Hanae Mori
La vie de Madame Mori est l'image de l'extraordinaire évolution de sa patrie, le Japon. Elle en est le symbole. Elle n'a pas accepté le destin que la tradition aurait voulu lui imposer et elle est l'exemple de ce qu'une femme est capable de réaliser dans le Japon moderne quand c'est elle qui prend en main sa vie.
Hanae Mori naît à "Shimane", petite ville de province. "Mon père était un excellent chirurgien, un homme d'une grande culture, amateur de peinture, de sculpture, de littérature...et de mode : il avait parmi ses relations nombre de tailleurs russes qui l'habillaient. Mes frères, mes deux soeurs et moi-même vivions dans une ambiance de culture. Ma mère elle, était une parfaite mère traditionnelle."
Son enfance se déroule dans un monde rural où les chasseurs procurent du gibier à son père : images très éloignées de ce que l'on imagine du Japon aujourd'hui. "Le Japon était très paisible, se souvient-elle. Les hivers étaient glacés avec de la neige, les étés brûlants couvraient les champs de fleurs où voletaient une myriade de papillons". Ces papillons qui deviendront son emblème.
Son enfance la soumet à la double influence du modernisme de son père et de la tradition de sa mère. "Ma famille était très au fait de la mode à Tokyo : ainsi au village, nous étions les seuls à être habillés à l'occidentale, ce qui me gênait un peu devant les autres enfants, même si la plupart nous enviaient." Aujourd'hui, la mode d'Hanae Mori exprime cet équilibre subtil entre la tradition du Japon et le style de l'Occident.
Être une artiste
A l'âge de onze ans, elle continue ses études dans une grande ville. "Mon père voulait que je sois médecin, comme lui. Mais je détestais cela, je voulais être une artiste." Comme compromis, elle entreprend l'étude de littérature japonaise. Elle se passionne pour l'époque Edo, "une ère de paix et d'évolution des arts et des lettres. C'était une période de sérénité pour le peuple où l'art japonais s'épanouissait en dehors les influences de' la Chine ou de l'Inde" De nouveaux thèmes, de nouveaux scénarios, de nouveaux acteurs et de nouveaux costumes renouvelaient le théâtre Kabuki. Quelque soit l'appartenance sociale des Japonais, leur vêtement est toujours très sombre extérieurement, mais les couleurs se cachent dans les doublures des manteaux et des kimonos. Cette discrétion est l'image de l'attitude profonde des Japonais : réserve et austérité apparente, refus du spectaculaire.
"Autant en emporte le vent" sous les bombes
Arrive la guerre : Hanae Mori comme nombre d'étudiants travaille en usine. Elle vit seule à Tokyo, ses parents ayant regagné la campagne.
"Chaque nuit, pendant les bombardements, je me souviens que dans les abris je lisais des histoires de guerre, d'amour et de violence, je lisais "Autant en emporte le vent" au milieu des bombes".
La fin de la guerre la laisse indifférente, ni triste ni gaie : "J'ai seulement ressenti une immense impression de liberté." Hanae Mori sait exactement ce qu'elle veut : créer.
Et elle rencontre celui qu'elle épousera, héritier des industries textiles de son père. "A la fin de la guerre, j'ai décidé de poursuivre mes études, mais dans une autre voie.
J'ai décidé de m'orienter vers le modélisme, et d'apprendre les bases techniques de mon futur métier. Pendant deux ans et demi, j'en ai assimilé tous les aspects, de la conception à la coupe. En 1955 j'ai ouvert un petit studio où je travaillais pour une clientèle privée et tout allait bien sauf que je dépensais sans compter ce que je gagnais : trois ans après j'ai connu des ennuis avec les impôts. Mon mari, dont les affaires prospéraient déjà, décida alors de s'investir dans ma maison de mode.
Hanae Mori et la nouvelle vague
La carrière d'Hanae Mori dans le mode prend son essor tandis que la nouvelle vague transforme la vie culturelle japonaise. "Un jour, un producteur qui connaissait certaines de mes clientes et qui appréciait mon style m'a proposé de créer les costumes d'un film. C'est ainsi que j'ai fini par travailler pour quatre grandes sociétés, dessinant les costumes traditionnels ou occidentaux des films des plus grands réalisateurs tels que Ozu et Oshima. Ils cherchaient de la nouveauté, une autre façon d'habiller les femmes en accord avec leur esthétique." Grâce à cette expérience capitale que lui a fournie le cinéma, Hanae Mori a acquis la célébrité mais beaucoup plus encore. "Au fond, une créatrice pense d'abord à ce qu'elle aime et désire porter. Travailler avec tous ces réalisateurs a élargi mon horizon, mes yeux se sont ouverts sur le monde et j'ai pris conscience qu'il y avait une multitude de types de femme, j'ai réalisé comment les hommes les regardent et comment ils les aiment."
