Hubert de Givenchy : A la recherche du luxe passé
Hubert de Givenchy a fait ses adieux à la mode le 11 juillet 1995, date de son dernier défilé de haute couture. Balenciaga, qu'il considère comme son maître, avait brutalement fermé sa maison de couture en 1968, comme pour dire : "Cette époque n'est plus de mon genre."
Pour nous, et pour la première fois sur l'Internet, Hubert de Givenchy précise quelques réflexions que lui inspire toute une vie consacrée au luxe et à la Haute Couture.
Pour nous, et pour la première fois sur l'Internet, Hubert de Givenchy précise quelques réflexions que lui inspire toute une vie consacrée au luxe et à la Haute Couture.
"A l'époque, il fallait faire son droit, choisir une carrière sérieuse..."
"J'ai vécu dans une famille pleine d'affection, de bonheur, mais aussi de pas mal de tristesse : j'ai perdu mon père jeune, à l'âge de deux ans. J'ai alors vécu dans la famille de ma mère, une famille pleine de cousins et de cousines. C'était une jeunesse très heureuse, plutôt difficile du côté financier, mais on n'était pas les seuls !
Très vite, ce qui m'a animé ce fût de choisir la direction de ce que je voulais faire. C'était très difficile à l'époque car on n'acceptait pas dans les familles comme la mienne que je fasse de la couture, du cinéma ou des choses comme ça : il fallait faire son droit, choisir une carrière sérieuse. Je crois que c'est à force de persuasion et grâce à une mère aussi compréhensive que la mienne que j'ai pu parvenir à mon but.
Dès que je l'ai pu, à 17 ans, je suis venu à Paris et j'ai essayé de rencontrer monsieur Balenciaga : pas du tout pour rentrer chez lui, mais pour avoir une opinion sur ce que je pensais...Pour savoir si ce n'était pas trop mal.
Je n'ai pas été reçu - monsieur Balenciaga ne recevait personne - et je me suis dit : "Mon vieux, si tu reviens sans avoir trouvé une possibilité quelconque, ou un avis, tu ne pourras plus jamais revenir..." Et donc, de là, je me suis rendu chez Jacques Fath, qui n'était pas le couturier auquel je pensais, mais il m'a ouvert sa porte et m'a donné ma chance ! Ce fut formidable, car ce n'est pas facile de nos jours d'entrer dans une maison de couture, mais à l'époque c'était encore moins facile. D'être dans cet univers c'était idéal : Voir comment les gens travaillent, comment font les ouvrières, les Premières, cela donne envie de créer. Je n'étais pas créateur à ce moment là mais je relevais les robes après les collections...il y avait quelque chose que je ressentais : c'était le départ de ma vie, de ma carrière. Etre, déjà, dans une maison où on sentait un cœur qui battait toute la journée...C'était une ruche une maison de couture et c'était formidable !
De nos jours les jeunes créateurs sont nombreux, quels conseils leur donnez vous ?
"Je crois que les difficultés, à toutes les époques, sont du même ordre. Ce qu'il faut c'est avoir du courage et peut-être même, une sorte d'irresponsabilité... de se lancer !
Moi, je me disais toujours : "Je me lance d'une falaise !"
Peut-être sans regarder suffisamment comment sera la suite d'ailleurs...Parce que c'était dans ma nature !
Dans la vie il ne faut pas gémir et regarder devant soi. Je ne vais pas non plus pleurer sur mes dernières années parce que je n'ai pas été très heureux au moment où j'ai vendu ma maison !
Il faut savoir faire son choix, savoir ce que vous allez faire. Dans ce cas précis, ce n'était plus la même chose... J'étais un employé ! Mais je l'ai accepté, c'était normal : j'avais désiré vendre ma maison car je n'avais personne pour la continuer. J'ai vendu mon affaire de parfums puis les choses se sont passées d'une façon différente de celle que j'espérais. je me suis dit "Mon vieux, part la tête haute et ne te plains pas !"
