Quand Nicolas de Rabaudy part en cure de "palaçothérapie"
À la table des palaces, des châteaux-hôtels et des relais et châteaux de France
Carnet de route d'un gourmand au cœur des plus beaux établissements français où l'on peut faire des repas gastronomiques, dormir et se reposer dans un spa.
Carnet de route d'un gourmand au cœur des plus beaux établissements français où l'on peut faire des repas gastronomiques, dormir et se reposer dans un spa.
Des territoires d'excellence
Il fallait un seigneur, un promeneur gourmand, un paladin des temps modernes pour retrouver le chemin des plus belles destinations françaises, de palace en Relais & Châteaux, comme autant d'étapes élégantes, chacune affichant une sensibilité propre, une véritable histoire. Toujours joyeuses, accueillantes et bienveillantes, ces maisons semblent faites pour le visiteur curieux et jamais blasé par ce luxe raffiné. Car sinon, pourquoi se déplacer, pourquoi aller dans ces territoires de l'excellence ?
Nicolas de Rabaudy est cet homme reconnaissant aux grands établissements de lui apporter autant de joies que de plaisirs, de gourmandises que d'amitiés. Il aime citer souvent le mot de Paul Morand : "La vie c'est le hasard et le travail". Car rien, dans la restauration et l' hôtellerie, ne se fait sans volonté, sans ardeur et sans coup du destin.
Mode d'emploi des palaces
Dans ce "voyage en dehors de chez soi", reconnaissance justement de trente-six établissements de prestige, Nicolas de Rabaudy le précise : "Un seul point commun, l'alpha et l'oméga de la belle hôtellerie : le service des hôtes. L'honneur de vous servir. Un palace est un grand hôtel qui porte une histoire, un mythe, une légende. Il s'agit d'y entrer."
Et nous le suivons bien volontiers. Avec précaution tout de même. Alors faisons un inventaire à la Prévert des prestations qui sont proposées au client de ces établissements de rêve.
- D'abord, l'accueil ; il est primordial. Malheureusement, regrette Nicolas de Rabaudy, dans peu d'hôtels, après un long et parfois pénible voyage, on vous offre un fauteuil pour vous asseoir et régler les formalités d'usage. "Au Crillon, au Meurice, on s'assoit. Au Royal Palm de l'île Maurice, on vous offre un jus de fruits et l'on vous conduit dans votre suite où les formalités sont tout aussi bien assurées. Parfois, on se dit que les directeurs généraux, si fiers de leur 'cinq étoiles luxe', auraient intérêt à jouer au client... La prise d'empreinte de la carte de crédit, devant vos yeux circonspects, n'est certes pas un geste des plus avenants. À peine arrivé, le spectre de la note se dessine devant vous qui n'avez encore rien consommé."
- Deuxième moment fort : la prise de possession de la chambre. Chaque détail, du système des volets automatiques au réglage du jacuzzi a son importance, mais bien souvent dans la salle de bain, regrette l'auteur, manquent des cotons tiges, un peigne ou une brosse à dents. En cela, les Chinois ont bien compris que ces accessoires deviennent souvent essentiels dans un hôtel de haute catégorie.
- Autre détail qui est négligé depuis belle lurette : le cirage des chaussures. "Au Ritz, on les dépose devant la porte ; au Four Seasons George V, on les range dans un sac prévu à cet effet ; dans d'autres établissements, il est prescrit de téléphoner à la gouvernante. C'est mieux que dans ce palace azuréen où l'on vous lance : "Ah, monsieur, cela fait des lustres qu'on ne s'occupe plus des chaussures !". Et quel établissement a la délicatesse de vous offrir une simple bouteille d'eau après un long périple sous le soleil d'été ? Sans parler aussi d'un quotidien national ou régional.
- Prestation non négligeable dans un palace : le dîner en chambre, à votre convenance, qui peut être "une fête". Nicolas de Rabaudy a raison d'insister : "Dans un palace de notoriété mondiale, on s'attend au meilleur repas possible, surtout quand le chef est doublement ou triplement étoilé. Le problème est que la plupart de ces grandes tables étoilées ne livrent pas le room service." Avec cette exception : "Au Bristol, le chef Frechon envoie ses plats." Quel régal de déguster la carte d'un chef étoilé dans sa chambre, en amoureux ! Le luxe suprême sans doute. Mais au lieu de ce doux plaisir, la plupart du temps, il faut se contenter d'une carte banale, standardisée : "toutes les cartes de room service paraissent extraites du même moule. Foie gras, saumon fumé, sole, filet de boeuf, carré d'agneau, tarte du jour crème brûlée, quand ce n'est pas le potage du cultivateur, jolie niaiserie."