C'est le succès, un succès fabuleux : elle devient le couturier le plus célèbre du Japon." Mais la télévision s'imposa sur le cinéma qui perdit sa popularité et mon activité déclina dans ce secteur. D'un autre côté, j'avais de plus en plus de clientes sans posséder pour autant l'infrastructure nécessaire. J'étais fatiguée, mes enfants me réclamaient du temps. C'est ainsi que j'ai décidé de prendre des vacances."
"Il faut que vous portiez de l'orange, comme le soleil"
1960 : Hanae Mori voyage. "J'avais gagné beaucoup d'argent, et en six semaines de vacances, j'ai tout dépensé. J'arrivais à Paris, je voulais être habillée en Haute Couture et après avoir assisté à plusieurs défilés, j'ai choisi Chanel. Les trois essayages nécessaires à la réalisation d'un tailleur me permirent de faire sa connaissance.
A cette époque, Coco Chanel n'était pas encore célèbre au Japon, ainsi je ne fus pas spécialement impressionnée par ces rencontres à l'atmosphère très détendue : "Vous avez de magnifiques cheveux noirs, me dit-elle. Il faut que vous portiez de l'orange, comme le soleil." J'ai réfléchi un moment avant de refuser: je m'habillais toujours en noir. Finalement nous sommes tombées d'accord sur un tailleur noir avec des ganses orange" De ce moment Hanae Mori n'a plus aucun doute : elle veut devenir un couturier international, elle veut créer la Haute Couture et donc elle se veut parisienne.
Le vol de Madame Butterfly sur Paris, Tokyo et New-York
Hanae Mori assiste pour la première fois à l'opéra Madame Butterfly au Lincoln Center à New-York et cette soirée la ramène à la beauté des papillons gravée dans sa mémoire depuis l'enfance : Elle s'attendrit sur le personnage de la triste héroïne.
Désormais son nom sera Madame Butterfly, ses créations ornées de papillons rendront, elle l'espère, l'image de Madame Butterfly moins tragique. "Paris est une ville magnifique, l'atmosphère y est sereine. L'art et l'histoire y sont partout présents, la vie culturelle y est intense, la mode y façonne la vie : c'est pourquoi la femme la plus banale de la rue y paraît plus intéressante que partout ailleurs. C'est à Paris que je crée.
New-York, elle, stimule et rend efficace : j'y ai appris le métier de la mode, j'y affine ma créativité. Et évidemment j'aime ma ville de Tokyo, qui est le creuset de l'Est et de l'Ouest. C'est un lieu qui m'est indispensable."
La seule Japonaise de la Chambre Syndicale de la Haute Couture Parisienne
"Madame Butterfly" crée ses collections de Haute Couture et de Nouvelle Couture à Paris et sa ligne de prêt-à-porter à Tokyo. Elle partage avec sa belle-fille Pamela Mori, nommée Directrice Artistique, la responsabilité de la création de la collection de prêt-à-porter. Les vêtements sont fabriqués en France, en Italie, au Japon, en Chine et à Hong Kong en particulier et distribués dans le monde entier.
Elle est membre depuis 1977 de la Chambre Syndicale de la Haute Couture Parisienne, cénacle prestigieux et élitiste dont elle est la seule Japonaise. C'est au coeur du Triangle d'Or, lieu d'élection de la mode et de l'élégance qu'elle installe deux boutiques, l'une Avenue Montaigne et l'autre Place de l'Aima, qui consacrent son image en France et dans le monde entier.
"J'ai conquis un monde où les femmes tenaient peu de place"
Outre la famille impériale, elle a habillé les femmes les plus élégantes du monde et dans le domaine artistique autant que dans celui des affaires, sa réussite est sans précédent au Japon où les femmes avaient été si longtemps confinées au foyer et à la famille. "J'ai conquis un monde où les femmes tenaient peu de place."
L'empire Hanae Mori a deux capitales : celle de la création, Paris, et Tokyo : c'est de l'imposant immeuble tout de glaces créé par l'architecte Kenzo Tange (à Omote Sando, l'avenue des Champs Elysée de Tokyo) que Hanae Mori et ses deux fils Akira et Kei dirigent les différentes activités du groupe, de la mode à la presse, des accessoires aux objets de maison.
Suivant les traces de son père Ken Mori, le précédent Chairman, son fils aîné Akira lui a succédé dans sa responsabilité de Président du Groupe Hanae Mori en 1996.
