Le caviar Sturia, un caviar sur-mesure
Une voix gouleyante, un petit accent du midi, un regard perçant et pétillant, Laurent Duleau, directeur général de la société Sturgeon depuis 2011, sait de quoi il parle, lorsqu’il évoque le caviar. Une passion née après celle des vins, ou encore de la génétique, où il a exercé à ses débuts. Chez Sturgeon il se considère un peu comme « un couteau suisse », il faut savoir tout faire. Rencontre d’un passionné avec Katya Pellegrino.
3ème producteur mondial après la Chine et l’Italie, le caviar Sturgeon n’a pas à rougir de sa position et son directeur général, Laurent Dulau précise bien qu’ils sont producteurs et non négociants. Sturgeon créée en 1995, près de Bordeaux, dispose aujourd’hui de 9 sites pour l’élevage d’esturgeons, l’écloserie de Guyenne (la plus grande en Europe) pour la mise en vente des alevins, ainsi que 7 fermes aquacoles et un atelier d’élaboration du caviar.
Petit retour en arrière
En 1982 la pêche à l’esturgeon est interdite, car l’espèce est en voie de disparition et menacée. À la même époque, le CEMAGREF (Centre du Machinisme Agricole, du Génie Rural, des Eaux et des Forêts) de Bordeaux va lancer un programme pour repeupler la Gironde d’esturgeons, avec l’aide de pisciculteurs expérimentés. Il souhaite recréer des conditions idéales afin de tenter d’élever et de reproduire en captivité des spécimens d’un esturgeon Sibérien, l’Acipenser baerii. Après quelques années de patience, le caviar d’Aquitaine est à nouveau présent dans la région. C’est pourquoi en 1986, ce premier esturgeon sibérien entre dans la ferme aquacole de Colombier et en 1991, l’écloserie est mise en place ainsi que la vente des premiers alevins de Sturgeon.
Différentes étapes pour le caviar
C’est grâce à cet élevage pour la production du caviar d’Aquitaine, qui contribue à sa sauvegarde, que l'on connaît le retour de ce poisson exceptionnel dans les grands restaurants, comme nous l’explique Laurent Dulau. "Il faut de la passion et du temps pour travailler dans le caviar nous précise-t-il, car il faut attendre 7 à 9 ans pour avoir une première récolte ! Tout est une question de bon timing ! On peut par exemple, laisser passer une ponte (l’esturgeon résorbe ses œufs) et dans ce cas, attendre un cycle de 2 ans de plus pour une prochaine ponte. Les œufs seront plus gros. A six mois, les alevins sont achetés à l’écloserie, puis à 2/3 ans on leur passe une échographie pour déterminer le sexe (les femelles sont gardées pour les œufs et les mâles pour leur chair.) 40% des esturgeons femelles sont ainsi conservées dans les eaux des bassins. Ceux-ci se développeront encore durant 4/5 ans. A ce stade une biopsie sera effectuée pour savoir si les œufs sont prêts à être utilisés (minimum 2,5 mm de diamètre). Dans cas ils seront acheminés à l’atelier d’élaboration du caviar."
De l’élevage sur-mesure
Pour Laurent Dulau, impossible de déroger à des règles très strictes d’hygiène, de qualité de l’eau et d’équilibre écologique, de patience, d’une attention et d’une surveillance de chaque instant, au quotidien ce qui fait le succès de la marque. Ainsi les esturgeons évoluent dans de vastes bassins, et étangs, à de faibles densités (2, 3 kg/m²) alimentés par des sources et des cours d’eau naturellement sains en Gironde et Charente maritime. L’eau du bassin est entre 16 ° et 24°. Leur nourriture se compose exclusivement de pêcheries durables, farine et huiles de poissons ainsi que de petits vers qu’ils trouvent dans les étangs. Tout étant calculé en fonction de leur poids, de la température de l’eau et de leurs besoins. Du véritable sur- mesure !
Trois catégories d’esturgeon
Dans les fermes aquacoles Sturgeon, trois espèces sont élevées : – l’esturgeon sibérien (Acipenser baerii), un caviar de grande qualité avec des grains de taille moyenne et un poisson bien adapté aux conditions climatiques de la région – l’esturgeon russe (Acipenser gueldenstaedtii), qui produit le caviar osciètre, au grain plus clair – le béluga (Huso huso), qui produit de plus gros grains (et aussi les plus chers).
De l’esturgeon au caviar : un savoir-faire artisanal et traditionnel
Une fois retirés du ventre de l’esturgeon, un échantillon des oeufs est prélevé, gouté, calibré, et noté pour sa couleur. Ensuite ils sont tamisés à la main, pour séparer les grains de la membrane entourant les oeufs que l’on appelle « la gonade ». Les grains sont alors rincés deux, trois fois par décantation avec de l’eau courante jusqu’à ce que celle-ci soit claire. Les oeufs sont ensuite pesés, puis salés avec du sel pur à 99% et du borax (minerais de bore). L’étape du salage est la plus importante. La quantité est calculée électroniquement et à la main. Il faut retrouver le goût de noisette. Si le salage est insuffisant, le caviar va s’abimer et s’il est trop important, le gout et la texture des oeufs seront détériorés. Immédiatement après le salage, c’est la mise en boite.
De là comme pour le vin, vous avez le caviar primeur d’une part et celui qui va être affiné (le Prestige de taille Beluga par exemple), où seuls les gros grains, fermes et clairs sont choisis. Comme pour le fromage nous précise Laurent Dulau. Avec le temps, le caviar va évoluer. L’affinage peut durer jusqu’à 2 ou 3 ans, entre -3 et 3°. Ainsi le goût se renforce.
A ses yeux la définition du caviar, est un produit tout en subtilité et en délicatesse, mais avec de la puissance en retour de bouche. Un parallèle avec le vin nous confirme t-il dans un sourire.
Juin 2016
Par Katya PELLEGRINO