L'Architecture d'Aujourd'hui : Le luxe en architecture
La très sérieuse et talentueuse revue "L'Architecture d'Aujourd'hui" consacre son dernier numéro au luxe dans l'architecture. Un domaine où des Pyramides à Versailles et du Palais d'été des empereurs de Chine aux Cathédrales le passé a montré que les hommes ont toujours su faire des rêves de pierre...
Mais aujourd'hui ? Ce numéro de la revue publiée par les Editions Jean-Michel Place apporte la preuve qu'ils savent toujours rêver; cependant ce ne sont plus les dieux où les rois qui habitent les plus luxueuses demeures de nos jours...
Disons plutôt que les Dieux et les rois ont bien changé : ce sont désormais les clients ou les tycoons pour qui se construisent les nouveaux palais !
Des rois clients aux clients rois
Le dernier en date, tout récemment inauguré, est celui que Louis Vuitton vient d'ouvrir pour ses clients avenue des Champs Elysées et pour lequel le malletier a choisi de se doter de sa propre agence d'architecture : 26 personnes sous la direction de David Mc Nulty. Sans pour autant se passer de l'apport de talents extérieurs : Jun Aoki, Kengo Kuma...
La luxueuse revue bilingue des Editions Jean-Michel Place dans sa dernière livraison donne ainsi un aperçu édifiant du luxe de l'architecture moderne. Si le comble a sans doute été atteint autrefois par un Roi-Soleil qui fit dresser son château de Versailles dans l'axe du lever du soleil le 23 aout, le jour de la saint Louis, de sorte que les deux astres puissent se contempler à leur lever... les rois de l'industrie ou de la finance comme le "client-roi" sont eux aussi bien servis par l'architecture du XXIème siècle.
"Le luxe nécessite l'esclavagisme..."
C'est cependant dans l'ordre du pouvoir politique que vient le premier exemple cité par la revue - là où on ne l'attendait pas, puisque le Berlin Hauptstadt der DDR (Berlin capitale de la République démocratique allemande) reconstruit en 1949 est l'oeuvre du pouvoir est-allemand, avide de paraître et de donner à Berlin des allures de capitale.
D'Albert Speer à Hermann Hensellmann les germains restent orientés vers le "Kolossal"; mais comment ce dernier pouvait-il équiper 2,3 kilomètres de la Karl-Marx-Allee ou la Stalinallee en pleine pénurie de matériaux tout en respectant les volontés du secrétaire général du Parti communiste Walter Ulbricht ? Ces exigences et le rythme effréné de production déclenchèrent d'ailleurs des émeutes parmi les ouvriers du gigantesque chantier ! Ce fut à cette occasion que Heiner Müller l'ambassadeur culturel du régime et figure légendaire de l'Allemagne de l'Est eut cette réflexion étonnante : "le luxe nécessite l'esclavagisme..."
Bateau de guerre... et de luxe
Le luxe moderne peut aussi se cacher sous des apparences guerrières : le Skat, bateau de plaisance sorti des mains d'Espen Oino architecte naval et Marco Zanini designer d'intérieur en est l'illustration. Ce super-yacht, bateau de guerre en apparence, cache sous des formes et couleurs militaires, cabines, bureaux, bibliothèques, ou salles de conférence baignant dans une ambiance d'appartement moderne inspirée par Vasarely ou Arne de Jacobsen selon les goûts du propriétaire du vaisseau, un informaticien fortuné.
De la tour radar jusqu'au numéro d'immatriculation sur fond gris, tous les détails extérieurs s'inspirent de l'esthétique martiale, mais un espion jetant un regard par les hublots en forme de fentes de tir pour mitailleuses ne verrait que de vastes et paisibles espaces intérieurs lumineux ponctués de touches de couleurs primaires...
Zen contre "Chaos créatif"
De la boutique Desert à Nice, un lieu qui traduit la simplicité des vêtements sélectionnés à celle de Comme des Garçons de Dover Street Market en plein coeur de Londres le contraste dans les concepts est éclairant. La dernière, s'éloignant de la simplicité très Zen de la première, met au contraire en place "une athmosphère de chaos descriptif" organisé par la créatrice de la marque Rei Kawabuko qui en a confié la réalisation à six designers différents... La revue fait également visiter le très français et avant-gardiste Colette ou le magasin Louis Vuitton de Tokyo où Jun Aoki a été invité à mettre en scène un équilibre entre tradition et invention, entre audace et confidentialité, une constante dans la stratégie de la marque : l'architecte a parfaitement répondu a la demande.
