Gastronomie


Le Chamarré, une cuisine bigarrée d'exception

À Paris, à quelques mètres des Invalides, deux chefs combinent une des cuisines les plus attachantes du moment, entre cochon de lait et homard bleu, samosas de châtaignes et savarin punché. Une belle aventure du goût !
Ausitôt entré commence le voyage

Aussitôt entré dans ce restaurant d'angle, aux Invalides, commence le voyage.
On vous accueille avec élégance et discrétion, le sourire discret aux lèvres. La table n'est pas loin. Vers quelle destination, vous emportera-t-elle ? Mystère. On vous a chuchoté que l'un des chefs était d'origine mauricienne, l'autre sarthois. Curieux mélange pense t-on un peu naïvement. Mais après tout, l'origine ne fait pas la cuisine ou pas toujours. Et il ne suffit pas d'être russe pour bien jouer Tchaïkovski. Eh bien, nous verrons bien à quelle sauce nous convient Antoine LavalHeerah et son acolyte Jérôme Bodereau.
Première impression : excellente, car la brigade est en ordre, prête à servir trente-cinq couverts presque au garde à vous. Car ici, on ne rigole pas avec le protocole depuis que le restaurant (ex Boule d'or) a obtenu sa première étoile au Michelin, en 2003, un an après son ouverture. À croire qu'ici, on ne pense qu'à la deuxième !
Il faut citer par ordre d'importance : Jean-Paul Da Costa, le responsable de salle (venu de L'Arpège comme les chefs) ; le chef sommelier, Timothée Châtelet (né à Haïti d'un père eurasien, rôdé dans les grandes maisons dont Le Bristol, qui joue ici avec les 225 références de vins); Nicolas Léger, premier maître d'hôtel ; l'on pourrait citer aussi les chefs de rangs comme Sophie, originaire de Corrèze et qui est sortie de l'école hôtelière de Souillac... Après tout, la Corrèze n'est-elle pas la terre d'adoption du chef Antoine ?
Ce soir, autour de nous, quelques tables familiales semblent enjouées. À l'une d'entre elles, les parents du responsable de salle font bonne figure avec leurs amis. À déjeuner, la clientèle est plus professionnelle. On retrouve par exemple l'éventail de toutes les professions libérales, des diplomates et des politiciens. Alain Madelin et Philippe Séguin sont venus manger du gibier. Philippe Léotard, en retraite de la politique, aussi, y a ses habitudes.

Chamarel et Chamarré

Pendant que nous dégustons un verre de champagne Heidsieck Monopole, cuvée "Diamant bleu" (chardonnay et pinot noir), l'un des serveurs explique l'origine du mot "Chamarré", dérivé du mot "Chamarel" qui symbolise les terres aux couleurs ocre, mauve, jaune ou orangé. Mais plus encore, le caractère bigarré de l'île Maurice a encouragé les chefs à donner ce nom de  "Chamarré" au restaurant, comme un clin d'œil.

Des assiettes de fête

Le décor rend plus intense le cérémonial du service, les gestes précis des serveurs et du maître d'hôtel, l'éclat de ce gros poisson en verre coloré de chez Léonardo posé sur la table, de chaque assiette de présentation ornée d'émaux de Longwy, ou réservée à l'entrée, au plat ou au dessert, en verre ou en porcelaine, rectangulaire ou ronde.
Alors que nous nous attachons à observer le moindre détail de ces bois sobres et de ces couleurs atones, et que notre regard est accroché par les abats jour formés par de fausses pierres multicolores, façon italienne, nous avons droit à une mise en bouche très visuelle : une coque d'oursin reposant sur une feuille de laitue de mer et entourée de quelques brins de goémons venus directement de Bretagne avec les chers crustacés... Ce Royal d'oursin est servi avec une émulsion d'huître, le tout étant délicatement iodé. Belle ouverture de repas. La bouche s'accorde parfaitement avec les quelques notes finales de la cuvée "Diamant bleu"...

Quelques notes iodées et boisées

Le premier plat ouvre le feu : il s'agit des "Carpaccios de la Mer en Deux Saveurs, bar et caviar russe, crevettes royales et Poutargue de Martigues". Transparence et intensité, légèreté et profondeur. Une véritable aventure. Idéal avec le vin blanc d'une rondeur exquise servi par le sommelier, un chardonnay du Languedoc, Toques et clochers (Limoux), Haute Vallée 2001. Grande douceur au palais avec des notes boisées sans agressivité.

