Culture


L'affaire du Collier

"Un collier de 2.800 carats ! Qu'on imagine : un rang de dix-sept diamants gros comme des noisettes faisait le tour du cou. S'y rattachait un triple feston orné de pendentifs en forme de poire. Des deux extrémités du premier rang descendaient en cascade deux triples rangs, noués sur la gorge retombant séparément jusqu'à la taille. Enfin, deux autres triples rangs terminés par des glands, retombaient, côte à côte, sur les épaules pour faire contre-poids."
Telle est la description de la pièce, présentée ci-contre, que fait l'historienne Evelyne Lever dans son dernier livre "L'Affaire du Collier". Un bijou d'une telle valeur qu'aucune cour d'Europe n'avait les moyens de se le procurer, et qui contribua pour beaucoup à perdre la monarchie française.
En pleine rentrée littéraire cette enquête historique, appuyée sur des textes rares et pour certains jamais édités depuis la fin du XVIIIème siècle, est un vrai succès de librairie.
L'Affaire du Collier fut, comme le dit par la suite Mirabeau, un des événements qui servit de "prélude à la révolution".
Au coeur du scandale qui allait éclater et révéler la crise profonde qui minait le régime

Böhmer et Bassenge, les deux bijoutiers qui proposaient ce collier, avaient mis, révèle l'historienne, "des années à rassembler des pierres de l'eau la plus pure pour réaliser cette composition digne des Mille et Une Nuits. Ils étaient persuadés que Louis XV l'achèterait pour Madame Du Barry. La mort du souverain avait ruiné leurs espérances et ils avaient dû engager une bonne partie de leur fortune pour la survie de leur entreprise, au demeurant florissante : ils avaient hypothéqué leurs salons de la rue Vendôme ainsi que leurs résidences personnelles. La négociation de cette pièce estimée à 1.800.000 livres devint une obsession."
C'est une somme considérable, le prix de 7 ou 8 hôtels particuliers de l'époque et de nos jours près de 10 millions d'euros... Même la reine Marie-Antoinette qui pourtant raffolait des bijoux, et particulièrement des diamants, avaient su résister. Non sans mal.
Elle se trouva cependant, involontairement, au coeur du scandale qui allait éclater et révéler la crise profonde qui minait le régime.
Nous sommes alors en 1785...

Quel auteur dramatique aurait imaginé un tel scénario ?

Böhmer et Bassenge ont essayé de vendre leur collier dans toutes les cours d'Europe. Mais aucun souverain n'avait les moyens de se procurer une pièce d'une telle importance. Aux abois, ces fins renards qui jouaient depuis longtemps avec le feu, sont tombés dans un traquenard abracadabrant et invraisemblable où apparaissent tour à tour la reine du pays le plus puissant de l'époque, le cardinal prince de Rohan, grand aumônier de France et libertin, et une bande d'aventuriers et de charlatans tels que la maîtresse du cardinal et le "mage" Cagliostro lui-même.
Quel auteur dramatique aurait imaginé un tel scénario, avec aventurières, espions, rencontres secrètes, fuites, emprisonnements et arrestation en pleine cour ?

Un monde en train de mourir

"Grande et heureuse affaire ! Un cardinal escroc, la reine impliquée dans une affaire de faux ! Que de fange sur la crosse et le sceptre ! Quel triomphe pour les idées de liberté ! Quelle importance pour le parlement !"
Loin de donner les clés de l'énigme, cette exclamation d'un magistrat du parlement de Paris montre l'importance de cette affaire quatre ans avant la révolution qui va bouleverser la France, l'Europe et le Monde.
Le scandale dépassait largement l'imbroglio romanesque des liaisons dangereuses et des intrigues de cour où la politique, l'escroquerie et le sexe se trouvaient étroitement mêlés. Le retentissant procès qui s'ensuivit fut pourtant un véritable procès politique, mettant en cause le régime, la société et la personne de la reine. Cette étrange aventure projetait sous les feux de l'actualité une société aristocratique isolée du monde extérieur, prête à n'importe quelle extravagance pour échapper à l'ennui qui la délitait. Révélée dans sa faiblesse, elle se profilait comme un bouc émissaire à abattre.
Quant aux merveilleux collier on ne le retrouvera plus jamais, la maîtresse du cardinal l'ayant revendu pièce par pièce...

Evelyne Lever qui fait là un superbe travail d'historien - qui se lit comme un roman d'espionnage - a repris toute les pièces de la procédure, réédité des textes oubliés, et interrogé les écrits du temps relatifs à cet événement, qui "remplit d'épouvante" le jeune Goethe "comme l'aurait fait la tête de Méduse".
Elle nous montre un monde en train de mourir.
Septembre 2004
Par Yves CALMEJANE
L'auteur

Chercheur au CNRS, Evelyne Lever,
spécialiste de l'Ancien Régime et de la Révolution,
est l'auteur de plusieurs biographies parues chez Fayard :
- Louis XVI (1985),
- Marie-Antoinette (1991),
- Louis XVIII (1988),
- Philippe Égalité (1996).

L'affaire du collier
Editions Fayard Août 2004
436 pages 24 €

Ci-contre Evelyne Lever Ph.John Foley/Opale