Le festival des derviches-tourneurs à Konya (Turquie).
Les danseurs tournoient, virevoltent
Leur visage est calme, reposé. Sous leur haute coiffe cylindrique, leurs yeux semblent fixer le néant. Les bras croisés sur la poitrine, la tête légèrement penchée sur la droite, ils entament leur danse, enivrante, presque hypnotique. Sous l’impulsion d’un pas discret, leur longue robe d’un blanc immaculé s’enfle soudain comme une voile légère bercée par le vent. Puis, le rythme s’accélère. Les bras se détachent du corps, la main droite tournée vers le ciel et l’autre vers le sol. Les danseurs tournoient, virevoltent, sans fatigue ni vertige, durant plusieurs minutes, scandant le nom d’Allah au son plaintif du ney, la flûte traditionnelle. L’extase est totale. Et La danse s’achève comme elle avait commencé, avec grâce et volupté. Conquit, le public se lève, applaudit bruyamment, en redemande, avec la même ferveur.
Une tradition de huit siècles
Nous sommes en décembre, dans le centre culturel de Konya, en début d’après-midi. Le dôme est bondé. Il le sera deux fois par jour, une semaine durant, jusqu’à la soirée de clôture à laquelle assisteront de hauts représentants de l’Etat et des invités d’honneur en tenue d’apparat. Cette danse, mêlée de spiritualité et de mysticisme, est emblématique de la culture nationale turque. En la pratiquant, les Mawlawis (connus en Europe sous le nom de derviches-tourneurs), perpétuent une tradition vieille de huit siècles.
Turques et Iraniens
Et si le mausolée de Mevlana à Konya est devenu le deuxième site touristique le plus visité de Turquie, juste derrière le palais de Topkapi à Istanbul, c’est parce que s’y trouve la tombe de Djalal al-Din Roumi (1207-1273), fondateur du soufisme et poète mondialement (re)connu. Chaque année, des milliers de pèlerins y affluent pour se recueillir devant les stèles funéraires du poète et de ses disciples, chacune coiffée de leur « sikke » enturbanné (le chapeau conique traditionnel). En majorité des Turcs et des Iraniens qui revendiquent une partie de l’héritage spirituel du soufisme (d’origine iranienne, Djalal al-Din Rumi avait en effet choisi le perse comme langue d’écriture).
Erigé sur l’ancien jardin de rose du palais Seldjoukide, reconnaissable à son dôme garni de faïences turquoises, le musée de Mevlana, ainsi que le mausolée où repose le poète et la mosquée de Sems-i Tebrizî, sont devenus des lieux de recueillement pour chaque disciple du soufisme comme le serait la Mecque pour tout bon Musulman. Cet engouement populaire en ferait presque oublier l’époque où la confrérie des derviches fut interdite en 1936 par Atatürk qui rêvait d’une grande nation moderne et laïcque. Les « Mevlevi » n’étaient alors tolérés que pour divertir les touristes par leurs danses « folkloriques ».
Le culte de Rumi
Aujourd’hui, tout a changé. Konya est devenue la plus conservatrice des villes turques où les rites sont pratiqués avec ferveur malgré une jeunesse portée vers l’Ouest. Les derviches ont retrouvé leur aura. Pour s’en convaincre, il suffit de déambuler dans les ruelles commerçantes et de déjeuner dans l’un des restaurants de la cité où se préparent en cuisine des plats d'agneaux parmi les meilleurs du pays. Panneaux publicitaires, statuettes souvenir, livres cultes, tout est bon pour rappeler que Konya est bel et bien la capitale des derviches. Une capitale ouverte au monde comme l’avait toujours souhaité Djalal al-Din Rumi.