- Le petit-déjeuner, premier repas du matin est important et souvent raté. Mais on peut penser que dans un établissement haut de gamme il réservera de bonnes surprises. Prenons l'exemple du buffet, il est remarquable. "Du vin de champagne est à votre disposition; des bulles au petit-déjeuner : de l'énergie pour la journée. Quand au petit-déjeuner à la carte - au George V, au Ritz, à l'Hôtel - l'atout majeur, c'est que vous êtes servi. Vous passez une commande d'après une carte plus ou moins fournie. La tentation de gâteries imprévues, non visibles, est atténuée."
- Dernière attention portée au client : le répertoire des habitudes et des manies. Nicolas de Rabaudy a raison de rappeler qu'au Bristol, par exemple, les femmes de chambre prennent des photos des objets familiers placés à un en droit précis pour que le client les retrouve à la même place à son retour, six mois ou un an plus tard. Luxe suprême. Le souvenir que l'on garde d'un bel établissement, n'est-il pas provoqué par une mine de détails ? "Tout est dans la perception des détails, renchérit Rabaudy, des cadeaux d'accueil, de la limousine climatisée qui vient vous chercher à l'aéroport, du matelas réservé à la piscine ou sur la plage - au premier rang."
Spa : le paradis à l'ombre des palaces
Dans un trop court chapitre intitulé "Entendez-vous l'appel du spa ", le couple Rabaudy, Nicolas et Dominique font un rapide tour d'horizon des meilleurs établissements dans le genre. La prime revient sans conteste au Domaine de Rochevillaine avec son spa marin. Précisons au passage que l'origine du mot vient de "Sanitas per aquam", la santé par l'eau.
"La localisation (face à la mer), le climat (l'ensoleillement de la Bretagne du Sud), l'élégante simplicité des lieux, la gentillesse, l'efficacité du personnel et l'originalité des soins - tout participe au bien-être, écrivent-ils. À découvrir, le soin maison : la table phénicienne, un massage sur pierre chauffée. Vous êtes allongé sur un matelas d'herbes aromatiques aux huiles essentielles et vous vous laissez emporter par les mains bienfaisantes de la masseuse : le soin Napal au cactus mexicain bourré de vitamines, l'anti-stress ; meilleur que du Prozac ! " Encore mieux que les spa du Royal Monceau et du Ritz, celui du George V remporte la palme d'or pour les Rabaudy : "Une remise en forme d'une qualité exceptionnelle due certes à la beauté des lieux, au professionnalisme des thérapeutes, mais aussi à cette grâce, à l'imperceptible, à l'âme, au cœur de certains thérapeutes qui vous apportent plus qu'un massage..." Ah ! bon.
Sous les ors de l'hôtel de Crillon
Après tous ces préambules, commençons le périple au cœur des ces palaces et autres Relais & Châteaux.
Choisissons-en certains comme les références les plus fortes au sein de la profession, avec dans l'ordre, l'Hôtel de Crillon, "palace dépourvu de morgue où la douceur de l'accueil est sans égale à Paris. Bien des têtes couronnées, Mohammed VI par exemple, le préfèrent à leur ambassade à l'étiquette un brin guindée." L'arrivée du chef, natif de la Drôme, Jean-François Piège, issu de l'écurie d'Alain Ducasse (au Plaza Athénée) a été récemment une vraie révolution après le départ de Dominique Bouchet. "Rigueur dans l'achat des produits, précision millimétrée des recettes, exigence de la saison (asperges, cèpes, truffes noires ou blanches), perfection de l'assiette, formation de seconds, communion avec le personnel de la salle à manger, écoute des clients rois... Bref un code de travail, de conduite qui mène aux étoiles du Michelin. "Aux Ambassadeurs, Piège a obtenu la technologie, les fours les instruments nécessaires à la cuisine d'art. Avec lui, vingt cuisiniers, seconds et le pâtissier Jérôme Chausset, venu de chez Michel Guérard, l'ont suivi, tel le maestro d'un orchestre symphonique avec ses violonistes et ses violoncellistes." Voilà pour la "nouvelle vie" du Crillon.
Alain Ducasse au Plaza-Athénée
L'un des plus connus des palaces parisiens s'appelle L'Hôtel Plaza Athénée, situé avenue Montaigne.