Les architectes au service des stratégies de marque
C'est encore au Japon et tout particulièrement dans le très chic quartier d'Omotesando que l'on voit s'appliquer au mieux ce principe en visitant le siège et la boutique de la marque de chaussures de luxe italienne Tod's. Dans cet esprit l'interview de l'architecte Toyo Ito nous apprend qu'il existe un idéogramme exprimant la notion de luxe "Kô-Kyû", et dont la meilleure traduction est "de haute classe", mais qu'en fait au Japon, à la différence de l'occident, les produits de luxe ne servent pas uniquement à marquer une distinction sociale.
Les nouveaux architectes sont capables de prouesses : Le pavillon de thé, Kawagoe dans la préfecture de Saitama garde ainsi le cadre millénaire de la cérémonie du thé mais avec pour objectif "d'obtenir un design qui reflète notre époque, appelée en japonais d'après la chronologie impériale l'ère Heisei (1989-....). Une superbe réussite d'équilibre.
Digne du livre Guiness des records
Les palaces sont évidemment analysés par L'Architecture d'Aujourd'hui. Sont notamment comparés le nouvel équilibre architectural de l'hôtel Castell dans les Grisons en Suisse près de St Moritz et l'Emirate Palace à Abu Dhabi. Le premier, racheté par le collectionneur d'Art Rudi Bechtler, a été redistribué en suivant les courbes de niveau du terrain et doté d'un hammam "spectaculaire et sensuel". L'Emirate Palace un hôtel 5 étoiles géré par la chaîne Kempiski est quant à lui digne du Livre Guinness des records. En ce lieu où on sait désormais que le pétrole n'aura qu'un temps et que la fortune ne se trouvera plus sous le sable... mais dessus, on ne lésine pas sur le grandiose, tout comme dans l'étonnant Club Universal de Kaliningrad, l'ancienne Königsberg, un complexe de divertissement où l'architecte Ricardas Vysniauskas... ne fait pas de complexes dans un environnement d'un éclectisme étonnant.
Un numéro spécial de L'Architecture d'Aujourd'hui à consulter d'urgence pour découvrir et comprendre un peu mieux ce monde où l'architecture ne craint pas la démesure dans le "branding" et la glorification des marques.
Le dernier en date, tout récemment inauguré, est celui que Louis Vuitton vient d'ouvrir pour ses clients avenue des Champs Elysées et pour lequel le malletier a choisi de se doter de sa propre agence d'architecture : 26 personnes sous la direction de David Mc Nulty. Sans pour autant se passer de l'apport de talents extérieurs : Jun Aoki, Kengo Kuma...
La luxueuse revue bilingue des Editions Jean-Michel Place dans sa dernière livraison donne ainsi un aperçu édifiant du luxe de l'architecture moderne. Si le comble a sans doute été atteint autrefois par un Roi-Soleil qui fit dresser son château de Versailles dans l'axe du lever du soleil le 23 aout, le jour de la saint Louis, de sorte que les deux astres puissent se contempler à leur lever... les rois de l'industrie ou de la finance comme le "client-roi" sont eux aussi bien servis par l'architecture du XXIème siècle.
"Le luxe nécessite l'esclavagisme..."
C'est cependant dans l'ordre du pouvoir politique que vient le premier exemple cité par la revue - là où on ne l'attendait pas, puisque le Berlin Hauptstadt der DDR (Berlin capitale de la République démocratique allemande) reconstruit en 1949 est l'oeuvre du pouvoir est-allemand, avide de paraître et de donner à Berlin des allures de capitale.
D'Albert Speer à Hermann Hensellmann les germains restent orientés vers le "Kolossal"; mais comment ce dernier pouvait-il équiper 2,3 kilomètres de la Karl-Marx-Allee ou la Stalinallee en pleine pénurie de matériaux tout en respectant les volontés du secrétaire général du Parti communiste Walter Ulbricht ? Ces exigences et le rythme effréné de production déclenchèrent d'ailleurs des émeutes parmi les ouvriers du gigantesque chantier ! Ce fut à cette occasion que Heiner Müller l'ambassadeur culturel du régime et figure légendaire de l'Allemagne de l'Est eut cette réflexion étonnante : "le luxe nécessite l'esclavagisme..."