Je ne me plains pas : je regrette de voir ce qui se passe...
"En fait je ne me plains pas : je regrette de voir ce qui se passe, non seulement dans ma maison, mais tout autour dans la mode... mais ça c'est autre chose : l'époque change.
Il faut savoir ne pas gémir, se dire que l'époque a changé et que les besoins ne sont plus les mêmes.
Lorsque j'ai choisi ma carrière c'était la plus belle époque à mon sens de la Haute Couture. Elle existe toujours, bien sûr, mais alors c'était le luxe à l'extrême, la qualité, les réceptions, les femmes osaient porter des bijoux...Parfois dans la même soirée vous aviez deux, trois, grands bals, des cocktails à n'en plus finir ! C'était le "Luxe", avec un grand "L" et un raffinement qui n'existe plus maintenant... Ou c'est autre chose, mais il n'y a pas de comparaison."
C'était le "Luxe", avec un grand "L"
"Je parlais l'autre soir avec Hélène Rochas qui a connu cela encore mieux que moi.
C'était une jeune femme d'une grande beauté, elle avait épousé Marcel Rochas et était de toutes les réceptions. Son mari donnait des réceptions fameuses pour lancer ses parfums : Charles Estéguy, Arthuro Lopez, tous ces gens faisaient de Paris la ville la plus luxueuse et la plus intéressante. On n'allait pas en Angleterre - on allait à la chasse en Angleterre - mais les vraies soirées,comme les donnaient les Rothschild, par exemple, et qu'ils ne donnent plus, avaient lieu à Paris. "
"Pensez que chaque semaine vous aviez trois ou quatre salons où l'on pouvait aller !
Il y avait un salon littéraire : Marie-Laure de Noailles donnait chaque même jour un cocktail. Avec Marie-Blanche de Polignac c'était la musique, et donc un autre jour... Avec Marie-Louise Bousquet on recevait la presse, avec le Harper's Bazar, et c'était le jeudi... C'était fascinant ! Il n'y avait pas un moment où l'on n'était pas pris !
Alors quand on reporte le regard sur aujourd'hui , on se dit "Mon Dieu ! comme tout ça est loin..."
Il y a autre chose bien sûr ! Il y a Internet, des foules de choses à voir et à faire, et qui peuvent vous occuper, mais ça ne représente pas l'image du luxe telle qu'elle fut il y a deux ou trois dizaines d'années."
"J'ai vécu dans une famille pleine d'affection, de bonheur, mais aussi de pas mal de tristesse : j'ai perdu mon père jeune, à l'âge de deux ans. J'ai alors vécu dans la famille de ma mère, une famille pleine de cousins et de cousines. C'était une jeunesse très heureuse, plutôt difficile du côté financier, mais on n'était pas les seuls !
Très vite, ce qui m'a animé ce fût de choisir la direction de ce que je voulais faire. C'était très difficile à l'époque car on n'acceptait pas dans les familles comme la mienne que je fasse de la couture, du cinéma ou des choses comme ça : il fallait faire son droit, choisir une carrière sérieuse. Je crois que c'est à force de persuasion et grâce à une mère aussi compréhensive que la mienne que j'ai pu parvenir à mon but.
Dès que je l'ai pu, à 17 ans, je suis venu à Paris et j'ai essayé de rencontrer monsieur Balenciaga : pas du tout pour rentrer chez lui, mais pour avoir une opinion sur ce que je pensais...Pour savoir si ce n'était pas trop mal.
Je n'ai pas été reçu - monsieur Balenciaga ne recevait personne - et je me suis dit : "Mon vieux, si tu reviens sans avoir trouvé une possibilité quelconque, ou un avis, tu ne pourras plus jamais revenir..." Et donc, de là, je me suis rendu chez Jacques Fath, qui n'était pas le couturier auquel je pensais, mais il m'a ouvert sa porte et m'a donné ma chance ! Ce fut formidable, car ce n'est pas facile de nos jours d'entrer dans une maison de couture, mais à l'époque c'était encore moins facile. D'être dans cet univers c'était idéal : Voir comment les gens travaillent, comment font les ouvrières, les Premières, cela donne envie de créer. Je n'étais pas créateur à ce moment là mais je relevais les robes après les collections...il y avait quelque chose que je ressentais : c'était le départ de ma vie, de ma carrière. Etre, déjà, dans une maison où on sentait un cœur qui battait toute la journée...C'était une ruche une maison de couture et c'était formidable !
