A Pâques, l’Andalousie vit au rythme de la Semana Santa
Mystique Séville. C’est un rituel inchangé depuis des siècles qui enfièvre et enflamme la capitale andalouse dès le dimanche des Rameaux. Un rituel immuable, presque mystique, que les étrangers peinent parfois à comprendre. Reportage au cœur de l’événement.
Dimanche des Rameaux. 20H. Sous l’une des arcades de l’église du quartier de Santa Cruz, Diego Gonzalez, 54 ans, se frotte frénétiquement les épaules tel un boxeur à l’échauffement. Son fils, Pedro, semble absent. Son regard est sombre à l’image d’un athlète aux portes de l’exploit. Tout deux font partie de l’une des soixante confréries de la ville qui se rendront en procession à la cathédrale de Séville pour conclure leur station de pénitence comme le faisaient déjà leurs ancêtres au 15e siècle.
Pénitents
Chez les Gonzalez, c’est une histoire de famille et de générations. Diego et son fils font partie de ces hommes que l’on appelle les pénitents. Des hommes que l’on ne voit pas mais que l’on entend geindre, rugir, grogner sous l’imposant paso (autel) qu’il faudra porter à la force des épaules le temps d’un curieux cortège glissant entre les artères du vieux Séville. Une épreuve d’endurance et de résistance sur un pavé parfois glissant malgré la foule, la fatigue et le bruit. « Le plus difficile, confie Diego, c’est d’entamer la sortie de l’église par une voie d’accès à peine plus large que notre paso. Un accident devant la foule serait pour nous une catastrophe. Vous savez, c’est une question d’honneur. La Semana Santa est la célébration religieuse la plus importante de la ville et l'une des plus célèbres d'Espagne. On s’y prépare donc toute l’année! »
Montés sur un char pesant plusieurs centaines de kilos (soit une cinquantaine de kilos par pénitent), les pasos mettent en scène la passion du Christ. Richement décorés, fleuris à outrance et ciselés en bois avec une précision d’épure, chaque paso est une véritable œuvre d’art que les artistes préparent et habillent avec soin une année durant. Mais le cortège ne serait rien sans la présence de ces hommes coiffés de leur cône de tissu aussitôt rejoints par La Mantilla, des femmes coiffées de dentelles noires dont Théophile Gautier disait d’elles qu’elles avaient «les yeux fendus jusqu’aux tempes ».
Fêter la mort
A la lueur de centaines de cierges, le cortège tente de se frayer un chemin entre la foule et l’étroitesse des ruelles. Il est bientôt passé minuit. Diego et son fils n’en n’ont pas encore finit avec leur souffrance. Le cortège s’immobilise soudain devant un balcon d’où surgit la « saeta », un chant profond que l’acteur entonne au passage d'un paso. Un instant de répit pour les « pèlerins forçats » qui peuvent ainsi souffler quelques minutes avant de rejoindre la cathédrale. « La semaine sainte, c’est assez paradoxal car nous fêtons la mort du christ dans la joie. Ce n’est pas un événement triste, au contraire », chuchote Diego, prof d’histoire à l’université de Séville. Et c’est sans doute cela qui rend l’événement aussi mystérieux aux yeux des étrangers toujours plus nombreux à rejoindre chaque année la capitale andalouse pour un bain de spiritualité salvateur.
Avril 2014
Par Cedric Evrard