La double influence héritée de son enfance, de la tradition et du modernisme, guide Hanae Mori qui se souvient toujours des myriades de papillons pleins d'éclat et de légèreté voletant dans la campagne de son pays. Ils sont maintenant son emblème, parce que, à son image, ils ne connaissent pas de frontières. Parce que, impalpables comme la plus impalpable soie, ils sont l'émanation d'une nature harmonieuse aux nuances infinies. Parce que, tels Hanae Mori, ils sont mystère.
(Documentation Hanae Mori)
Son enfance se déroule dans un monde rural où les chasseurs procurent du gibier à son père : images très éloignées de ce que l'on imagine du Japon aujourd'hui. "Le Japon était très paisible, se souvient-elle. Les hivers étaient glacés avec de la neige, les étés brûlants couvraient les champs de fleurs où voletaient une myriade de papillons". Ces papillons qui deviendront son emblème.
Son enfance la soumet à la double influence du modernisme de son père et de la tradition de sa mère. "Ma famille était très au fait de la mode à Tokyo : ainsi au village, nous étions les seuls à être habillés à l'occidentale, ce qui me gênait un peu devant les autres enfants, même si la plupart nous enviaient." Aujourd'hui, la mode d'Hanae Mori exprime cet équilibre subtil entre la tradition du Japon et le style de l'Occident.
Être une artiste
A l'âge de onze ans, elle continue ses études dans une grande ville. "Mon père voulait que je sois médecin, comme lui. Mais je détestais cela, je voulais être une artiste." Comme compromis, elle entreprend l'étude de littérature japonaise. Elle se passionne pour l'époque Edo, "une ère de paix et d'évolution des arts et des lettres. C'était une période de sérénité pour le peuple où l'art japonais s'épanouissait en dehors les influences de' la Chine ou de l'Inde" De nouveaux thèmes, de nouveaux scénarios, de nouveaux acteurs et de nouveaux costumes renouvelaient le théâtre Kabuki. Quelque soit l'appartenance sociale des Japonais, leur vêtement est toujours très sombre extérieurement, mais les couleurs se cachent dans les doublures des manteaux et des kimonos. Cette discrétion est l'image de l'attitude profonde des Japonais : réserve et austérité apparente, refus du spectaculaire.
"Autant en emporte le vent" sous les bombes
Arrive la guerre : Hanae Mori comme nombre d'étudiants travaille en usine. Elle vit seule à Tokyo, ses parents ayant regagné la campagne.
"Chaque nuit, pendant les bombardements, je me souviens que dans les abris je lisais des histoires de guerre, d'amour et de violence, je lisais "Autant en emporte le vent" au milieu des bombes".
La fin de la guerre la laisse indifférente, ni triste ni gaie : "J'ai seulement ressenti une immense impression de liberté." Hanae Mori sait exactement ce qu'elle veut : créer.
Et elle rencontre celui qu'elle épousera, héritier des industries textiles de son père. "A la fin de la guerre, j'ai décidé de poursuivre mes études, mais dans une autre voie.
J'ai décidé de m'orienter vers le modélisme, et d'apprendre les bases techniques de mon futur métier. Pendant deux ans et demi, j'en ai assimilé tous les aspects, de la conception à la coupe. En 1955 j'ai ouvert un petit studio où je travaillais pour une clientèle privée et tout allait bien sauf que je dépensais sans compter ce que je gagnais : trois ans après j'ai connu des ennuis avec les impôts. Mon mari, dont les affaires prospéraient déjà, décida alors de s'investir dans ma maison de mode.
Hanae Mori et la nouvelle vague
La carrière d'Hanae Mori dans le mode prend son essor tandis que la nouvelle vague transforme la vie culturelle japonaise. "Un jour, un producteur qui connaissait certaines de mes clientes et qui appréciait mon style m'a proposé de créer les costumes d'un film. C'est ainsi que j'ai fini par travailler pour quatre grandes sociétés, dessinant les costumes traditionnels ou occidentaux des films des plus grands réalisateurs tels que Ozu et Oshima. Ils cherchaient de la nouveauté, une autre façon d'habiller les femmes en accord avec leur esthétique." Grâce à cette expérience capitale que lui a fournie le cinéma, Hanae Mori a acquis la célébrité mais beaucoup plus encore. "Au fond, une créatrice pense d'abord à ce qu'elle aime et désire porter. Travailler avec tous ces réalisateurs a élargi mon horizon, mes yeux se sont ouverts sur le monde et j'ai pris conscience qu'il y avait une multitude de types de femme, j'ai réalisé comment les hommes les regardent et comment ils les aiment."
C'est le succès, un succès fabuleux : elle devient le couturier le plus célèbre du Japon." Mais la télévision s'imposa sur le cinéma qui perdit sa popularité et mon activité déclina dans ce secteur. D'un autre côté, j'avais de plus en plus de clientes sans posséder pour autant l'infrastructure nécessaire. J'étais fatiguée, mes enfants me réclamaient du temps. C'est ainsi que j'ai décidé de prendre des vacances."
