Bernard Magrez : un homme de challenge
« Où il y a de la vigne, il y de la civilisation. Il n’y a pas de barbarie. » (Hubert de Montille) cite Bernard Magrez , un homme « qui n’a peur de rien" et dont le parcours professionnel est hors du commun. Parti de rien, il va conquérir une à une les marches du succès, après de multitudes épreuves et sacrifices, pour prendre la place qu’il convoitait étant petit : « être parmi les meilleurs mondiaux dans le vin »
Une volonté de fer
Après une jeunesse difficile, (à l’école il portait dans le dos une traumatisante pancarte « je suis un paresseux ») il est à 15 ans mis à la porte par son paternel, et rentre dans un centre d’apprentissage (pour devenir scieur de bois) à Luchon. Ces 3 années vont être une délivrance pour Bernard Magrez et lui permettre de reprendre confiance en lui.
Rien ne le prédestinait à embrasser une carrière dans le vin. A 21 ans, il entre par la petite porte dans le monde du vin en rejoignant une maison de négoce et va tout apprendre sur ce monde inconnu. C’est ici que son rêve va prendre forme. Il en veut et fera tout ce qu’il faut pour être « parmi les meilleurs » et devenir le numéro 1 de l’œnologie.
Il analyse ainsi le parcours de ceux qui réussissent et décortique les raisons de ces gagneurs hors du commun pour arriver à les égaler.
De la livraison au rachat du Château Pape Clément
Tout d’abord il va passer une partie de sa jeunesse à livrer des portos moyen de gamme à la grande distribution, en rachetant une première entreprise de 3 personnes dans les années 60. Il devient numéro 2 avec la marque de spiritueux, Williams Pitters, puis place au whisky avec la création de William Peel (en référence à Esther Williams la nageuse) devenant numéro un, quinze ans après.
Enfin parallèlement, il crée « Malesan » vin de bordeaux et là-aussi devient leader national. Mais sa véritable ambition reste de rejoindre le club très sélect des grands propriétaires.
Dans les années 70, Bernard Magrez prendra les commandes d’un vignoble reconnu et d’une belle pièce de l’Histoire de France, le Château Pape Clément, qu’il finira par racheter.
Puis ce sont les années 90 qui lui permettront de voir sa collection de grands vins enrichie avec le grand cru de Saint-Emilion, Fombrauge, puis la Tour Carnet, un 4 ème cru classé haut Médoc.
En 2001, il achètera plusieurs vignobles dans le Bordelais avec son ami Gérard Depardieu.
A ce jour, Bernard Magrez est propriétaire de ses 35 vignobles, possède 11 grands crus d’exception et vient de monter une joint-venture au Japon sur les pentes du Mont Fuji, pour produire un vin blanc exceptionnel.
Qui dit mieux ?
Lorsqu’on lit les différents articles vous concernant, fort est de constater que rien ne vous prédestinait àtravailler dans le vin. Quel fut le déclic ?
Le fait d’aller à pied à l’école avec une pancarte au dos sur laquelle était écrit « je suis un paresseux ».
Pourquoi cette montée en gamme de vos vins ?
J’ai constaté avec le temps que la valeur du vin que je vendais n’était pas un marché d’avenir.
Seuls les marchés du vin en Espagne, au Chili, en Italie montaient en gamme.
J’ai donc commencé à changer ma stratégie dans les années 85/90, puis vendu Malesan pour m’orienter vers le haut de gamme.
Aujourd’hui, il ne faut pas se voiler la face, nous sommes battus par une nouvelle génération d’amateurs de vins de la Napa Valley, de l’Espagne, Italie, Chili, Argentine…
Le monde des affaires entretient souvent des rapports privilégiés avec le monde du vin. Il suffit de voir Laurent Dassault, Catherine Péré Vergé – propriétaire de Château Le Gay -, Jean-Jacques Frey, Jean Francois Quenin (Darty) qui ont leurs vignobles. A quoi attribuez-vous cette envie ? Un besoin de reconnaissance? Un symbole de réussite ?
Le monde du vin a beaucoup changé en 8 ans. Les gens importants aiment montrer qu’ils connaissent le vin.
Si vous prenez le cas de Laurent Dassault, c’est Marcel Dassault qui avait acheté son premier château avec vignoble et c’est Laurent Dassault qui l’exploite actuellement avec son très beau grand cru classé « ChâteauDassault ».
