Florence : La renaissance en majesté
Sur le Ponte Vecchio, on est florentin avant d’être italien. Cette élégante capitale de la Toscane ne se visite pas en coup de vent. Il faut compter avec ses nombreux couvents, églises, musées et palais éparpillés des deux côtés de l’Arno.
Jardins de la Villa Bardini : flânerie champêtre
Florence se révèle dans la campagne toscane, dans ses jardins où les lignes droites et les lignes courbes se marient comme dans un tableau de Piero della Francesca. Les couleurs délicates se succèdent : le vert brillant des oliveraies, le rouge éteint de la coupole de Brunelleschi, les ors et bleus azur de Fra Angelico. La nature en Toscane a fourni le premier modèle. Lors d’une promenade le long de l’Arno, le visiteur aperçoit à flanc de colline une tache de végétation : c’est le jardin Bardini du nom de l’antiquaire qui en fut le dernier propriétaire. Jardin agricole de la Renaissance, jardin de roses, jardin chinois mais aussi jardin botanique avec des glycines, des roses, des azalées et des hortensias. Il descend vers la ville par une série de bassins et de fontaines. Et tout en haut, depuis le belvédère, Florence fait des appels de toits bavards.
Palazzo Strozi
© Michèle Lasseur, Florence, Fondation Palazzo Strozzi, "From Kandinsky to Pollock", The Art of the Guggenheim Collections.
Les touristes férus de son passé ne peuvent ignorer sa modernité. Il suffit pour s’en convaincre de fréquenter les boutiques de mode et les galeries de peinture. Le Palazzo Strozzi, gigantesque palais Renaissance d'un patricien Florentin, est maintenant géré par une fondation qui y organise des expositions temporaires. Le but : instiller au Palazzo Strozzi une dimension internationale par une forte présence de l’art contemporain. A l’affiche : « de Kandisky à Pollock » et les collections de Peggy et de son oncle Salomon Guggenheim.
© Michèle Lasseur, Florence
Une exposition consacrée aux avant-gardes américaines et européennes dans les années 1945 à 1960. Des artistes comme Jackson Pollock, Willem de Kooning, Mark Rothko, Roy Lichtenstein, Alexander Calder… L’excentrique Peggy, collectionneuse et mécène, fut un personnage de roman, à la fois collectionneuse mondaine puis protectrice de ses amis artistes menacés par le nazisme. Elle eut pour amants Samuel Beckett, Max Ernst, Marcel Duchamp. Elle soutint financièrement Jackson Pollock, l’artiste allemand Max Ernst qu’elle épousa et dont elle divorça 2 ans plus tard. Pour finir sa vie seule dans son palais Venier dei Leoni à Venise entourée de ses chiens. Une salle de l’exposition présente d’ailleurs une « Etude pour un chimpanzé » (1957) de Francis Bacon accrochée dans sa chambre à coucher.
Museo Dell’Opera del Duomo
© Michèle Lasseur, Florence
Historien de l'art, le père Timothy Verdon, de nationalité américaine, a des racines françaises. Un de ses ancètres combattit aux côtés de Guillaume le Conquérant à la bataille d’Hastings. Il est chanoine de la cathédrale Santa Maria del Fiore à Florence, et dirige le museo dell'Opera del Duomo. Il est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages dont « Fra Angelico » aux éditions Actes Sud. Mezzavoce, on lui donnerait bien du « Monseigneur… » La foi, l’art ainsi que tous les grands noms de la Renaissance sont réunis au Museo : Michel-Ange, Donatello ou Luca della Robbia. « Si je dis Museo sans autre précision, c’est qu’il a le privilège de porter un nom qui se suffit à lui-même, comme quelques autres de par le monde », précise le père Verdon dans un français parfait. « Musée à la gloire des dieux plus que des hommes » se dit-on quand on regarde la « Magdalène » de Donatello, en bois de peuplier, effrayante avec son corps décharné. Un petit escalier conduit à la « Pieta » de Michel-Ange. Sont également exposés deux panneaux de la « Porte du Paradis » et le célèbre autel en argent massif réalisé par des artistes florentins au XVe siècle.