Coup de chapeau délivré par Nicolas de Rabaudy à son concierge Jean-Claude Elgair, président de l'Association mondiale dces concierges d'hôtels, "un seigneur de la profession". Mais le maître des lieux s'appelle bien sûr Alain Ducasse, accueilli ici en maestro quelques jours par semaines - enfin façon de parler car il a placé son chef Christophe Moret - pour délivrer une cuisine "signature" avec comme plats phares le bar de ligne aux crevettes et coquillages parfumé aux agrumes ou la grosse sole entourée d'écrevisses mouillée d'une crème légère. Rabaudy qui connaît par cœur les parcours de chacun des chefs qu'il a pratiqué, s'enflamme : "N'oublions pas que Ducasse, l'homme pressé, a été marqué par son passage chez Alain Chapel et par son poste de chef de l'Amanguier, l'autre restaurant de Mougins de Roger Vergé. L'inventeur de Spoon est d'abord un cuisinier classique, épigone d'Escoffier, de Fernand Point et Michel Guérard, attaché à faire réaliser par ses chefs la volaille de Bresse en cocotte truffée sous la peau, la poularde Albufera sauce aux truffes blanches et le meilleur baba au rhum Bally du monde surplombé d'une crème fouettée d'anthologie, signé Nicolas Berger."
Philippe Legendre au George V
Nicolas de Rabaudy salue l'émérite Yannick Alléno au Meurice, l'une des belles étoiles montantes de la gastronomie, bien "toqué" qui a pour devise "Aller à l'essentiel, le bon et le beau." Puis vient le tour d'un triplement étoilé au Michelin, Philippe Legendre qui règne aux fourneaux du George V appartenant à la chaîne canadienne Four Seasons. Avec lui, soixante-quinze cuisiniers et pâtissiers pour réaliser jusqu'à mille cinq cents couverts par jour. Il faut dire qu'au George V il y a pléthore de banquets, de réception, de repas dans les salons. On l'a bien vu récemment lors du cinquantième anniversaire de l'APCIG, la plus ancienne des associations de journalistes gastronomiques (Nicolas de Rabaudy fait partie de son conseil d'administration) : quelques quatre cents invités devisaient devant d'immenses buffets préparés par un kyrielle de chefs talentueux...
La verrière étoilée de l'hôtel Vernet
Autre maestro incomparable, Éric Briffard, le chef de l'Hôtel Vernet (deux étoiles au Michelin), petit écrin de charme à deux pas des Champs-Élysées. Issu de l'écurie de Joël Robuchon, il est un cuisinier bourguignon, né à Auxerre dans une famille "où chaque fête de calendrier était l'occasion de célébrer la table et ses bienfaits". On le retrouve au Plaza Athénée de mai 1996 à décembre 2000 après un parcours sans faute en France et à l'étranger, notamment au Japon. "C'est l'époque glorieuse où il signe une admirable gelée d'oursin en coque au fondant de fenouil, agrémentée d'araignée de mer et émulsion d'amande, un pithiviers de poule faisane, perdrix et grouse au genièvre, (...) le cochon noir des Aldudes en cocotte." De véritables chefs d'œuvre ! Mais au lendemain de l'obtention de sa deuxième étoile au "Régence", Alain Ducasse débarque avec le nouveau patron du Plaza. "Choc de titans, note justement Rabaudy. Au lieu d'engager Briffard, de lui conserver son poste, l'imperator Ducasse et François Delahaye, directeur général du Plaza, proposent de confortables indemnités au Bourguignon, très marri d'avoir à rendre sa toque." Ouf, trois ans après, à l'automne 2002, le voilà engagé au Vernet (groupe Royal Monceau). "La Verrière" si élégante reprend son souffle et ses plats font l'unanimité, notamment sa truffe noire en cappucino aux lentilles et foie gras ou les langoustines royales en fricassée au chorizo de Bellota et les artichauts poivrade.
Bristol et Ritz, deux fleurons gastronomiques
Autre destin formidable, celui d'Éric Frechon (prononcer Fréchon) à l'Hôtel Le Bristol où il a obtenu ses deux étoiles en 2001. Après avoir abandonné son restaurant "La Verrière", il recompose une des cuisines les plus créatrices des palaces. Nicolas de Rabaudy parle de sa poularde de son pigeon en garbure où est logée une tranche de foie gras chaud comme d'une "sorcellerie gourmande". Verdict : "Comme Jean-François Piège au Plaza, Éric Briffard au Vernet, Yannick Alléno au Meurice, le normand Frechon a contribué à la renaissance de la cuisine de palace." Bel hommage !
Même parcours sans faute pour le MOF Michel Roth au Ritz. Le restaurant "L'Espadon" est sans doute un des plus luxueux de France, avec ses ors, ses lambris, ses lumières et son service raffiné. Michel Roth s'inscrit dans la lignée de Guy Legay qui avait "su introduire des plats de haute lignée, en relation avec les vrais goûts et les saisons (gibier, truffes, poissons de ligne)." Et Rabaudy de conclure : "Le Ritz peut, doit avoir trois étoiles, comme le Plaza Athénée ou le Cinq du George V. le chef en titre au savoir-faire très étendu en est persuadé."
