliards de dollars d'épargne. Et pour peu qu'elle fasse partie de l'élite de Shanghai, des habitués des 220 terrains de golf du pays ou des 600 propriétaires de yachts du delta du Yangzi, elle se damne pour les marque de luxe et les produits dernier cri". Voilà, qui fait rêver !

Du fantasme à la réalité

Mais on est encore loin de l'Eldorado : si, après Hongkong, les marques de luxe se pressent en Chine continentale à Pékin, Shanghai (la cité de la mode et la plus grande ville du pays : 17 millions d'habitants) et Canton, elles restent très discrètes sur leur chiffre d'affaires. Et certaines n'hésitent pas à confier qu'elles ont bien du mal à estimer la date de leur retour sur investissement. Car, encore moins qu'ailleurs, il ne peut être question de s'installer en Chine au rabais. La clientèle chinoise aime les signes extérieurs de richesse et donc les adresses et vitrines prestigieuses.
Pour la séduire, les marques doivent la flatter, lui proposer une offre nouvelle et adaptée sans faillir; la confiance s'établissant sur la durée.

Quoiqu'il en soit, tout le monde parie...

C'est pourquoi, les marques les plus anciennement implantées sont celles qui semblent s'en sortir le mieux. Sur place depuis 1991, Vuitton s'ancre comme la marque préférée des populations asiatiques. Egalement présent depuis longtemps, ST Dupont déclarait, par la voix de Geoffroy Ebrard, son directeur commercial international que "Hongkong et la Chine Continentale avec leurs 135 boutiques et shopping-shops, représentaient 15% du CA mondial de la marque" (dans "Comme un écrin", le supplément Luxe du magazine Stratégies, du 25/10/2004).
Quoiqu'il en soit, tout le monde parie que la Chine va devenir un grand marché du luxe et avec 9% de croissance annoncée pour le pays en 2004, aucune marque ne prendra le risque de lever le pied et de perdre la face.

Un pays où le droit des marques n'a pas la même valeur qu'en Europe ou aux Etats-Unis

Tout cela ne doit pas faire oublier pour autant que la Chine est l'un des principaux lieux de fabrication des contrefaçons.
D'après la Commission Européenne, "66% des 85 millions d'articles contrefaits saisis par les Douanes en 2002 aux frontières de l'Union Européenne provenaient des pays asiatiques, Thaïlande et Chine en tête". Or, rappelle le site du Sénat (senat.fr), "la contrefaçon représenterait aujourd'hui 5% du commerce mondial. Elle aurait provoqué la destruction de 100.000 emplois en Europe depuis dix ans dont 40.000 pour la France".
Et même si la contrefaçon gagne désormais tous les secteurs de l'économie et plus seulement les marques de luxe, celles-ci ont encore besoin, plus qu'ailleurs, d'éduquer la population des "fashion victims" dans un pays où le droit des marques n'a pas la même valeur qu'en Europe ou aux Etats-Unis.

Déjà l'une des clientèles qui dépense le plus en France

Depuis peu, de souriantes perspectives s'ouvrent pour le marché du tourisme. Selon Maison de la France, G.I.E chargé de la promotion de la destination France sur le territoire national et à l'étranger, 2 millions de Chinois sont déjà venus en Europe depuis 1995, dont 400.000 sur l'année 2003 en France, Allemagne et Italie.
C'est peu en regard des 28,5 millions de Chinois qui voyagent à l'étranger, mais pas si mal si l'on compare avec les 9,5 millions restants; une fois décomptés ceux qui ne se rendent qu'à Hongkong et Macao.
A titre de comparaison, la Chine a reçu en 2004, 108 millions de visiteurs étrangers (+23% par rapport à 2003 qui, étant l'année du SRAS, avait connu une chute de 12,4%); ce qui la place au 4ème rang des pays d'accueil. Et, selon le Bureau national du Tourisme, les revenus du tourisme en Chine ont dépassé 600 milliards de yuans en 2004 (75 M$).
La balance a donc fortement besoin de se rééquilibrer !

Dans le clan des "destinations touristiques autorisées"

Les accords ADS (Approved Destination Status) signés avec les états de l'espace Schengen, vont dans ce sens. Aux termes de ceux-ci, 27 pays européens dont la France sont entrés, depuis le 1er septembre 2004, dans le clan des "destinations touristiques autorisées".
Les 1,5 million de touristes chinois que l'on attend en 2005, pourront donc visiter l'Europe sans avoir besoin de faire partie d'une délégation officielle ou de se cacher derrière un (pseudo) voyage d'affaires.
Faisant le point dernièrement sur ce que pourrait être ce tourisme chinois en France, Maison de la France a précisé que cette clientèle est déjà l'une de celles qui dépense le plus dans notre pays, d'où l'intérêt des maisons de luxe, des grands magasins parisiens et des professionnels du tourisme !

