Guy Bourdin, le révolutionnaire de la photographie de mode
La première exposition inaugurant la nouvelle galerie du Jeu de Paume, se déroule du 23 juin au 12 septembre. Elle est consacrée au photographe Guy Bourdin (1928-1991), dont l'œuvre se caractérise par des images troublantes, souvent provocatrices, qui ont instauré un changement radical dans la manière d'aborder les campagnes publicitaires dans le domaine de la mode.
Discret mais omniprésent
En ouvrant à nouveau ses portes, après plusieurs mois de fermeture, la Galerie du Jeu de Paume rompt avec sa tradition d'expositions d'art moderne et contemporain en choisissant de présenter l'oeuvre du discret et provocateur Guy Bourdin.
Moins connu que son contemporain Helmut Newton, il a pourtant travaillé, lui aussi, pour les plus grands magazines et pour de nombreuses maisons de mode de Charles Jourdan à Chanel en passant par Grès, Révillon, Miyake, Ungarro, Montana ou le grand magazin américain Bloomingdale's.
C'est en 1954 que son destin de photographe de mode se dessine : admirateur de Man Ray il n'hésite pas à le solliciter pour être introduit auprès de la direction française de Vogue. La rédactrice en chef de l'époque, Edmonde Charles-Roux, l'actuelle présidente du Goncourt, séduite, lui passera aussitôt commande. La collaboration durera plus de 30 ans.
Il a tranquillement transformé l'image de la mode
Pendant toutes ses années - il est mort en 1991 à l'âge de 62 ans - il a tranquillement transformé l'image de la mode. De l'insipide et du conventionnel où elle avait glissé dans les années cinquante il l'a menée sur des lieux plus escarpés mais aussi plus sulfureux.
Il a su, un des premiers, arracher le produit de mode du tourbillon d'images où il s'effaçait en attirant ailleurs le regard du spectateur, quitte à le fasciner encore !
C'est dans les années soixante-dix, si conscientes pourtant des sortilèges du Spectacle qu'il a sans doute été le plus efficient. Un bon situationniste inverserait encore les génitifs et dirait que du spectacle de la mode est née la mode du spectacle...
Avec Bourdin c'est moins le produit désigné qui attire le consommateur que l'imagerie qui le porte - en l'occurrence des images mises en scène, parfois inspirées de l'histoire de l'art, ou des instants de récits sensuels inspirant tous les fantasmes, des rêves flous arrétés en plein élan, des violences fixées sur le papier, immobiles.
Chaque photo est composée comme un scénario de film.
Les photographies réalisées dans les années 70 pour les campagnes Charles Jourdan ou Bloomingdale's, et qui constituent une partie importante de l'exposition, sont particulièrement éloquentes.
Des "pièges à regard"
A cette époque, souligne Rosetta Brooks, co-auteur de l'ouvrage que lui consacrent les éditions Gallimard : "Il devenait indispensable de court-circuiter le mode de consommation tout entier. il était plus important d'accrocher le regard papillonnant que de le conduire ailleurs; les dispositifs d'agencement de l'espace déployés par Bourdin devenaient des "piéges à regards." La formule, est de Lacan. rappelle-t-elle. Celui là même, rappelons-le aussi... qui cachait aux regards dans son bureau le tableau "L'origine du Monde" de Courbet, autre grand metteur en scène et provocateur.
La réussite prouve la justesse du procédé, ou du moins son efficacité. Comme toute innovation trop provocante ce ne fut pas toujours évident à imposer. Philippe Garnier dans le même ouvrage rapporte cette anecdote où "Edmonde Charles-Roux accompagnera Bourdin dans la rues de Paris/.../L'artiste fit poser Sophie Litvak coiffée d'un chapeau à larges bords devant un alignement de lapins éviscérés au Marché de Buci. D'une extrême netteté, l'image réalisée sur une plaque de 25x20 cm était anarchique et agressive. Vogue la refusa. Bourdin avait cédé à son goût de la provocation et laissé s'exprimer l'élan pervers qui pouvait jaillir de son imagination."
Et l'invention est devenue cliché
Ces pièges ont fonctionné mais ont été très vite repérés et utilisés. Ils sont bientôt passés du papier glacé aux podiums des plus grands défilés. Et l'on y voit désormais, machinaux, automatiques, des mannequins sortis des images de Bourdin. Et l'invention est devenue cliché. Un comble pour un photographe.
Tout se passe comme si, après l'arrachement au conventionnel insipide des années cinquante, un demi siècle plus tard le conformisme le plus lourd reprenait ses droits - mais la photo est en négatif.
Les mannequins qui défilent devant la vitrine de Bourdin dans le calendrier de Vogue sont maintenant des robots; ils ont continué leur chemin et ils sont montés sur les podiums où, inlassablements, chaque semestre ils passent et repassent, sans pensée, figés dans un anti-conformisme spectaculaire.