La Riviera et ses écrins gourmands
Autre ville, autre style, plus "Riviera" bien sûr, à Cannes, au Martinez, façon Christian Willer, lequel avec son second si brillant, Christian Sinicropi (que l'on a vu récemment dans l'émission télévisée "À l'école des palaces") a instauré une cuisine inventive à "La Palme d'or". "C'est un chef en mouvement, constate Rabaudy, un geyser d'idées. Goûtez cette fougasse à l'ail à peine humectée d'huile d'olive, un régal." Depuis 1985, Christian Willer (ancien de Maxim's ou de l'Hôtel de Paris à Monaco) bénéficie d'une liberté totale. Et cela grâce au groupe Taittinger, qui avec sa filiale, La Société du Louvre (propriétaire du Crillon, du Lutétia et de l' Hôtel du Louvre), a entrepris un vaste chantier de rénovation du Martinez, notamment en créant un Spa Givenchy au septième étage ainsi qu'une douzaine de suites avec terrasses et un appartement de mille mètres carrés qui n'a rien a envié de la prestigieuse suite du Meurice... Côté Riviera toujours, il faudrait également citer en effet L'Hôtel de Paris à Monaco (Alain Ducasse et Frank Cerutti, le Négresco à Nice (Bruno Turbot, successeur de Michel del Burgo) ou l'Hôtel La Messardière à Saint-Tropez (Patrick Cuissard). - et non loin à Vence le Château Saint-Martin ( Philippe Guérin), La Bastide Saint-Antoine à Grasse (Jacques Chibois). Nicolas de Rabaudy ratisse large avec "Le Jardin des Sens" à Montpellier des frères Pourcel, ou à Valence chez Pic (Anne-Sophie Pic)...
Une "création troisgrosienne"
C'est à Roanne, dans l'établissement de son père, que Michel Troisgros triomphe. "Avec le temps, les Troigros sont devenus des intellectuels de la bonne chère, deux cerveaux du bien manger au XXIème siècle pour qui la pensée précède la gestuelle au piano. Cela n'empêche pas la volupté des papilles, la mastication jouissive qui cloue le bec d'émotion. La quête fébrile d'accords et d'effluves jamais appréhendés reste le moteur de la création "troisgrosienne", comme "bocusienne". Ces deux professionnels de la mandoline sont des chercheurs. Avant tout des découvreurs de préparations limpides en goûts et très savantes textures."
Nicolas de Rabaudy a de la mémoire et le critique gastronomique averti nous livre ses secrets et surtout ses coups de cœur.
Les Crayères : "un modèle d'harmonie"
Du côté de Reims, qu'il connaît bien, l'auteur de cet exceptionnel ouvrage dédié au luxe, rend hommage à Xavier et Laurent Gardinier qui ont su élever (le père comme le fils aujourd'hui) au rang des grands établissements de bouche le château de madame Pommery et de la famille Polignac. Car l'établissement des Crayères perpétue une vraie tradition d'hôtellerie et de gastronomie, même au lendemain du départ de Gérard Boyer puisque Thierry Voisin, son second a repris brillamment le flambeau. "La mission est complexe, avoue Rabaudy, car le Relais & Châteaux des hauteurs de Reims est considéré comme l'un des plus beaux de la chaîne française - 140 établissements. Un phare, un modèle d'harmonie entre le cadre majestueux, le décor raffiné de Pierre-Yves Rochon et la haute cuisine. Quel établissement de l'Hexagone peut rivaliser avec Les Crayères ?"
La Bourgogne est aussi bien représentée avec La Côte Saint-Jacques à Joigny (Michel Lorrain), L'Espérance à Vézelay (Marc Meneau), Lameloise à Chagny (Jacques Lameloise), Georges Blanc à Vonnas, et bien sûr le Relais Bernard Loiseau à Saulieu.
Hôtel du Palais : "la plus belle salle à manger du monde"
Mais Nicolas de Rabaudy passe aussi par une ville qu'il aime beaucoup, Biarritz, pour saluer l'élégant Hôtel du Palais, ancien palais de l'impératrice Eugénie, géniale pâtisserie de style Napoléon III où il a ses habitudes. "Élève de Christian Willer, le maître formateur du Martinez à Cannes, Jean-Marie Gautier, Meilleur Ouvrier de France, perpétue la noblesse rustique de la cuisine locale, apprêtée grâce à des produits de terre et mer comme l'agneau des Pyrénées, le chipiron, l'araignée, le loup, les rougets, le poulet des Landes, les anchois de Collioure... Au Palais, la bonne chère est enracinée dans le terroir - tant mieux." On partage l'avis joyeux de l'auteur : "Que dire de la splendeur de la Rotonde, de cet arrondi bordé par la mer, avec l'horizon au loin : la plus belle salle à manger d'Europe ? "
Marc Veyrat : "un défi permanent"
Et si Nicolas de Rabaudy avait gardé le meilleur pour la fin (ou la faim) ?
