Paris, Texas
Vingt ans déjà, depuis l'éblouissement de Paris, Texas, de Wim Wenders et Sam Shepard. Les visages de Nastassja Kinski, de Harry Dean Stanton, d'Aurore Clément. La musique de Ry Cooder, des paysages du bout du monde. C'est comment là-bas ?
Paris, Texas, 150 kilomètres au nord-est de Dallas. Froid, pluie glacée. Nuit noire encore quand je prends la route. L'Interstate 1-30 East cernée de chantiers noyés dans la brume jaunie par les phares, de garages toutes marques, voitures neuves ou d'occasion, des tas et des tas, partout. Même après avoir quitté le freeway et laissé des bourgades aux noms étranges, " Fate " ou " Commerce ". Étendues plates et cultivées, ranchs, magasins d'armes, châteaux d'eau : l'Amérique sudiste au quotidien marqué par la pauvreté qu'évoquait Steinbeck. " We buy ugly houses, Mystic mobile homes ", lit-on sur des panneaux publicitaires.
On n'en finit pas . Chaussée rectiligne, comme les frontières de l'État du Texas. " Paris has it, " affirme un calicot de couleur qui arbore une mini tour Eiffel coiffée d'un Stetson écarlate. Des maisons de bois à l'abandon, des carcasses de bagnoles rouillées : s'il ne faisait aussi frais, je revivrais presque l'atmosphère du film. D'ailleurs, voici l'indication attendue, peinte en blanc sur fond vert : " Paris, City Limit, population 25898 ".
Je me renseigne. C'est un certain George Wright qui a fondé la ville vers 1840. Il a acheté un terrain pentu un peu au sud de la rivière Rouge, et ouvert un magasin sur la colline. Pourquoi a-t-on dénommé ainsi la bourgade qui s'est élevée alentour? Personne n'en sait rien, aucun Français ne s'était alors installé dans ce coin de Texas, voisin de l'Oklahoma, de la Louisiane, de l'Arkansas. Rien, sinon ce nom flambant, ne paraît distinguer Paris de tant d'autres petites villes de l'État de L'Étoile solitaire - Lone Star State, son surnom apposé sur les plaques de voitures - que sa constitution érige bel et bien en république associée aux États-Unis. Irrédentiste Texas.
La venue d'un Parisien de France à Paris Texas étonne quelque peu les collaborateurs du Convention Council, que je rencontre dans leurs locaux, une ancienne gare désaffectée et fort plaisamment réaménagée. Certes, Paris Texas s'est forgé un slogan incontestable : " The second largest Paris in thé world ", et il existe, paraît-il, une cinquantaine d'autres Paris, beaucoup plus modestes, à travers le monde. Certes, le film de Wenders a fait venir des visiteurs cinéphiles. Mais de moins en moins. Le temps a passé et n'était une visite à cette récente tour Eiffel en réduction - quatre mètres, tout au plus, posée sur un parking très éloigné du centre ville et couronnée d'un chapeau de cow-boy - que peut-on venir faire à Paris, Texas ?
Du film envoûtant de Wenders, je raconte les refrains, les cadrages, le rythme, la beauté. Un homme revient, hantises de ce retour, de ces regards. L'attention de Wenders envers les enfants, et ce paysage perdu, presque abstrait, ces bicoques, ce désert... Ce Paris-là n'existe pas, c'est une œuvre forgée par un artiste, une interprétation du monde. Vingt ans après, le temps d'une génération, j'arpente le loop, le boulevard circulaire de Paris. Je n'en vois que les usines à kleenex Kimberly Clark et à potage Campbell's. 0 Warhol ! On retape les demeures anciennes dans Church Street, on s'amuse d'une statue du Christ à bottes texanes au cimetière Evergreen, on boit un verre dans un bar installé dans une autre gare, elle aussi abandonnée. Ce soir, j'aurai peut-être la chance d'y croiser Miss Texas, en tournée dans le comté, m'apprend le Paris News. Mais pas de folies, à Paris, on est pointilleux sur les mœurs, il faut un permis pour boire de l'alcool, les églises de tous cultes abondent et, à 8 heures, tout a fermé. Plus une ombre dans cette ville, le théâtre est en relâche et la fontaine s'est tue.
