Portraits


CharlElie is alive and well and living in Manhattan

 



CharlElie Couture
, bluesman à la française, vit depuis deux ans près de Time Square avec femme, enfants et pinceaux. Peintre, dessinateur et photographe, CharlElie n'a qu'un seul sujet, une seule passion: New York.


 


CharlElie dans la Grosse Pomme

Je ne sais pas pourquoi mais CharlÉlie Couture m'a toujours fait penser à Tintin : histoire de houppette sans doute - qu'il porte au menton et non pas au sommet du crâne, c'est plus original -, et puis cette façon, à la fois lunaire et déterminée, qu'il a de mener sa vie. On l'aura connu tour à tour Nancéien prodige, néobobo parisien, Australien d'adoption, Asiatique par intermittence, expérimentateur en arts appliqués de toutes sortes, et même tennisman acceptable (ce qui n'a strictement rien à voir avec le reste). Les hasards de l'existence et la complicité de la French connection - toujours vivace outre-Atlantique - me l'ont fait retrouver... Peintre et new-yorkais dans son atelier, quelque part à deux pas de Times Square. Il faisait bleu et froid ce jour-là, avec dans l'air cette odeur de pop-corn et d'oignons frits mélangés si propre à Manhattan. Pierre B. - solidarité d'expatrié oblige - n'était pas peu fier de me présenter son ami CharlÉlie installé, depuis deux ans déjà, dans la Grosse Pomme, avec famille et pinceaux.


A Frenchman in New York

Eh oui ! Hormis les cohortes de fans restés fidèles lors de tournées improbables à l'écart des sentiers du showbiz hexagonal, on était un peu sans nouvelles du barde nonchalant à voix de rogomme, celui-là même qui avait réussi à donner au français des accents bluesy. Une langue qui en a naturellement si peu... On est d'autant plus heureux de le découvrir en rapin beatnik customisé, visiblement ravi dans les trente mètres carrés de son atelier avec comme skyline les reflets métalliques des tours de Manhattan. Ici, CharlÉlie doit être considéré comme un artiste parmi d'autres, un Frenchy juste un petit peu plus fantasque que ses congénères d'importation, un talent en devenir. De quoi satisfaire les angoisses de cet éternel vagabond, pour une fois à l'aise dans ses rangers, pour qui "l'art est question, l'artisanat une réponse". Le poète de Comme un avion sans aile n'en oublie pas l'art qui l'a nourri et qui lui permet d'assurer - modestement dit-il - son rêve new-yorkais. Nous avons ainsi la chance d'entendre en avant-première les quatorze titres de son prochain album enfilés sur un tout petit musicassette : un retour au rock manifeste avec de grosses guitares saturées et un harmonica funky omniprésent. Croyant être aimable, je m'enhardis au jeu des comparaisons: "Trés ZZ Top, ce rythme boogie... Ah! Cette intro ! Excellente ! Cela me fait penser à Police". Le maestro, qui écoute son ceuvre les yeux fermés en dodelinant de la tête, soulève une paupière : "ZZ Top, Police? Rien à voir!", lâche-t-il irascible. J'avais oublié que les artistes n'aiment pas être comparés... et CharlÉlie est incontestablement incomparable.


Mauvais pas

Un peu nerveux, j'en conviens, je botte en touche - au sens propre, hélas - en faisant de grandes enjambées en direction des murs recouverts de peintures et de créations diverses de notre hôte. Une sorte de rugissement comme venu du fond des âges me fige dans mon élan. C'est CharlÉlie qui vocifère : "Rhaaa! il est en train de marcher dessus!!!" Horreur et damnation : je suis effectivement en train de fouler, d'un bon 43 botté Hermès (fourré mouton pour les grands froids new-yorkais), deux toiles posées à même le sol que j'avais prises pour des dalles grises et noires... des monochromes à la façon de Rothko, réalisai-je in petto. Pierre B., témoin de la scène, se mord les lèvres pour ne pas rire. J'ai la pénible impression d'être Peter Sellers dans The Party, à moins que cela ne soit une séquence inédite de L'Alphart, le fameux projet inachevé d'Hergé sur le milieu de l'art contemporain.
CharlÉlie Couture, qui a tout de même de l'humour - et un bon sens pratique - vérifie l'absence de dégâts : "Ça va, c'est pas crevé", dit-il d'une voix neutre en passant la main sur la toile intacte. Je remercie intimement le moelleux et la souplesse des semelles Hermès qui, mine de rien, m'ont sauvé d'un mauvais pas. Difficile de retrouver son sérieux après un incident aussi peu propice à l'appréciation sereine de la création couturienne. Bah, vu des défuntes Twin Towers, tout cela n'apparaît quand même pas si grave. D'ailleurs, la bonne humeur revient vite dans notre petite troupe d'émigrés, plus ou moins transitoires, que nous formons à New York. Et New York, c'est évidemment la grande affaire de CharlÉlie, peintre, dessinateur et photographe.


"Il y a une histoire derrière chaque gant..."

Les lecteurs de SENSO en ont dans ces pages un joli aperçu : scènes de rue croquées sur le vif, fascinations archi- tecturales, lignes blanches minima- listes sur fond de bitume, photo- montages oniriques pour taxi drivers dépressifs. Couture à l'enthousiasme des convertis, le regard singulier de l'étranger, la poésie du touche-à-tout. Il y a même sur un coin de radiateur des empilements de gants orphelins ramassés dans les rues de Manhattan. "Il y a une histoire derrière chaque gant, dit-il songeur. J'en ferai un jour quelquechose ... " C'est comme ces curieux morceaux de bois calciné, là-bas, au fond de l'atelier, qui forment comme le squelette d'une ville fantôme. Le thème d'une prochaine exposition ? CharlÉlie Couture me fait penser à un autre musicien installé à New York. Auteur compositeur et interprète comme lui, passé par les écoles d'art et qui avait un joli coup de crayon. Il s'appelait John Lennon, mais je n'ose pas le lui dire. Peut-être le prendrait-il mal ? En tout cas, c'est un compliment. Un très grand compliment.







Cet article est paru dans
Senso n°23
Mars 2006
Par Thierry TAITTINGER