Car le final de son album, Les Restaurants de palace et de Relais & Châteaux est pour le seigneur de Veyrier-du-lac, Marc Veyrat, "du terroir au virtuel". Son portrait est vibrant, pointu et alléchant. Il a bien saisi l'âme de celui qui porte son grand chapeau savoyard. "Chez Marc Veyrat, se nourrir va bien au delà de l'acte de manger. Pas seulement parce que le jeu des mariages et saveurs proposé dans deux menus n'a rien à voir avec la haute cuisine telle que l'offrent les plus fameux chefs étoilés de France et d'Europe, à l'exception de Ferran Adrià (Espagne), de Pierre Gagnaire à Paris et de Georges Klein à l'Arnsbourg aux confins de la Moselle, tous triplement étoilés." Sa cuisine est en recherche perpétuelle. "Chez Marc Veyrat, ajoute-t-il, au bord du lac d'Annecy comme à Megève, six étoiles au Michelin 2004, un lexique des plantes et herbes est fourni avec la carte des mets : il s'agit de savoir que le tussilage délivre un arôme d'artichaut, que l'herbe oxalis dégage un parfum acide tout comme l'ache sent le céleri, le chenopode bon-henri l'épinard, et le lierre terrestre le lichen." Voilà la vérité signée Veyrat. "Tout est surprise, invention, délire dans le style Veyrat. C'est le principe de "l'étonne-moi" cher à Jean Cocteau en face de Diaghilev. De l'avant-gardisme culinaire ? Un défi permanent, sans la volonté de choquer le visiteur, même s'il est dérouté, interloqué, déboussolé à peine assis à Megève ou à Veyrier-du-Lac."
Après tout, la morale de cette visite guidée, n'est-ce pas la recherche simple ou plus élaborée du plaisir, ce vieux sentiment humain, trop humain qui mène le monde ? Et particulièrement en France où tout se joue et se déjoue à table. Nicolas de Rabaudy l'a bien humé, saisi, compris, digéré.
Et son livre est la plus fabuleuse ballade gourmande que l'on puisse chanter avec lui.
Il fallait un seigneur, un promeneur gourmand, un paladin des temps modernes pour retrouver le chemin des plus belles destinations françaises, de palace en Relais & Châteaux, comme autant d'étapes élégantes, chacune affichant une sensibilité propre, une véritable histoire. Toujours joyeuses, accueillantes et bienveillantes, ces maisons semblent faites pour le visiteur curieux et jamais blasé par ce luxe raffiné. Car sinon, pourquoi se déplacer, pourquoi aller dans ces territoires de l'excellence ?
Nicolas de Rabaudy est cet homme reconnaissant aux grands établissements de lui apporter autant de joies que de plaisirs, de gourmandises que d'amitiés. Il aime citer souvent le mot de Paul Morand : "La vie c'est le hasard et le travail". Car rien, dans la restauration et l' hôtellerie, ne se fait sans volonté, sans ardeur et sans coup du destin.
Mode d'emploi des palaces
Dans ce "voyage en dehors de chez soi", reconnaissance justement de trente-six établissements de prestige, Nicolas de Rabaudy le précise : "Un seul point commun, l'alpha et l'oméga de la belle hôtellerie : le service des hôtes. L'honneur de vous servir. Un palace est un grand hôtel qui porte une histoire, un mythe, une légende. Il s'agit d'y entrer."
Et nous le suivons bien volontiers. Avec précaution tout de même. Alors faisons un inventaire à la Prévert des prestations qui sont proposées au client de ces établissements de rêve.
Spa : le paradis à l'ombre des palaces
Dans un trop court chapitre intitulé "Entendez-vous l'appel du spa ", le couple Rabaudy, Nicolas et Dominique font un rapide tour d'horizon des meilleurs établissements dans le genre. La prime revient sans conteste au Domaine de Rochevillaine avec son spa marin. Précisons au passage que l'origine du mot vient de "Sanitas per aquam", la santé par l'eau.
"La localisation (face à la mer), le climat (l'ensoleillement de la Bretagne du Sud), l'élégante simplicité des lieux, la gentillesse, l'efficacité du personnel et l'originalité des soins - tout participe au bien-être, écrivent-ils. À découvrir, le soin maison : la table phénicienne, un massage sur pierre chauffée. Vous êtes allongé sur un matelas d'herbes aromatiques aux huiles essentielles et vous vous laissez emporter par les mains bienfaisantes de la masseuse : le soin Napal au cactus mexicain bourré de vitamines, l'anti-stress ; meilleur que du Prozac ! " Encore mieux que les spa du Royal Monceau et du Ritz, celui du George V remporte la palme d'or pour les Rabaudy : "Une remise en forme d'une qualité exceptionnelle due certes à la beauté des lieux, au professionnalisme des thérapeutes, mais aussi à cette grâce, à l'imperceptible, à l'âme, au cœur de certains thérapeutes qui vous apportent plus qu'un massage..." Ah ! bon.
