Culture


J'ai fait la Fashion French Touch à Moscou !

S'il parle français sans une touche d'accent, c'est parce que Dimitri Dolinski vit à Paris, où il s'occupe de relations publiques, depuis une quinzaine d'années. De sa Russie natale il a gardé la tignasse blonde, les yeux bleus et une parfaite connaissance du nouveau marché russe. Créateur de la French Fashion Touch, il a choisi de promouvoir les maisons de mode et de chaussures françaises au pays de Kroutchev et Lénine. Nous l'avons suivi à Moscou durant les trois jours de la manifestation, qui se tenait dans le Musée Pouchkine. Le tailleur et chausseur des stars Gérard Sené nous accompagnait.
Arrivée à Moscou

Partis de Paris en fin d'après-midi, nous arrivons à Moscou en milieu de soirée. Le temps de passer les contrôles, et nos voitures nous prennent en charge en fin de soirée, direction le centre ville. Première surprise : la route qui nous y conduit est une longue avenue (on parle ici de "perspective") à dix voies, strictement rectiligne sur vingt kilomètres ! La circulation, que l'on découvrira infernale (pire qu'à Paris, comme quoi tout est possible...) durant les jours suivants, est à cette heure extrêmement fluide, et permet de rallier le centre rapidement. L'occasion, déjà, de remarquer un parc automobile hétéroclite, composé de vieilles voitures russes inconnues en Europe, d'un grand nombre de Lada, et d'une variété de voitures de luxe qui ne dénoterait pas dans les beaux quartiers de Paris, Dubaï ou Los Angeles : Audi A8, BMW 7' et X5, Mercedes Classe S et ML... l'examen de ces dernières révélant que les Russes argentés ne connaissent pas le diesel : ici, dans cette catégorie de voitures, le V8 essence est roi, de préférence dans les cylindrées les plus élevées. Cette constatation nous amènera à interroger notre guide sur le niveau de vie de la population, et d'apprendre que sur les dix millions de moscovites, 1% sont extrêmement riches, fortunes récentes essentiellement fondées sur le pétrole, les matières premières et l'armement, 10% sont riches ou très aisés, le reste de la population demeurant encore très pauvre, et vivant dans d'interminables barres d'immeubles à côté desquelles les cités chaudes de la couronne parisienne paraissent bien luxueuses.


Toutes les marques de luxe

Le défilé Fashion French Touch ayant lieu le lendemain en soirée, nous profitons de la journée pour visiter la ville et le fameux mall Crocus, un centre commercial d'un luxe inouï, planté au beau milieu de nulle part. On y accède après deux heures de bouchon ininterrompu sur une autre "perspective" à dix voies, embouteillée de huit à dix-neuf heures. De l'extérieur, le bâtiment cache bien le luxe effrené qu'il abrite, car derrière les murs de béton les plus belles maisons ont ouvert boutique, dans un environnement design tout de marbre et de verre. Versace, Pal Zileri, Frank Muller, Santoni... Un lieu insolite, qui réserve à ses visiteurs un cadre exceptionnellement soigné, dans lequel on évolue d'une boutique à une autre en profitant de plusieurs cafés à l'européenne, d'un piano à queue, de salons de repos, d'une exposition permanente de voitures de collection, et même d'une piscine ! On y croise une clientèle jeune et très au fait des dernières tendances de la mode internationale. Et le choc est d'autant plus rude, en ressortant, de se retrouver dans un décor de barres d'immeubles grises et tristes, à une dizaine de kilomètres du centre ville. Les maisons les plus prestigieuses du monde tiennent pour leur part boutique dans le centre ville, à quelques centaines de mètres de la Place Rouge. Prada, Dolce & Gabbana, Cartier, Audemars Piguet, Louis Vuitton, Hermès, Berluti : ils sont tous là, réunis dans le "triangle d'or" moscovite, rivalisant de design et de luxe. Ces boutiques sont plutôt moins fréquentées qu'à Paris, mais peuvent il est vrai réaliser le chiffre d'une semaine avec seulement un ou deux clients !


Le Rendez-Vous des marques françaises

Un homme d'affaires a choisi de jouer une autre carte : celle des marques de chaussures françaises de moindre renommée, réunies dans une enseigne unique disposant d'une demi-douzaine de magasins répartis dans toute la capitale. Jean-Baptiste Rautureau, Gérard Sené, NDC et bien d'autres constituent la dream team de Simon Bakchinian, et rencontrent un grand succès auprès de la clientèle branchée, qui trouve là l'équivalent des espaces haut de gamme des grands magasins parisiens. Une démarche aussi atypique qu'intéressante, le dirigeant-fondateur de Rendez-Vous ayant définitivement choisi de ne représenter que des maisons françaises. Il s'est notamment lié d'amitié avec Gérard Sené, dont il loue la créativité à qui veut l'entendre (il cartonne autant avec les modèles à bouts carrés que pointus, et avec le cuir autant que le croco ou le galuchat), et l'observateur ne manque pas d'être étonné en constatant la fréquentation de ses boutiques, à n'importe quelle heure de la journée. A la différence des adresses très haut de gamme citées plus haut, les boutiques Rendez-Vous s'adressent à que les experts marketing européens qualifieraient de "classe moyenne supérieure", population aisée née sous l'administration Poutine et fortement consommatrice de produits de luxe accessibles. L'émergence de cette nouvelle classe sociale est, pour toutes les personnes interrogées - employés, cadres et universitaires - la principale caractéristique du gouvernement en place, celle qui a sorti la partie la plus dynamique de la population russe de la résignation et lui a donné un nouvel espoir. Elle permet à tous d'imaginer un avenir lumineux, dont la première manifestation est de pouvoir enfin adopter les signes extérieurs de richesse de la population occidentale.


La Fashion French Touch sous les projecteurs

Destinée à promouvoir les maisons françaises, la Fashion French Touch constitue ici un événement médiatique important. Elle est couronnée par un défilé de mode, couvert par plusieurs télévisions et de nombreux magazines de presse écrite. Des différents intervenants de cette deuxième édition, Gérard Sené est le plus sollicité de la presse russe, pour l'humour décapant de ses interventions - on ne le refera pas : notre tailleurs des stars national réserve à la télévision russe la même ironie qu'à ses clients parisiens, scrupuleusement traduite par des interprètes, ce qui permet à l'observateur français de voir les journalistes osciller entre la surprise et les fous rires ; on ne s'ennuie pas un instant, à la Fashion French Touch.
Point d'orgue de la manifestation, le défilé était organisé dans le cadre moderne du Musée Pouchkine, décoré pour l'occasion par le Parisien Richard Brison.


                                                                                                                  

                                                                                                                   Cet article est paru
                                                                                                                     dans Dandy n°10
Juin 2006
Les nouveaux milliardaires russes investissent à Londres

                                      

À la notable différence de Paris, pleine d'a priori contre ces nouveaux riches et à la fiscalité rédhibitoire, Londres fait les yeux doux à ces investisseurs prodigues. Publicités dans les magazines haut de gamme, stands dans les salons moscovites, festival russe : la capitale britannique entend ne pas passer à côté de cette manne financière inespérée. Et ça marche : 250 000 Russes ont déjà craqué pour ce havre fiscal à l'abri du Kremlin, et dépensent jusqu'à 15 ou 16 millions d'euros (payés au comptant, sans emprunt immobilier...) pour s'offrir un pied-à-terre dans les quartiers les plus chic : Mayfair, Belgravia, Knightsbridge...