Bateau de guerre... et de luxe
Le luxe moderne peut aussi se cacher sous des apparences guerrières : le Skat, bateau de plaisance sorti des mains d'Espen Oino architecte naval et Marco Zanini designer d'intérieur en est l'illustration. Ce super-yacht, bateau de guerre en apparence, cache sous des formes et couleurs militaires, cabines, bureaux, bibliothèques, ou salles de conférence baignant dans une ambiance d'appartement moderne inspirée par Vasarely ou Arne de Jacobsen selon les goûts du propriétaire du vaisseau, un informaticien fortuné.
De la tour radar jusqu'au numéro d'immatriculation sur fond gris, tous les détails extérieurs s'inspirent de l'esthétique martiale, mais un espion jetant un regard par les hublots en forme de fentes de tir pour mitailleuses ne verrait que de vastes et paisibles espaces intérieurs lumineux ponctués de touches de couleurs primaires...
Zen contre "Chaos créatif"
De la boutique Desert à Nice, un lieu qui traduit la simplicité des vêtements sélectionnés à celle de Comme des Garçons de Dover Street Market en plein coeur de Londres le contraste dans les concepts est éclairant. La dernière, s'éloignant de la simplicité très Zen de la première, met au contraire en place "une athmosphère de chaos descriptif" organisé par la créatrice de la marque Rei Kawabuko qui en a confié la réalisation à six designers différents... La revue fait également visiter le très français et avant-gardiste Colette ou le magasin Louis Vuitton de Tokyo où Jun Aoki a été invité à mettre en scène un équilibre entre tradition et invention, entre audace et confidentialité, une constante dans la stratégie de la marque : l'architecte a parfaitement répondu a la demande.
Les architectes au service des stratégies de marque
C'est encore au Japon et tout particulièrement dans le très chic quartier d'Omotesando que l'on voit s'appliquer au mieux ce principe en visitant le siège et la boutique de la marque de chaussures de luxe italienne Tod's. Dans cet esprit l'interview de l'architecte Toyo Ito nous apprend qu'il existe un idéogramme exprimant la notion de luxe "Kô-Kyû", et dont la meilleure traduction est "de haute classe", mais qu'en fait au Japon, à la différence de l'occident, les produits de luxe ne servent pas uniquement à marquer une distinction sociale.
Les nouveaux architectes sont capables de prouesses : Le pavillon de thé, Kawagoe dans la préfecture de Saitama garde ainsi le cadre millénaire de la cérémonie du thé mais avec pour objectif "d'obtenir un design qui reflète notre époque, appelée en japonais d'après la chronologie impériale l'ère Heisei (1989-....). Une superbe réussite d'équilibre.
Digne du livre Guiness des records
Les palaces sont évidemment analysés par L'Architecture d'Aujourd'hui. Sont notamment comparés le nouvel équilibre architectural de l'hôtel Castell dans les Grisons en Suisse près de St Moritz et l'Emirate Palace à Abu Dhabi. Le premier, racheté par le collectionneur d'Art Rudi Bechtler, a été redistribué en suivant les courbes de niveau du terrain et doté d'un hammam "spectaculaire et sensuel". L'Emirate Palace un hôtel 5 étoiles géré par la chaîne Kempiski est quant à lui digne du Livre Guinness des records. En ce lieu où on sait désormais que le pétrole n'aura qu'un temps et que la fortune ne se trouvera plus sous le sable... mais dessus, on ne lésine pas sur le grandiose, tout comme dans l'étonnant Club Universal de Kaliningrad, l'ancienne Königsberg, un complexe de divertissement où l'architecte Ricardas Vysniauskas... ne fait pas de complexes dans un environnement d'un éclectisme étonnant.
Un numéro spécial de L'Architecture d'Aujourd'hui à consulter d'urgence pour découvrir et comprendre un peu mieux ce monde où l'architecture ne craint pas la démesure dans le "branding" et la glorification des marques.
Novembre 2005
Par Yves CALMEJANE
