Culture


Marianne Basler : une femme d'exigence

La comédienne belge d'origine suisse aime les rôles complexes parce que sinon elle s'ennuie. Son personnage dans la dernière pièce de Jean-Marie Besset, "Les Grecs" ne lui donne pas le temps de bâiller, tant il est fin et contradictoire. Une performance à la hauteur de ses exigences.
"Si on allait au café, je passe déjà beaucoup de temps ici". Direction le Backstage Café, restaurant cosy en face du théâtre Montparnasse. Marianne Basler passe en effet beaucoup de temps au Petit Montparnasse puisqu'elle y incarne Léna, intellectuelle-gauche caviar dont le couple dérape sexuellement et culturellement, lors d'une soirée, dans un triangle et même un rectangle amoureux. La comédienne aime les défis. Pas facile de faire s'exprimer sur elle-même celle qui préfère donner vie aux paroles des auteurs. Elle s'étonne qu'un spectateur l'ait trouvée trop maigre, elle "dont le poids n'a pas bougé depuis 20 ans". Elle qui arbore la quarantaine légère, trouve flatteur que le jeune Xavier Gallais lui donne la réplique dans un personnage qui est sensé être un ami de fac. Elle s'inquiète de savoir si la représentation de la veille vous a plu parce qu'elle-même ne l'avait pas bien ressentie. Une femme tout en charme et en simplicité mais pas en laisser-aller.


Une famille bourgeoise universitaire

Un père médecin, une mère avocate, Marianne décrit sa famille comme "bourgeoise et universitaire". Rien ne la prédestinait à une carrière d'actrice, si ce n'est que sa famille possède une tradition littéraire importante. Elle aime les mots. Les mots qui veulent dire quelque chose, qui expriment des idées ou des images, qu'ils soient poétiques ou philosophiques. Sa grand-mère, écrivain, l'a très tôt éveillée aux livres, "à des univers très forts et très poétiques". L'école de Marianne abrite un théâtre. Un jour, on cherche la jeune première. La bonne élève de 14 ans, bien qu'assez timide et réservée, sans même sans rendre compte, lève le doigt. A l'audition, la première de la classe n'est pas prise, Marianne, met tout son cœur et sa passion pour ce métier dans cette phrase dont elle se souvient encore : "C'est vraiment vrai que vous êtes un enchanteur ?". Le metteur en scène ne lui laisse pas finir. A-t-il deviné déjà tout son potentiel ? La scène l'enchante. "Pour quelqu'un comme moi qui ne s'exprimait pas, ça me permettait d'exprimer quelque chose".


Des rôles dramatiques

En âge de choisir sa voie professionnelle, "totalement incapable de faire ce que je n'avais pas envie de faire", elle opte pour des études universitaires d'histoire de l'art. Mais autre chose occupe son esprit. Forte et libre du sentiment "qu'on attendait moins de moi que de mon frère", (polytechnicien), elle entre au Conservatoire de Bruxelles. "Fallait que je tente ça, que j'essaye. Mais je n'avais pas le sentiment définitif de faire ça pour la vie". Le Conservatoire l'ennuie "relativement" mais elle en sort avec "de bien belles amitiés et de belles relations" et un prix d'interprétation. La Belgique lui offre pas mal de propositions, même des comédies pour lesquelles elle a un penchant mais elle a envie de plus, fidèle au sentiment d'exigence que ses parents lui ont inculqué. Paris lui propose rapidement des rôles plus tragiques. "Je suis plus légère aujourd'hui, j'ai davantage envie de comédie". Les années 80, ne lui offrent que des comédies franchouillardes loin de la culture raffinée de l'intellectuelle Marianne, plus proche de l'humour anglo-saxon de "Trahisons" de Pinter qu'elle jouera quelques années plus tard. Il est vrai que la barre est haute dès le départ. Elle débute dans Chimène que monte Gérard Desarthe et enchaîne les rôles dramatiques. Nommée en 1987 comme meilleur espoir féminin aux Césars pour Rosa La Rose, elle éclate dans Noces Barbares. "Au début j'étais stakhanoviste du travail. Je lisais tout sur les auteurs que je jouais, sur les personnages que j'incarnais. J'étais très laborieuse". La timidité ne l'aurait-elle jamais quitté ? Ne se faisait-elle pas confiance ? Maintenant elle bûche moins. "Je cherche plutôt comment je m'amuse le mieux. Parce que je crois que le plaisir de faire les choses, est important".