Quels sont vos critères pour choisir et acheter un vignoble ?
En premier lieu, je n’achète que des châteaux avec des noms qui ont un passé et qui sont classés. Bien souvent ils sont également à restaurer.
Comme je n’ai pas de temps à perdre, je cherche toujours des premiers crus classés qui ont déjà gagné.
Enfin, tous mes vins sont signés.
Vous travaillez main dans la main avec Michel Rolland, le célèbre œnologue. Y en a-t-il d’autres ?
A mes yeux, Michel Rolland est un génie, un as de l’œnologie.
Je travaille avec lui depuis les années 90.
Avant j’avais un autre œnologue Ibereau Gayon, qui est à la retraite aujourd’hui.
Comment définiriez-vous le génie de Michel Rolland ?
C’est un génie de l’assemblage pour les différents cépages. Sa méthode consiste à faire des vendanges tardives, avec les risques que cela peut comporter et que je prends, et d’avoir un rendement parfois faible, mais de grande qualité.
Certains de vos détracteurs estiment que vous fabriquez un peu toujours le même type de vin, sur les conseils de Michel Rolland. Que répondez-vous ?
Je ne répondrais qu’une seule chose élémentaire. Le génie du vin c’est le terroir qui le compose et chaque terroir est différent, alors comment pourrait on produire le même type de vin ?
On peut uniquement parler de cousinage.
A vos yeux, quelles sont les qualités essentielles pour réussir dans le vin ?
Pour réussir un vin de qualité deux règles sont fondamentales.
Tout d’abord il est nécessaire de cibler la qualité en courant les concours et avoir des vins notés, pour qualifier l’excellence.
Deuxièmement la commercialisation est vitale et c’est le point faible des français.
Ce qui nous singularise des autres négociants, reste de posséder notre propre équipe commerciale.
Ensuite la dégustation est importante et la presse capitale.
Que pensez-vous de Parker ?
Je ne peux rien dire car nous avons eu la chance 3 ans de suite, d’avoir trois 100 en 2005, 2006 et 2007
Vous suscitez des sentiments ambivalents entre l’amour et la haine. Faut il en passer par là pour arriver au sommet ?
Je n’ai pas de problème à ce sujet. Comme je suis un homme entier, je l’assume.Je n’ai hérité de rien et j’ai du me construire à la force du poignet. Mon succès je ne le dois qu’à moi et à ma capacité de travail.
Je suis très exigent vis-à-vis de moi-même et vis-à-vis des autres.
Comment voyez-vous l’avenir du vin dans les 10 ans à venir ?
A mon humble avis ne resteront que les vins haut de gamme, en sachant qu’aujourd’hui les vins étrangers dominent.
La culture de la mise en marché et de la commercialisation pour se battre est également primordiale.
Aujourd’hui il y a 5 à 6 grands vins français qui sont présents sur le marché, notamment le vin La Tour.
Quels sont les critères incontournables qui font d’un vin, un vin haut de gamme ?
Il y en a plusieurs.
Tout d’abord il y a le mythe du vin, son histoire, c’est un accélérateur.
Dans mon cas, je communique beaucoup sur le nombre de vendanges.
Puis l’innovation sous la signature
Bien entendu la qualité du terroir est primordiale.
Et enfin, le viticulteur et sa vinification.
Vous possédez 35 vignobles, de grands châteaux, comme Le Château La Tour, le grand cru Saint Emilion Château Fombauge, le célèbre Château Pape Clément et bien d’autres encore. Où comptez-vous vous arrêter ? N’y a-t-il pas un phénomène de boulimie à un moment ?
Non, je souhaite être dans les cinq premiers vins du pays.
Je suis actuellement présent en France, j’ai deux vignobles en Espagne, au Portugal, Maroc,Uruguay, Argentine, Chili, Napa Valley, Japon.
Pourquoi le Maroc ?
Hassan II avait demandé il y a 20 ans à Chaban Delmas de lui trouver un bordelais pour produire un vin convenable au Maroc, qui serait apprécié des touristes. En échange il lui offrait 1000 hectares. J’ai accepté le challenge.
Votre succès, une revanche sur la vie ?
Certainement. Mon succès est dû à un travail acharné. Car la réussite n’est pas génétique, elle est parsemée de souffrances et d’épreuves. Il faut se battre constamment. La réussite est à ce prix, mais elle en vaut la peine
Septembre 2008