Petits gris et cuisses de grenouilles

Retour du goémon dans l'assiette qui suit : Les huîtres Gillardeau chaudes sur un lit de laitue de mer, caviar russe, étuvée de blettes au raifort, émulsion bourrache. Comme un savoureux air de fête, prolongement des notes iodées. Vin blanc parfait. Allegreto non tropo.
Enchaînement avec une jolie assiette jouant sur l'équilibre : à droite un tas de petits gris et à gauche de petites cuisses de grenouilles accompagnés de deux mousselines légères (dont une émulsion de carotte et orange) et une mousse de noisette. On se surprend à prendre délicatement les grenouilles à la main. Plaisir intense. Succulente transition avant le homard breton.

Le homard bleu

Celui-ci est bien sûr rôti au four, secret pour bien garder la chair à sa juste cuisson. Il est servi ensuite avec des achards de crevettes et coloquinte, ainsi qu'un risotto de lentilles corail, dans un jus émulsionné de bouillabaisse. Mais à bien chercher, on trouvera aussi la subtilité de l'oignon doux des Cévennes. L'aventure n'est pas terminée.

Le cochon de lait

Pour mieux apprécier la richesse de la carte, honneur au seigneur le cochon de lait, valeur sûre de la haute gastronomie qui a fait son grand retour dans les meilleurs restaurants de la capitale. Antoine Heerah le présente avec la peau croustillante, rouleau de tête au curry (l'épice ajoute une note "chamarrée" exemplaire), avec de la mousseline de raifort et une échalote grise confite dans le champagne. Arrosé de son jus de cuisson, cela devient un grand moment de bonheur.
À déguster aussi comme plat de substitution pour les amateurs : la côte de veau tradition  "élevé sous la mère du Limousin", poêlée au beurre salé, mousseline de cêpes, jus de viande au foie gras.

Tatin de mangue, savarin punché

On célèbre aussi les îles par le dessert et le choix suggéré parvient l'aventurier gourmand de continuer sur la même note mélodique : élégance, rareté, qualité, surprise aussi.
Bel équilibre entre le sucré-salé et le salé-sucré, du début à la fin du repas. Un vrai festival de saveurs : tatin de mangue et citron vert confit sur une marmelade de mangue verte et coulis de maracuja (fruit de la passion), sorbet litchi, orange confite et poêlée, sorbet pêche de vignes, savarin punché au rhum arrangé, glace au riz au lait basmati, bringelles caramélisées au sucre Dark Muscovado (agréablement réglissé) de Maurice, glace aux feuilles de Kaloupilé... Un final princier. Que demander de plus ? Eh bien, oui, un peu de rhum, pourquoi pas...?

Monsieur Antoine passe à table

Monsieur Antoine, le chef, nous rejoint, non pas pour trop parler d' Alain Passart, avec qui il a travaillé quelques années à L'Arpège, mais des quelques artisans sri lankais chez qui, dans le dixième arrondissement de Paris, il achète la plupart de ses produits, des riz millésimés que l'on réserve pendant deux ans; du côté "éphémère" et en même temps excitant de la cuisine, de ses recherches culinaires sur le homard ou le cochon (il raffole de la selle de cochon associée à l'huile de pépin de raisin !), de son travail de vrai rôtisseur comme autrefois, de ses sept années passées sur les terres de Corrèze, de son admiration pour Michel Bras à Laguiole. Car Antoine Heerah Laval (son nom complet) est un épicurien sensible, discret et travailleur.

Définition du luxe ?

Sa définition du luxe n'étonne guère celui qui vient de passer plus de deux heures à se délecter d'une cuisine colorée et toujours surprenante : "Le vrai luxe pour moi, c'est la capacité à émerveiller sans cesse dans tous les domaines." Alors, à quand un beau livre qui raconterait son aventure qui est loin d'être terminée ?
Mai 2005
Par Gilles BROCHARD
Le Chamarré
13, boulevard de La Tour-Maubourg
75007 Paris.
Tél : 01 47 05 50 18.
Chantallaval@wanadoo.fr
Menu à déjeuner : 28 euros. Carte : 70-75.
Fermé le samedi à déjeuner et le dimanche, et en août.