Portraits


Le luxe selon Séraphin Flambeau, grognard de la Garde

Trois ans après son succès avec "Cyrano de Bergerac", Edmond Rostand écrivait "l'Aiglon", en 1900, en l'honneur de Sarah Bernhardt qui connut avec ce rôle, un immense triomphe public. Cependant, l'imaginaire du public a gardé longtemps vivante la figure de Flambeau, symbole de la fidélité et du panache, ce luxe immatériel.
Pourquoi évoquer Flambeau dans cette rubrique sur le luxe ? Parce qu'il l'évoque souvent dans ses tirades ! A travers lui en effet Edmond Rostand exprime comment dans l'esprit de la "Belle Epoque" le luxe n'était pas uniquement inféodé à la richesse matérielle mais aussi à celle de l'âme.

Séraphin Flambeau : Luxe et Panache

Jean-Pierre-Séraphin Flambeau (joué par Lucien Guitry, en 1900) est un grognard de La Garde de Napoléon. Cet homme qui "ne s'est battu que pour la gloire et pour des prunes" voudrait pourtant rétablir l'Empire.
A Schoenbrunn où il a réussi à s'introduire auprès de “l'Aiglon”, il a le panache de monter la garde, non en habit de laquais autrichien, mais en uniforme de l'Empire...
C'est l'occasion pour le virtuose de la tirade qu'est Edmond Rostand de donner quelques morceaux de bravoure qui valent bien les tirades de Cyrano, plus connues de nos jours depuis qu'elles ont été reprises avec succès au cinéma par Gérard Depardieu .

La tirade des "sans-grades"

L'Aiglon” (le titre de la pièce s'inspire du surnom du Duc de Reichstadt, fils de Napoléon Bonaparte et de Marie-Louise d'Autriche), a été créé par Sarah Bernhardt le 15 mars 1900.
La tirade des "sans-grades" du grognard Flambeau est le pendant exact de celle du "nez" dans Cyrano de Bergerac du même auteur.
Il réplique par cette tirade aux explications embarassées du général Marmont qui a du mal a justifié sa trahison en mettant en avant la fidélité et le sens de l'honneur des grognards, leur superbe et seul luxe : “Et nous, les petits, les obscurs, les sans grades ...”
Dans les citations et les déclamations de la littérature française Flambeau rejoint ici cette caste de demi-fous, insouciants de la vie et de la mort, qui porte leur honneur en bandoulière.
Nous citons ici deux autres passages, parmi quelques autres, de la pièce d' Edmond RostandSéraphin Flambeau donne son interprétation du luxe :

"Je fais du luxe !"

- Acte II, Scène I.
Avec sa tirade à Marmont le personnage de Flambeau fait sa première apparition. Il est alors habillé en domestique du palais, dans le but d'aider le fils de Napoléon à s'enfuir. Mais il a pris le risque de se dévoiler en agressant le général Marmont.

MARMONT
Tu m'as fait tout à l'heure une sortie... outrée!
FLAMBEAU
Oui, mais ça me faisait une jolie entrée.
MARMONT
C'était très imprudent!
FLAMBEAU
C'est vrai... mais mon défaut
C'est d'en faire toujours un peu plus qu'il ne faut!
Aux consignes, toujours, j'ajoute quelque chose
J'aime me battre avec, à l'oreille, une rose!
Je fais du luxe! 

"Dieu! qu'as-tu fait?" "Du luxe!"

 -  Acte III Scène VIII
Flambeau
, s'est caché, à la demande de l'Aiglon, car le Prince de Metternich lui rend visite. Au cours de leur conversation, il ne peut s'empêcher d'intervenir malgré le danger, écarte le rideau qui le cachait et se révèle, habillé en grognard de l'Empereur.

METTERNICH
Non! vraiment, je croyais - tant c'était réussi!
Qu'un autre allait sortir!
FLAMBEAU, _ comme sortant du rêve auquel il s'est pris lui-même. _
Je le croyais aussi!
LE DUC, _ se retournant vers lui, et apercevant avec épouvante son uniforme. _
Dieu! qu'as-tu fait?
FLAMBEAU
Du luxe!
......................................................................
Metternich appelle la garde autrichienne tandis que Flambeau s'enfuit par le balcon.
........................................................................
METTERNICH, _ en le voyant disparaître. _
Oh! pourvu qu'il se luxe
Quelque chose!
_ On entend la voix de Flambeau entonner tranquillement dans la nuit le Chant du départ : _
"La victoire en chantant... "
LE DUC, _ terrifié. _
Hein?
METTERNICH, _ stupéfait. _
Il chante?
LE DUC, _ se penchant au balcon avec angoisse. _
Oh! que fais-tu?
LA VOIX DE FLAMBEAU, _ dans le parc. _
Du luxe!

Août 2004
Par Yves CALMEJANE
- Edmond Rostand (1868-1918). Poète et auteur dramatique, il a ressuscité le drame héroïque en vers. Le succès de Cyrano de Bergerac lui valut de nombreux éloges. Elu à l'Académie Française en 1901, il est aussi l'auteur de "Les Romanesques", "La Princesse Lointaine", "La Samaritaine", " Chantecler" et "L'Aiglon".

- Sarah Bernhardt, (1844-1923). Tragédienne envoûtante surnommée "La Divine", elle s'est illustrée dans "Phèdre", "Ruy Blas", "Hernani", "Lorenzaccio", "la Dame aux camélias". etc., Elle créa "l'Aiglon", qu'elle jouera plus de deux cent fois de suite, où elle incarne - non sans panache elle aussi - le personnage du Duc de Reichstadt.
Amputée d'une jambe en 1915, elle joue pourtant sur scène pour le théâtre de guerre, et créée encore "Athalie" en 1920.

- Lucien Guitry, (1860-1925). Acteur et auteur de théatre, a fait ses débuts sur scène dans "La dame aux camélias" en 1878. Il joua à Saint-Pétersbourg, puis à l'Odéon et au Théatre de la Renaissance dont il prit la direction. Après la guerre de 14-18, il joue dans des créations de son fils Sacha. A la fin de sa carrière il donna des interprétations très personnelles du "Misanthrope", du "Tartuffe", ou de "L'école des femmes" en 1924.