12% des Chinois des grandes villes prévoient de venir en Europe d'ici à cinq ans

Les chiffres évoqués nécessitent toutefois un examen attentif : certes, l'Europe est le deuxième continent de destination du tourisme émetteur chinois, représentant 19% des voyages et la France n'est pas mal placée, juste derrière l'Allemagne, qui avait signé par anticipation les accords ADS.
Bon point encore : quand, à la demande de Maison de la France, CTR/Sofres les a interrogés sur les destinations où ils auraient envie de se rendre dans les cinq ans à venir, 60% des Chinois interviewés ont cité notre beau pays en premier; l'Italie apparaissant ensuite comme le pays le plus attractif.
Tablant sur un flux de 3 à 5 millions de voyageurs chinois dans les cinq ans, Maison de la France a précisé ces chiffres en regardant plus précisément les déclarations des populations urbaines de Pékin, Shanghai et Canton; celles, on l'a bien compris, qui intéressent justement les marques de luxe. Il en ressort que 12% de ces Chinois des grandes villes prévoient de voyager en Europe dans les cinq ans (quand 10% envisagent une destination autre et 78 % ne partiront pas à l'étranger).
Si l'on part du principe qu'une bonne proportion des touristes chinois qui se sentent attirés par la France, vont concrétiser leur envie, le poids de cette nouvelle clientèle apparaît très intéressant. Il l'est sensiblement moins, quand on examine le périple de ces touristes chinois et le nombre de jours passés par pays.

Mais seulement trois jours en France dont une journée et demi à Paris

Si avant 2002, les touristes chinois visitaient 5 pays en 8 jours (6 nuits), ils prévoient en 2005 de faire le tour de 11-12 pays en 16 jours. Ce véritable marathon explique qu'ils restent, en moyenne, trois jours en France dont une journée et demi à Paris.
L'enjeu des professionnels français est donc, comme pour les autres populations touristiques, de leur faire prolonger leur séjour et de leur faire découvrir d'autres destinations que la capitale, dans une France que les Chinois qualifient volontiers de "romantique" et dont ils évoquent le patrimoine culturel et l'art de vivre. En sachant que les envies de découverte sont toujours un peu les mêmes : le sud-est, les châteaux de la Loire, Bordeaux et toujours Paris, Paris, Paris... pour le shopping notamment, avec un passage obligé par les grands magasins.

La barrière de la langue et des coutumes

Les Chinois qui voyagent en France constituent une clientèle aisée et exigeante en termes de qualité d'offre et de service, en rapport avec ce qu'elle a l'habitude de trouver en Asie. Pour séduire cette clientèle, la première chose à faire est de donner l'image d'une France accueillante; or l'accueil serait plutôt notre point faible, même si la campagne "Bienvenue en France" impulsée par le ministère délégué au tourisme et menée par la Maison de la France vient se souffler sa première bougie.
Certains essaient d'y remédier : le Comité Chine de l'Office du Tourisme et des Congrès de Paris a, par exemple, créé une charte de qualité de l'accueil, qui engage ses signataires à traduire leurs prospectus et leurs menus en chinois. Car les touristes chinois parlent rarement une langue étrangère. C'est pourquoi les Galeries Lafayette et le Printemps de la Mode ont aussi décidé de mettre à leur disposition une quinzaine de vendeurs parlant le mandarin et le cantonnais dans leur espace duty free.

Conquérir le touriste chinois

Ces initiatives doivent faire boule de neige, si la France ne veut pas être mise hors-jeu.
Les restaurateurs doivent aussi pouvoir s'adapter à une clientèle aussi déstabilisée quand elle n'a pas de riz à son repas ou de thé à disposition dans sa chambre, qu'un Français privé de pain.
Conquérir le touriste chinois est donc une démarche pro-active. Pour un résultat sans doute décevant à court terme, bien que la clientèle chinoise ait un autre atout : bénéficiant de trois semaines de congés légaux, elle voyage principalement autour du nouvel an chinois (le 9 février cette année ; le 29 janvier en 2006) et dans les semaines du 1er mai et du 1er octobre, donc à des périodes que nous qualifions de "hors-saison".
Janvier 2005
Par Françoise VIDAL