Marc Jacobs : My loves art
Le mariage réussi du couturier et de l'artiste
Peu de temps après son arrivée, le styliste révolutionne l'image du roi du monogram (LV) et fait appel à des artistes pour réactualiser les modèles de bagagerie. L'histoire d'amour et la complicité entre couturiers et artistes a de respectables antécédents. Dans les années 1930, Elsa Schiaparelli cultive un étroit contact avec beaucoup d'artistes, qui ont enrichi ses collections de manière spontanée. Intime de Cocteau, Christian Bérard, Salvador Dali, elle demande à ce dernier de lui créer avec Gala un chapeau-chaussure, le "bibi-chéri". En 1969, le sculpteur Claude Lalanne, amie d'Yves Saint Laurent, réalise pour l'un des défilés du couturier un buste en métal doré reprenant au moule la forme exacte des seins du mannequin choisi pour porter une longue robe en crêpe de soie bleue nuit... Le couturier Jacques Doucet aura le premier une relation personnelle avec les artistes, on connaît sa somptueuse collection de meubles et d'œuvres d'art, et son rôle de mécène. Il a acheté Les Demoiselles d'Avignon de Picasso et La Charmeuse de serpent du Douanier Rousseau, et terminera sa vie très proche de Marcel Duchamp et Francis Picabia. Deux artistes qu'affectionne particulièrement Marc Jacobs. Il vient d'acquérir un Picabia de la période des transparences (début 1930) et la Mona Lisa moustachue "L.H.O.O.Q" de Marcel Duchamp, est un de ses tableaux préférés.
Vive la révolution!
En 2001, Jacobs invite l'artiste new-yorkais Stephen Sprouse à taguer le sacro-saint Monogram : "Lui demander de dessiner des graffitis était pour moi une démarche aussi forte que celle de Duchamp défigurant une œuvre classique, comme si cet acte rendait l'original plus fort" précise-t-il. Deux ans plus tard, sa collaboration avec Takashi Murakami dépasse toutes les espérances. "Avec Takashi, c'était une intuition... nous avons eu beaucoup d'échanges, de conversations sur les couleurs...". C'est en voyant l'œuvre Hiropon du Japonais à la salle des ventes Christie's que le couturier a le déclic. S'en suit une connivence exceptionnelle entre les deux hommes, qui ira plus loin qu'une seule saison. Le monogram Multico fait un carton, puis le "Cherry Bag" et les accessoires, comme le petit bracelet "Charm". Superstitieux, Marc Jacobs ne monte jamais dans un avion sans l'avoir au poignet, comme un porte bonheur. Hormis une entente à but commercial, il soutient l'artiste et lui achète plusieurs œuvres pour sa collection personnelle.
Vitrines et défilés: un véritable show
Fidèle à l'opération commerciale des fêtes de fin d'année, c'est successivement avec les artistes Bob Wilson et Ugo Rondinone qu'il s'associe pour imaginer la scénographie des vitrines de Noël. Avec ce dernier, le sapin devient un arbre pantin dont aurait pu être friand Tim Burton. Le Dieu des Japonaises en goguette élabore des shows fracassants. Pour son dernier défilé Hommes 2006/2007, il demande à l'artiste Jim Lambie de lui imaginer un décor pop et psychédélique au Petit Palais.
Une âme d'artiste
Les collaborations ne s'arrêteront sûrement pas en si bon chemin, la recette est devenue un classique. Pour les campagnes Marc Jacobs, le photographe Juergen Teller met en scène Sofia Coppola et Charlotte Rampling, charmeuses et décalées, si sexy...
Né à New-York, le couturier étudie à la Parsons School of Design. Au milieu des années 80, la pétillante scène artistique animée par Keith Haring, Jean-Michel Basquiat, Kenny Sharp et tant d'autres, se trouve à East Village, où naissent de nombreux courants de mode, d'art et de musique. Marc Jacobs garde de cette effervescence ses premiers émois artistiques. Petit à petit il s'initie, affine son goût et s'intéresse aux origines de la peinture. C'est à Paris au Centre Georges Pompidou lors de l'exposition "Chers peintres" en 2002, qu'il attrape définitivement le virus de l'art. Depuis il n'est pas rare de le croiser dans les biennales comme Venise ou dans les foires comme Art Basel, accompagné de son amie l'artiste Elisabeth PeytonJones, dont il possède plusieurs toiles. Il trouve son travail "plein d'espoir et de romance, très immédiat, frais, léger, beau et glamour. La technique est aboutie. La peinture est fine, translucide. Les gens qu'elle représente sont comme "peytonisés". Dans son jardin secret, il cultive quelques artistes : Jeff Koons, Damien Hirst, Ed Rusha, Richard Prince, John Currin, Horst Peter Horst... Il rêve de posséder une œuvre d'Egon Schiele ou une toile de Balthus. Tous ces artistes sont selon le couturier "la synthèse de l'art total". Sa simplicité légendaire en fait un véritable amateur d'art et non un collectionneur stratégique, "Je n'ai pas de grandes explications philosophiques à donner. Toutes les oeuvres que je possède sont accrochées chez moi. Je veux voir chaque matin qu'elles sont dans ma vie".
Il veut s'enthousiasmer et s'inspirer de ses contemporains, s'éloigner "de la prétention et du snobisme que véhicule parfois le monde de l'art". Aussi ne se prête-t-il pas au jeu des débats sur "le retour de la peinture" ou "l'esthétique du chaos" mais se laisse séduire par le glamour, le flashy, le coloré...
Jacobs mécène?
Le créateur est un homme de mode et le glamour est son affaire. Marc Jacobs est un homme au goût sûr. Suivra-t-il la route d'un Jacques Doucet, d'un Paul Poiret ou d'une Jeanne Lanvin, qui dédièrent leurs vie aux artistes ? Deviendra-t-il, comme eux à leur époque, le nouveau mécène de demain ?
Marie Farman
Cet article est paru dans ENJOY n°1