Gastronomie


Vendanges 2005 à St-Emilion : Un luxe de détails !

Les vendanges se terminent à peine a St-Emilion que certains n'hésitent pas à nous refaire le coup de l'année du siècle ! La tentation est grande me direz-vous, le siècle ne faisant que commencer...
Qu'en est-il vraiment de ce déjà fameux millésime 2005 ?
Et tout d'abord, est-il le même partout ?
Ce que le grand public ignore

Je ne parle pas ici des différences entre régions viticoles, différences liées à des conditions climatiques inégales, ne serait-ce qu'en terme de précipitations, mais plutôt de différences au sein d'une même appellation. Prenons le cas de St-Emilion par exemple, puisque j'y étais...
Une appellation de 5.500 ha, sur quatre grands types de sol, avec au moins deux cépages majoritaires, le merlot et le cabernet-franc.
Tous ces paramètres sont évidemment facteurs de diversité et introduisent des variables aléatoires non négligeables que le grand public ignore !

Une partie de poker

Les vendanges, ici comme ailleurs, ressemblent à une partie de poker où chaque joueur possède des atouts ainsi que des cartes plus faibles, le jeu consistant à un faire le meilleur usage possible : Cabernet-franc sur sols chauds, merlot sur sols froids, cabernet sur plateau calcaire, merlot sur sable, que sais-je encore ?
Quand faut-il les vendanger pour qu'ils soient à leur meilleur ? Et comment les vendanger ? A la machine? à la main? Et à la main, comment les transporter? Dans une remorque avec une vis sans fin ? En cagettes individuelles ? A quel moment faut-il trier les raisins ? Dans la vigne, grappe par grappe? Sur table de tries dans le chai?
Ce ne sont là qu'une partie des questions auxquelles les vignerons sont confrontés et qui suffisent pour comprendre à quel point tout jugement global sur un millésime s'avère approximatif !

Généralement on associe soleil et qualité du vin...

Essayons, quand même, de qualifier ce millésime 2005. On peut le ranger dans la catégorie des millésimes chauds, marqués par la sécheresse. Pas identique à celle de 2003, année de canicule avec des nuits chaudes, mais proche d'un 1976, voire d'un 1990.
Généralement on associe soleil et qualité du vin, ce qui est réducteur, le grand vin réclamant de l'équilibre entre tanins, acidité et alcool. De l'acidité, les années chaudes en sont souvent démunies , les vins manquent alors de fraîcheur et leur capacité de vieillissement s'en trouvent diminuées.

Ramasser un raisin suffisamment mûr... mais pas trop

La difficulté pour tout bon viticulteur reste celle-ci : Ramasser un raisin suffisamment mûr... mais pas trop et s'il attend, prendre le risque de perdre la récolte du fait des éventuelles intempéries.
Chacun répond à cette problématique en fonction de son caractère, les prudents et les pessimistes d'un côté, les insouciants et les optimistes de l'autre. Problématique exacerbée ces dernières années par le désir de certains à satisfaire au goût de la plupart des critiques américains, goût prononcé pour les vins puissants et alcoolisés.
Cette année, dans le vignoble de St-Emilion, on a pu constater jusqu'à quinze jours d'écart entre la date de ramassage des cabernets pour des propriétés voisines et avec des natures de sol proches !
Cela semble énorme et ne devrait pas manquer de susciter la polémique. Sinon la grande majorité aura vendangé entre le 20 septembre et le 4 octobre, avec d'excellentes conditions climatiques. Les raisins étaient sains et mûrs aux peaux épaisses. Les jus sont très colorés et arômatiques, avec des notes de fruits noirs.

Tout est en place pour réaliser une grande année

Tout est donc en place pour réaliser une grande année, c'est à dire une année mettant entre parenthèses le talent et les sacrifices consentis par les vignerons. Une de ces années où, comme le disait un propriétaire, il vallait mieux changer de métier si on n'était pas capable de faire bon !
Une année de transition dans les éternels débats secouant la profession, entre adeptes des vendanges vertes et effeuillages maximums, avec les tenants d'un peu plus de retenue envers ces pratiques. Une année où les tables de tries n'auront servi qu'à voir passé les raisins et conforter les laxistes dans leur vision rousseauiste de la nature. Tant pis pour les puristes du tri sélectif, les spécialistes du grain par grain, comme pour les inventeurs à l'imagination sans bornes mettant au point des machines de plus en plus perfectionnées pour arriver au même résultat : Le fameux crédo du "zéro défaut" dans la vendange, comme si la vie - et donc le vin qui en découle - n'était pas faite de hasards, d'imperfections, d'impuretés, tout cela donnant les crus à forte personnalité, derniers remparts face à la standardisation du goût !

Le millésime 2005 redonne espoir à une profession

Ce qui ne veut évidemment pas dire que seule la nature fait le vin, mais qu'elle et ceux qui savent l'écouter sont indissociablement liés dans cette magnifique création qui contribue au bonheur des humains, l'élaboration de grands vins de terroir.
Alors en conclusion, rendons hommage à ce millesime 2005 qui aura eu comme premier mérite de redonner de l'espoir à une profession se sentant agressée, voire mal aimée et de contribuer à ce que les médias s'intéressent d'avantage à ce formidable atout pour le renom de la France dans le monde, la magie de ses grands vins !
Novembre 2005
Par Pascal FAUVEL
Nos remerciements à Jean-Luc Thévenin : www.thunevin.com