La mosaïque florentine
© Michèle Lasseur, Florence
La ville maintient une affinité avec la création artistique. La passion des Médicis pour les objets en pierre semi-précieuse (onyx, jaspe, cornaline, améthyste, agate, lapis-lazuli) conduisit le grand-duc Ferdinand 1er de Médicis à fonder la manufacture d’art spécialisée dans le travail des pierres dures en 1588. On y pratiquait la technique de la mosaïque, peinture en pierre qui utilise les couleurs naturelles des pierres taillées en section et savamment assemblées pour former un tableau. L’ancien couvent, manufacture pendant trois siècles, est devenu musée. Dans les ateliers, les restaurateurs, dignes héritiers des artisans florentins de la Renaissance, créent ces mosaïques et marqueteries. Cindric Lola est venue à Florence faire un stage sur les techniques anciennes. « J’utilise le bois fossilisé, toutes sortes d’agates ou de jaspes, la malachite, le rosso di Vérona et le verde di Arno avec des scies circulaires diamantées sans denture. Ces instruments n’ont pas changé au fil des siècles » explique Lola. Après découpe, elle obtient des plaques de pierres qui seront prêtes à être utilisées pour la réalisation de marqueterie.
Le frisson de la Beauté : Santa Croce
© Michèle Lasseur, Florence, église de Santa Croce
En 1817, Stendhal écrit dans « Rome, Naples, Florence » : « J’étais dans une sorte d’extase à l’idée d’être dans cette ville. J’ai si souvent regardé des vues de Florence que je la connaissais d’avance. » La renommée de cette ville d’art s’était répandue dans toute l’Europe et d’une certaine façon, l’Italie inventa le tourisme. A l’église Santa Croce, Stendhal s’incline devant le cénotaphe de Dante, les tombeaux de Machiavel, Michel-Ange, Galilée. Les larmes lui viennent aux yeux face aux sybilles de Volterrano, dans la chapelle Nicolini. Les chapelles sont pourvues de fresques de Giotto, d’œuvres de Della Robbia et du « Crucifix » de Donatello. Il est au bord de l’évanouissement quand il contemple « La descente du Christ aux limbes » de Bronzino. « J’étais dans une sorte d’extase. La vie était épuisée en moi, je marchais avec la crainte de tomber ».Troublé par sa visite et tant de beauté, l’écrivain alla s’asseoir sur un banc, place de l’église. Sensations célestes passées à la postérité sous l’appellation « syndrome de Stendhal » !
Fra Angelico
© Fra Angelico
Les tombeaux de Machiavel, Michel-Ange, Galilée... devant lesquels Stendhal s’était incliné rappelle que Florence était la cité des grands personnages : peintres, écrivains, savants, philosophes. Plusieurs générations de Médicis la pourvoient en banquiers, ducs et mécènes. On peut imaginer la ville au temps des Médicis avec ses porteurs de lances et de bannières, ses artistes, ses moines. La place de la Seigneurie ou encore la place San Marco furent le centre de la vie politique florentine. Aujourd’hui les touristes s’y arrêtent pour visiter le musée de San Marco qui abrite sous ses arcades les anges diaphanes des fresques de Fra Angelico. Au 1er étage, en haut de l’escalier, « l’Annonciation » est une de ses œuvres les plus célèbres. Chaque cellule, décorée a fresco par l’artiste et ses assistants, devait servir à la méditation de son occupant.
© Michèle Lasseur, Florence
Visiter Florence réserve quelques éblouissements. Pour saisir l’âme de la ville, on peut l’approcher lentement par le quartier de l’Oltrarno, moins touristique, et visiter la basilique Santo Spirito qui se dresse au cœur d’une jolie place. Derrière une façade simple et géométrique du 18e siècle se cache la dernière et peut-être la plus belle des églises réalisées par Brunelleschi, l’architecte du palais Pitti et de la coupole de fra ). J’entends murmurer que tout cela sent le coup de cœur et je fais mon mea culpa : venir à Florence, c’est se condamner à ne jamais s’en remettre !
Michèle Lasseur
Juillet 2016