Du film ne demeurerait-il que nos souvenirs ? C'est mieux ainsi, tellement. Wenders est repassé ici, il y a deux ou trois ans. La plupart des Parisiens du Texas n'avaient pas vu son film. Ceux qui l'ont découvert ne l'ont pas tous apprécié. Wenders a posé au pied de la tour Eiffel locale, il a signé quelques affiches, il est reparti. Il se pourrait bien que ce soit pour toujours. J'ai poussé plus avant mes investigations et j'ai compris pourquoi je ne retrouvais rien. Paris, Texas, le film, n'a pas été tourné à Paris, Texas...
On n'en finit pas . Chaussée rectiligne, comme les frontières de l'État du Texas. " Paris has it, " affirme un calicot de couleur qui arbore une mini tour Eiffel coiffée d'un Stetson écarlate. Des maisons de bois à l'abandon, des carcasses de bagnoles rouillées : s'il ne faisait aussi frais, je revivrais presque l'atmosphère du film. D'ailleurs, voici l'indication attendue, peinte en blanc sur fond vert : " Paris, City Limit, population 25898 ".
Je me renseigne. C'est un certain George Wright qui a fondé la ville vers 1840. Il a acheté un terrain pentu un peu au sud de la rivière Rouge, et ouvert un magasin sur la colline. Pourquoi a-t-on dénommé ainsi la bourgade qui s'est élevée alentour? Personne n'en sait rien, aucun Français ne s'était alors installé dans ce coin de Texas, voisin de l'Oklahoma, de la Louisiane, de l'Arkansas. Rien, sinon ce nom flambant, ne paraît distinguer Paris de tant d'autres petites villes de l'État de L'Étoile solitaire - Lone Star State, son surnom apposé sur les plaques de voitures - que sa constitution érige bel et bien en république associée aux États-Unis. Irrédentiste Texas.
La venue d'un Parisien de France à Paris Texas étonne quelque peu les collaborateurs du Convention Council, que je rencontre dans leurs locaux, une ancienne gare désaffectée et fort plaisamment réaménagée. Certes, Paris Texas s'est forgé un slogan incontestable : " The second largest Paris in thé world ", et il existe, paraît-il, une cinquantaine d'autres Paris, beaucoup plus modestes, à travers le monde. Certes, le film de Wenders a fait venir des visiteurs cinéphiles. Mais de moins en moins. Le temps a passé et n'était une visite à cette récente tour Eiffel en réduction - quatre mètres, tout au plus, posée sur un parking très éloigné du centre ville et couronnée d'un chapeau de cow-boy - que peut-on venir faire à Paris, Texas ?
Du film envoûtant de Wenders, je raconte les refrains, les cadrages, le rythme, la beauté. Un homme revient, hantises de ce retour, de ces regards. L'attention de Wenders envers les enfants, et ce paysage perdu, presque abstrait, ces bicoques, ce désert... Ce Paris-là n'existe pas, c'est une œuvre forgée par un artiste, une interprétation du monde. Vingt ans après, le temps d'une génération, j'arpente le loop, le boulevard circulaire de Paris. Je n'en vois que les usines à kleenex Kimberly Clark et à potage Campbell's. 0 Warhol ! On retape les demeures anciennes dans Church Street, on s'amuse d'une statue du Christ à bottes texanes au cimetière Evergreen, on boit un verre dans un bar installé dans une autre gare, elle aussi abandonnée. Ce soir, j'aurai peut-être la chance d'y croiser Miss Texas, en tournée dans le comté, m'apprend le Paris News. Mais pas de folies, à Paris, on est pointilleux sur les mœurs, il faut un permis pour boire de l'alcool, les églises de tous cultes abondent et, à 8 heures, tout a fermé. Plus une ombre dans cette ville, le théâtre est en relâche et la fontaine s'est tue.
Du film ne demeurerait-il que nos souvenirs ? C'est mieux ainsi, tellement. Wenders est repassé ici, il y a deux ou trois ans. La plupart des Parisiens du Texas n'avaient pas vu son film. Ceux qui l'ont découvert ne l'ont pas tous apprécié. Wenders a posé au pied de la tour Eiffel locale, il a signé quelques affiches, il est reparti. Il se pourrait bien que ce soit pour toujours. J'ai poussé plus avant mes investigations et j'ai compris pourquoi je ne retrouvais rien. Paris, Texas, le film, n'a pas été tourné à Paris, Texas...
Cet article est paru dans SENSO |
Juin 2004
Par Olivier BARROT