De nos jours les jeunes créateurs sont nombreux, quels conseils leur donnez vous ?
"Je crois que les difficultés, à toutes les époques, sont du même ordre. Ce qu'il faut c'est avoir du courage et peut-être même, une sorte d'irresponsabilité... de se lancer !
Moi, je me disais toujours : "Je me lance d'une falaise !"
Peut-être sans regarder suffisamment comment sera la suite d'ailleurs...Parce que c'était dans ma nature !
Dans la vie il ne faut pas gémir et regarder devant soi. Je ne vais pas non plus pleurer sur mes dernières années parce que je n'ai pas été très heureux au moment où j'ai vendu ma maison !
Il faut savoir faire son choix, savoir ce que vous allez faire. Dans ce cas précis, ce n'était plus la même chose... J'étais un employé ! Mais je l'ai accepté, c'était normal : j'avais désiré vendre ma maison car je n'avais personne pour la continuer. J'ai vendu mon affaire de parfums puis les choses se sont passées d'une façon différente de celle que j'espérais. je me suis dit "Mon vieux, part la tête haute et ne te plains pas !"
Je ne me plains pas : je regrette de voir ce qui se passe...
"En fait je ne me plains pas : je regrette de voir ce qui se passe, non seulement dans ma maison, mais tout autour dans la mode... mais ça c'est autre chose : l'époque change.
Il faut savoir ne pas gémir, se dire que l'époque a changé et que les besoins ne sont plus les mêmes.
Lorsque j'ai choisi ma carrière c'était la plus belle époque à mon sens de la Haute Couture. Elle existe toujours, bien sûr, mais alors c'était le luxe à l'extrême, la qualité, les réceptions, les femmes osaient porter des bijoux...Parfois dans la même soirée vous aviez deux, trois, grands bals, des cocktails à n'en plus finir ! C'était le "Luxe", avec un grand "L" et un raffinement qui n'existe plus maintenant... Ou c'est autre chose, mais il n'y a pas de comparaison."
C'était le "Luxe", avec un grand "L"
"Je parlais l'autre soir avec Hélène Rochas qui a connu cela encore mieux que moi.
C'était une jeune femme d'une grande beauté, elle avait épousé Marcel Rochas et était de toutes les réceptions. Son mari donnait des réceptions fameuses pour lancer ses parfums : Charles Estéguy, Arthuro Lopez, tous ces gens faisaient de Paris la ville la plus luxueuse et la plus intéressante. On n'allait pas en Angleterre - on allait à la chasse en Angleterre - mais les vraies soirées,comme les donnaient les Rothschild, par exemple, et qu'ils ne donnent plus, avaient lieu à Paris. "
"Pensez que chaque semaine vous aviez trois ou quatre salons où l'on pouvait aller !
Il y avait un salon littéraire : Marie-Laure de Noailles donnait chaque même jour un cocktail. Avec Marie-Blanche de Polignac c'était la musique, et donc un autre jour... Avec Marie-Louise Bousquet on recevait la presse, avec le Harper's Bazar, et c'était le jeudi... C'était fascinant ! Il n'y avait pas un moment où l'on n'était pas pris !
Alors quand on reporte le regard sur aujourd'hui , on se dit "Mon Dieu ! comme tout ça est loin..."
Il y a autre chose bien sûr ! Il y a Internet, des foules de choses à voir et à faire, et qui peuvent vous occuper, mais ça ne représente pas l'image du luxe telle qu'elle fut il y a deux ou trois dizaines d'années."
Mars 2004
Par Yves CALMEJANE