Sous les ors de l'hôtel de Crillon
Après tous ces préambules, commençons le périple au cœur des ces palaces et autres Relais & Châteaux.
Choisissons-en certains comme les références les plus fortes au sein de la profession, avec dans l'ordre, l'Hôtel de Crillon, "palace dépourvu de morgue où la douceur de l'accueil est sans égale à Paris. Bien des têtes couronnées, Mohammed VI par exemple, le préfèrent à leur ambassade à l'étiquette un brin guindée." L'arrivée du chef, natif de la Drôme, Jean-François Piège, issu de l'écurie d'Alain Ducasse (au Plaza Athénée) a été récemment une vraie révolution après le départ de Dominique Bouchet. "Rigueur dans l'achat des produits, précision millimétrée des recettes, exigence de la saison (asperges, cèpes, truffes noires ou blanches), perfection de l'assiette, formation de seconds, communion avec le personnel de la salle à manger, écoute des clients rois... Bref un code de travail, de conduite qui mène aux étoiles du Michelin. "Aux Ambassadeurs, Piège a obtenu la technologie, les fours les instruments nécessaires à la cuisine d'art. Avec lui, vingt cuisiniers, seconds et le pâtissier Jérôme Chausset, venu de chez Michel Guérard, l'ont suivi, tel le maestro d'un orchestre symphonique avec ses violonistes et ses violoncellistes." Voilà pour la "nouvelle vie" du Crillon.
Alain Ducasse au Plaza-Athénée
L'un des plus connus des palaces parisiens s'appelle L'Hôtel Plaza Athénée, situé avenue Montaigne.
Coup de chapeau délivré par Nicolas de Rabaudy à son concierge Jean-Claude Elgair, président de l'Association mondiale dces concierges d'hôtels, "un seigneur de la profession". Mais le maître des lieux s'appelle bien sûr Alain Ducasse, accueilli ici en maestro quelques jours par semaines - enfin façon de parler car il a placé son chef Christophe Moret - pour délivrer une cuisine "signature" avec comme plats phares le bar de ligne aux crevettes et coquillages parfumé aux agrumes ou la grosse sole entourée d'écrevisses mouillée d'une crème légère. Rabaudy qui connaît par cœur les parcours de chacun des chefs qu'il a pratiqué, s'enflamme : "N'oublions pas que Ducasse, l'homme pressé, a été marqué par son passage chez Alain Chapel et par son poste de chef de l'Amanguier, l'autre restaurant de Mougins de Roger Vergé. L'inventeur de Spoon est d'abord un cuisinier classique, épigone d'Escoffier, de Fernand Point et Michel Guérard, attaché à faire réaliser par ses chefs la volaille de Bresse en cocotte truffée sous la peau, la poularde Albufera sauce aux truffes blanches et le meilleur baba au rhum Bally du monde surplombé d'une crème fouettée d'anthologie, signé Nicolas Berger."
Philippe Legendre au George V
Nicolas de Rabaudy salue l'émérite Yannick Alléno au Meurice, l'une des belles étoiles montantes de la gastronomie, bien "toqué" qui a pour devise "Aller à l'essentiel, le bon et le beau." Puis vient le tour d'un triplement étoilé au Michelin, Philippe Legendre qui règne aux fourneaux du George V appartenant à la chaîne canadienne Four Seasons. Avec lui, soixante-quinze cuisiniers et pâtissiers pour réaliser jusqu'à mille cinq cents couverts par jour. Il faut dire qu'au George V il y a pléthore de banquets, de réception, de repas dans les salons. On l'a bien vu récemment lors du cinquantième anniversaire de l'APCIG, la plus ancienne des associations de journalistes gastronomiques (Nicolas de Rabaudy fait partie de son conseil d'administration) : quelques quatre cents invités devisaient devant d'immenses buffets préparés par un kyrielle de chefs talentueux...