"Il faut que vous portiez de l'orange, comme le soleil"
1960 : Hanae Mori voyage. "J'avais gagné beaucoup d'argent, et en six semaines de vacances, j'ai tout dépensé. J'arrivais à Paris, je voulais être habillée en Haute Couture et après avoir assisté à plusieurs défilés, j'ai choisi Chanel. Les trois essayages nécessaires à la réalisation d'un tailleur me permirent de faire sa connaissance.
A cette époque, Coco Chanel n'était pas encore célèbre au Japon, ainsi je ne fus pas spécialement impressionnée par ces rencontres à l'atmosphère très détendue : "Vous avez de magnifiques cheveux noirs, me dit-elle. Il faut que vous portiez de l'orange, comme le soleil." J'ai réfléchi un moment avant de refuser: je m'habillais toujours en noir. Finalement nous sommes tombées d'accord sur un tailleur noir avec des ganses orange" De ce moment Hanae Mori n'a plus aucun doute : elle veut devenir un couturier international, elle veut créer la Haute Couture et donc elle se veut parisienne.
Le vol de Madame Butterfly sur Paris, Tokyo et New-York
Hanae Mori assiste pour la première fois à l'opéra Madame Butterfly au Lincoln Center à New-York et cette soirée la ramène à la beauté des papillons gravée dans sa mémoire depuis l'enfance : Elle s'attendrit sur le personnage de la triste héroïne.
Désormais son nom sera Madame Butterfly, ses créations ornées de papillons rendront, elle l'espère, l'image de Madame Butterfly moins tragique. "Paris est une ville magnifique, l'atmosphère y est sereine. L'art et l'histoire y sont partout présents, la vie culturelle y est intense, la mode y façonne la vie : c'est pourquoi la femme la plus banale de la rue y paraît plus intéressante que partout ailleurs. C'est à Paris que je crée.
New-York, elle, stimule et rend efficace : j'y ai appris le métier de la mode, j'y affine ma créativité. Et évidemment j'aime ma ville de Tokyo, qui est le creuset de l'Est et de l'Ouest. C'est un lieu qui m'est indispensable."
La seule Japonaise de la Chambre Syndicale de la Haute Couture Parisienne
"Madame Butterfly" crée ses collections de Haute Couture et de Nouvelle Couture à Paris et sa ligne de prêt-à-porter à Tokyo. Elle partage avec sa belle-fille Pamela Mori, nommée Directrice Artistique, la responsabilité de la création de la collection de prêt-à-porter. Les vêtements sont fabriqués en France, en Italie, au Japon, en Chine et à Hong Kong en particulier et distribués dans le monde entier.
Elle est membre depuis 1977 de la Chambre Syndicale de la Haute Couture Parisienne, cénacle prestigieux et élitiste dont elle est la seule Japonaise. C'est au coeur du Triangle d'Or, lieu d'élection de la mode et de l'élégance qu'elle installe deux boutiques, l'une Avenue Montaigne et l'autre Place de l'Aima, qui consacrent son image en France et dans le monde entier.
"J'ai conquis un monde où les femmes tenaient peu de place"
Outre la famille impériale, elle a habillé les femmes les plus élégantes du monde et dans le domaine artistique autant que dans celui des affaires, sa réussite est sans précédent au Japon où les femmes avaient été si longtemps confinées au foyer et à la famille. "J'ai conquis un monde où les femmes tenaient peu de place."
L'empire Hanae Mori a deux capitales : celle de la création, Paris, et Tokyo : c'est de l'imposant immeuble tout de glaces créé par l'architecte Kenzo Tange (à Omote Sando, l'avenue des Champs Elysée de Tokyo) que Hanae Mori et ses deux fils Akira et Kei dirigent les différentes activités du groupe, de la mode à la presse, des accessoires aux objets de maison.
Suivant les traces de son père Ken Mori, le précédent Chairman, son fils aîné Akira lui a succédé dans sa responsabilité de Président du Groupe Hanae Mori en 1996.
La double influence héritée de son enfance, de la tradition et du modernisme, guide Hanae Mori qui se souvient toujours des myriades de papillons pleins d'éclat et de légèreté voletant dans la campagne de son pays. Ils sont maintenant son emblème, parce que, à son image, ils ne connaissent pas de frontières. Parce que, impalpables comme la plus impalpable soie, ils sont l'émanation d'une nature harmonieuse aux nuances infinies. Parce que, tels Hanae Mori, ils sont mystère.
(Documentation Hanae Mori)
Août 2004
Par Sawako TAKAHASHI