Rosetta Brooks encore : "Les innovations radicales de Bourdin /.../se sont réduites, paradoxalement, à des accessoires branchés, des ingrédients de la beauté sur papier glacé qu'elles visaient précisément à dénoncer. Voilà pourquoi, malgré quelques similitudes superficielles avec des photographes de mode actuels, la démarche de Guy Bourdin reste unique en son genre."
En ouvrant à nouveau ses portes, après plusieurs mois de fermeture, la Galerie du Jeu de Paume rompt avec sa tradition d'expositions d'art moderne et contemporain en choisissant de présenter l'oeuvre du discret et provocateur Guy Bourdin.
Moins connu que son contemporain Helmut Newton, il a pourtant travaillé, lui aussi, pour les plus grands magazines et pour de nombreuses maisons de mode de Charles Jourdan à Chanel en passant par Grès, Révillon, Miyake, Ungarro, Montana ou le grand magazin américain Bloomingdale's.
C'est en 1954 que son destin de photographe de mode se dessine : admirateur de Man Ray il n'hésite pas à le solliciter pour être introduit auprès de la direction française de Vogue. La rédactrice en chef de l'époque, Edmonde Charles-Roux, l'actuelle présidente du Goncourt, séduite, lui passera aussitôt commande. La collaboration durera plus de 30 ans.
Il a tranquillement transformé l'image de la mode
Pendant toutes ses années - il est mort en 1991 à l'âge de 62 ans - il a tranquillement transformé l'image de la mode. De l'insipide et du conventionnel où elle avait glissé dans les années cinquante il l'a menée sur des lieux plus escarpés mais aussi plus sulfureux.
Il a su, un des premiers, arracher le produit de mode du tourbillon d'images où il s'effaçait en attirant ailleurs le regard du spectateur, quitte à le fasciner encore !
C'est dans les années soixante-dix, si conscientes pourtant des sortilèges du Spectacle qu'il a sans doute été le plus efficient. Un bon situationniste inverserait encore les génitifs et dirait que du spectacle de la mode est née la mode du spectacle...
Avec Bourdin c'est moins le produit désigné qui attire le consommateur que l'imagerie qui le porte - en l'occurrence des images mises en scène, parfois inspirées de l'histoire de l'art, ou des instants de récits sensuels inspirant tous les fantasmes, des rêves flous arrétés en plein élan, des violences fixées sur le papier, immobiles.
Chaque photo est composée comme un scénario de film.
Les photographies réalisées dans les années 70 pour les campagnes Charles Jourdan ou Bloomingdale's, et qui constituent une partie importante de l'exposition, sont particulièrement éloquentes.
Des "pièges à regard"
A cette époque, souligne Rosetta Brooks, co-auteur de l'ouvrage que lui consacrent les éditions Gallimard : "Il devenait indispensable de court-circuiter le mode de consommation tout entier. il était plus important d'accrocher le regard papillonnant que de le conduire ailleurs; les dispositifs d'agencement de l'espace déployés par Bourdin devenaient des "piéges à regards." La formule, est de Lacan. rappelle-t-elle. Celui là même, rappelons-le aussi... qui cachait aux regards dans son bureau le tableau "L'origine du Monde" de Courbet, autre grand metteur en scène et provocateur.
La réussite prouve la justesse du procédé, ou du moins son efficacité. Comme toute innovation trop provocante ce ne fut pas toujours évident à imposer. Philippe Garnier dans le même ouvrage rapporte cette anecdote où "Edmonde Charles-Roux accompagnera Bourdin dans la rues de Paris/.../L'artiste fit poser Sophie Litvak coiffée d'un chapeau à larges bords devant un alignement de lapins éviscérés au Marché de Buci. D'une extrême netteté, l'image réalisée sur une plaque de 25x20 cm était anarchique et agressive. Vogue la refusa. Bourdin avait cédé à son goût de la provocation et laissé s'exprimer l'élan pervers qui pouvait jaillir de son imagination."
Et l'invention est devenue cliché
Ces pièges ont fonctionné mais ont été très vite repérés et utilisés. Ils sont bientôt passés du papier glacé aux podiums des plus grands défilés. Et l'on y voit désormais, machinaux, automatiques, des mannequins sortis des images de Bourdin. Et l'invention est devenue cliché. Un comble pour un photographe.
Tout se passe comme si, après l'arrachement au conventionnel insipide des années cinquante, un demi siècle plus tard le conformisme le plus lourd reprenait ses droits - mais la photo est en négatif.
Les mannequins qui défilent devant la vitrine de Bourdin dans le calendrier de Vogue sont maintenant des robots; ils ont continué leur chemin et ils sont montés sur les podiums où, inlassablements, chaque semestre ils passent et repassent, sans pensée, figés dans un anti-conformisme spectaculaire.
Rosetta Brooks encore : "Les innovations radicales de Bourdin /.../se sont réduites, paradoxalement, à des accessoires branchés, des ingrédients de la beauté sur papier glacé qu'elles visaient précisément à dénoncer. Voilà pourquoi, malgré quelques similitudes superficielles avec des photographes de mode actuels, la démarche de Guy Bourdin reste unique en son genre."
Juillet 2004
Par Yves CALMEJANE