La verrière étoilée de l'hôtel Vernet
Autre maestro incomparable, Éric Briffard, le chef de l'Hôtel Vernet (deux étoiles au Michelin), petit écrin de charme à deux pas des Champs-Élysées. Issu de l'écurie de Joël Robuchon, il est un cuisinier bourguignon, né à Auxerre dans une famille "où chaque fête de calendrier était l'occasion de célébrer la table et ses bienfaits". On le retrouve au Plaza Athénée de mai 1996 à décembre 2000 après un parcours sans faute en France et à l'étranger, notamment au Japon. "C'est l'époque glorieuse où il signe une admirable gelée d'oursin en coque au fondant de fenouil, agrémentée d'araignée de mer et émulsion d'amande, un pithiviers de poule faisane, perdrix et grouse au genièvre, (...) le cochon noir des Aldudes en cocotte." De véritables chefs d'œuvre ! Mais au lendemain de l'obtention de sa deuxième étoile au "Régence", Alain Ducasse débarque avec le nouveau patron du Plaza. "Choc de titans, note justement Rabaudy. Au lieu d'engager Briffard, de lui conserver son poste, l'imperator Ducasse et François Delahaye, directeur général du Plaza, proposent de confortables indemnités au Bourguignon, très marri d'avoir à rendre sa toque." Ouf, trois ans après, à l'automne 2002, le voilà engagé au Vernet (groupe Royal Monceau). "La Verrière" si élégante reprend son souffle et ses plats font l'unanimité, notamment sa truffe noire en cappucino aux lentilles et foie gras ou les langoustines royales en fricassée au chorizo de Bellota et les artichauts poivrade.
Bristol et Ritz, deux fleurons gastronomiques
Autre destin formidable, celui d'Éric Frechon (prononcer Fréchon) à l'Hôtel Le Bristol où il a obtenu ses deux étoiles en 2001. Après avoir abandonné son restaurant "La Verrière", il recompose une des cuisines les plus créatrices des palaces. Nicolas de Rabaudy parle de sa poularde de son pigeon en garbure où est logée une tranche de foie gras chaud comme d'une "sorcellerie gourmande". Verdict : "Comme Jean-François Piège au Plaza, Éric Briffard au Vernet, Yannick Alléno au Meurice, le normand Frechon a contribué à la renaissance de la cuisine de palace." Bel hommage !
Même parcours sans faute pour le MOF Michel Roth au Ritz. Le restaurant "L'Espadon" est sans doute un des plus luxueux de France, avec ses ors, ses lambris, ses lumières et son service raffiné. Michel Roth s'inscrit dans la lignée de Guy Legay qui avait "su introduire des plats de haute lignée, en relation avec les vrais goûts et les saisons (gibier, truffes, poissons de ligne)." Et Rabaudy de conclure : "Le Ritz peut, doit avoir trois étoiles, comme le Plaza Athénée ou le Cinq du George V. le chef en titre au savoir-faire très étendu en est persuadé."
La Riviera et ses écrins gourmands
Autre ville, autre style, plus "Riviera" bien sûr, à Cannes, au Martinez, façon Christian Willer, lequel avec son second si brillant, Christian Sinicropi (que l'on a vu récemment dans l'émission télévisée "À l'école des palaces") a instauré une cuisine inventive à "La Palme d'or". "C'est un chef en mouvement, constate Rabaudy, un geyser d'idées. Goûtez cette fougasse à l'ail à peine humectée d'huile d'olive, un régal." Depuis 1985, Christian Willer (ancien de Maxim's ou de l'Hôtel de Paris à Monaco) bénéficie d'une liberté totale. Et cela grâce au groupe Taittinger, qui avec sa filiale, La Société du Louvre (propriétaire du Crillon, du Lutétia et de l' Hôtel du Louvre), a entrepris un vaste chantier de rénovation du Martinez, notamment en créant un Spa Givenchy au septième étage ainsi qu'une douzaine de suites avec terrasses et un appartement de mille mètres carrés qui n'a rien a envié de la prestigieuse suite du Meurice... Côté Riviera toujours, il faudrait également citer en effet L'Hôtel de Paris à Monaco (Alain Ducasse et Frank Cerutti, le Négresco à Nice (Bruno Turbot, successeur de Michel del Burgo) ou l'Hôtel La Messardière à Saint-Tropez (Patrick Cuissard). - et non loin à Vence le Château Saint-Martin ( Philippe Guérin), La Bastide Saint-Antoine à Grasse (Jacques Chibois). Nicolas de Rabaudy ratisse large avec "Le Jardin des Sens" à Montpellier des frères Pourcel, ou à Valence chez Pic (Anne-Sophie Pic)...
Une "création troisgrosienne"
C'est à Roanne, dans l'établissement de son père, que Michel Troisgros triomphe. "Avec le temps, les Troigros sont devenus des intellectuels de la bonne chère, deux cerveaux du bien manger au XXIème siècle pour qui la pensée précède la gestuelle au piano. Cela n'empêche pas la volupté des papilles, la mastication jouissive qui cloue le bec d'émotion. La quête fébrile d'accords et d'effluves jamais appréhendés reste le moteur de la création "troisgrosienne", comme "bocusienne". Ces deux professionnels de la mandoline sont des chercheurs. Avant tout des découvreurs de préparations limpides en goûts et très savantes textures."