De l'envie d'arrêter à "de plus en plus envie"

En 1992, la mère fait place à la comédienne. Marianne a un enfant puis un autre. Pour conjuguer maternité et comédie, elle s'arrange comme elle peut. "J'ai fait très jeune ce métier qui n'est presque pas un métier. C'est si difficile d'avoir des enfants et de jouer. Si j'avais su que c'était si difficile, je ne l'aurais pas fait". Elle choisit de s'arrêter deux ans à la naissance de son premier fils. "J'ai refusé des choses, mais j'ai aimé être mère. J'espère qu'ils seront autonomes, et fiers d'eux". Son rôle de maman lui donne d'autres priorités comme les voyages, son besoin d'être sur scène s'émousse. "J'ai eu des périodes où j'ai eu moins envie. Mais je me suis forcée pour reprendre. J'ai senti pour ma vie de couple qu'il fallait, qu'il était important que je recommence".
Et puis elle préfère attendre le rôle qui assouvira son exigence des beaux textes et des personnages complexes. "Chaque fois que j'ai envie, de nouveau, j'ai envie de plus en plus". Et pourrait-on dire de mieux en mieux.


La rencontre

Elle rencontre le metteur en scène, auteur, acteur et ex-administrateur du Français, Jacques Lassallle qui lui donne des rôles magnifiques. Une relation professionnelle unique s'instaure entre le metteur en scène et l'actrice faite de "recherche, de propositions et de temps en mouvement". Il lui offre Strindberg ou Duras. Elle incarne l'auteur de "L'Amant" dans une des parties, portée à la scène, "Monsieur X. dit Pierre Rabier". "C'est l'incroyable force de Duras qui m'a séduite". Ce "vrai beau spectacle" occupe une place à part dans le CV de la comédienne belge. Dans cette pièce, à l'époque, elle incarne un personnage vivant et se replonge dans une période, celle de la seconde guerre mondiale, "de la Shoah, une période qui m'a ébranlée". Un temps pour lequel Marianne a toujours ressenti "un terrible effarement" qui ne l'a jamais quitté.


"Raconter une histoire de son temps"

L'héroïne de "Noces Barbares" voit dans son métier la possibilité de "raconter des histoires", d'être positif, de monter sur scène pour "avoir quelque chose à dire" et à transmettre comme "le bonheur que j'ai, d'avoir envie de jouer". Marianne a l'envie mais aussi l'énergie qu'il faut pour arriver à incarner. "J'aime le théâtre. Il y a toujours une construction pour jouer, une installation de lignes de force" qui apparaît pendant les répétitions. Elle voit comme un privilège et une responsabilité dans le fait d'être comédienne. Pour elle, "écrire, c'est raconter une histoire de son temps, l'évolution d'une société". La pièce qu'elle joue en ce moment au Petit Montparnasse, n'aurait pu être présentée il y a, ne serait-ce que 15 ans, dans un théâtre privé. "C'est une avancée de pouvoir raconter cette histoire et je trouve important de pouvoir faire partie de ça".

Peut-être qu'un jour prochain, l'actrice reviendra à ses jeunes amours de cinéaste quand elle réalisait des courts-métrages, dont elle est très fière, en se lançant dans la réalisation d'un film. Un metteur en scène choisit, supervise, est responsable de tout. Cela convient très bien à Marianne qui aime "savoir comment les choses se dessinent".
Juin 2006
Par Véronique GUICHARD
Les Grecs 
Pièce de Jean-Marie Besset
Mise en scène de Gilbert Désveaux
Avec Marianne Basler, Xavier Gallais, Jean-Michel Portal, Salim Kechiouche

Un couple bobo, reçoit à dîner dans sa belle maison de l'Ouest parisien, un ami de jeunesse de l'hôtesse qui partage sa passion des auteurs grecs. Un duel croisé s'engage entre les protagonistes tant sur Homère que sur la possibilité de vie à deux. Le dérapage sensuel et sexuel arrive entre les hommes et entre la femme et le petit ami maghrébin du copain de jeunesse qui survient. Comment le couple et les couples s'en sortiront-ils au matin? Une pièce fine et drôle, acerbe sur le couple, merveilleusement interprétée, habilement mise en scène, qui ne tombe jamais dans le vulgaire. Délicieusement dérangeante.

PETIT MONTPARNASSE
31, rue de la gaité
75014 PARIS