Nicolas de Rabaudy a de la mémoire et le critique gastronomique averti nous livre ses secrets et surtout ses coups de cœur.
Les Crayères : "un modèle d'harmonie"
Du côté de Reims, qu'il connaît bien, l'auteur de cet exceptionnel ouvrage dédié au luxe, rend hommage à Xavier et Laurent Gardinier qui ont su élever (le père comme le fils aujourd'hui) au rang des grands établissements de bouche le château de madame Pommery et de la famille Polignac. Car l'établissement des Crayères perpétue une vraie tradition d'hôtellerie et de gastronomie, même au lendemain du départ de Gérard Boyer puisque Thierry Voisin, son second a repris brillamment le flambeau. "La mission est complexe, avoue Rabaudy, car le Relais & Châteaux des hauteurs de Reims est considéré comme l'un des plus beaux de la chaîne française - 140 établissements. Un phare, un modèle d'harmonie entre le cadre majestueux, le décor raffiné de Pierre-Yves Rochon et la haute cuisine. Quel établissement de l'Hexagone peut rivaliser avec Les Crayères ?"
La Bourgogne est aussi bien représentée avec La Côte Saint-Jacques à Joigny (Michel Lorrain), L'Espérance à Vézelay (Marc Meneau), Lameloise à Chagny (Jacques Lameloise), Georges Blanc à Vonnas, et bien sûr le Relais Bernard Loiseau à Saulieu.
Hôtel du Palais : "la plus belle salle à manger du monde"
Mais Nicolas de Rabaudy passe aussi par une ville qu'il aime beaucoup, Biarritz, pour saluer l'élégant Hôtel du Palais, ancien palais de l'impératrice Eugénie, géniale pâtisserie de style Napoléon III où il a ses habitudes. "Élève de Christian Willer, le maître formateur du Martinez à Cannes, Jean-Marie Gautier, Meilleur Ouvrier de France, perpétue la noblesse rustique de la cuisine locale, apprêtée grâce à des produits de terre et mer comme l'agneau des Pyrénées, le chipiron, l'araignée, le loup, les rougets, le poulet des Landes, les anchois de Collioure... Au Palais, la bonne chère est enracinée dans le terroir - tant mieux." On partage l'avis joyeux de l'auteur : "Que dire de la splendeur de la Rotonde, de cet arrondi bordé par la mer, avec l'horizon au loin : la plus belle salle à manger d'Europe ? "
Marc Veyrat : "un défi permanent"
Et si Nicolas de Rabaudy avait gardé le meilleur pour la fin (ou la faim) ?
Car le final de son album, Les Restaurants de palace et de Relais & Châteaux est pour le seigneur de Veyrier-du-lac, Marc Veyrat, "du terroir au virtuel". Son portrait est vibrant, pointu et alléchant. Il a bien saisi l'âme de celui qui porte son grand chapeau savoyard. "Chez Marc Veyrat, se nourrir va bien au delà de l'acte de manger. Pas seulement parce que le jeu des mariages et saveurs proposé dans deux menus n'a rien à voir avec la haute cuisine telle que l'offrent les plus fameux chefs étoilés de France et d'Europe, à l'exception de Ferran Adrià (Espagne), de Pierre Gagnaire à Paris et de Georges Klein à l'Arnsbourg aux confins de la Moselle, tous triplement étoilés." Sa cuisine est en recherche perpétuelle. "Chez Marc Veyrat, ajoute-t-il, au bord du lac d'Annecy comme à Megève, six étoiles au Michelin 2004, un lexique des plantes et herbes est fourni avec la carte des mets : il s'agit de savoir que le tussilage délivre un arôme d'artichaut, que l'herbe oxalis dégage un parfum acide tout comme l'ache sent le céleri, le chenopode bon-henri l'épinard, et le lierre terrestre le lichen." Voilà la vérité signée Veyrat. "Tout est surprise, invention, délire dans le style Veyrat. C'est le principe de "l'étonne-moi" cher à Jean Cocteau en face de Diaghilev. De l'avant-gardisme culinaire ? Un défi permanent, sans la volonté de choquer le visiteur, même s'il est dérouté, interloqué, déboussolé à peine assis à Megève ou à Veyrier-du-Lac."
Après tout, la morale de cette visite guidée, n'est-ce pas la recherche simple ou plus élaborée du plaisir, ce vieux sentiment humain, trop humain qui mène le monde ? Et particulièrement en France où tout se joue et se déjoue à table. Nicolas de Rabaudy l'a bien humé, saisi, compris, digéré.
Et son livre est la plus fabuleuse ballade gourmande que l'on puisse chanter avec lui.
Décembre 2004
Par Gilles BROCHARD