Portraits


Pierre Hardy, le bien-nommé

La petite entreprise, de ce créateur indépendant à peine âgée de six ans, ne connaît pas la crise. Son vocabulaire, plastique et graphique, séduit une clientèle très élitiste. Questions de style.


Quel est votre parcours professionnel ?


Petit, j'aurais aimé être architecte ou dessinateur de voitures. J'ai fait des études très classiques : arts plastiques, dessin, peinture, anatomie, architecture, histoire de l'art, mais, comme tout créateur, j'ai envie de changer la réalité. Elle ne nous plait pas telle qu'elle est alors on pense qu'on va la rendre plus belle, plus efficace, correspondant mieux à nos désirs.

Quel a été votre déclic chaussure ?

Au départ, j'illustrais les collections des autres pour Vogue et différents supports. Quand on m'a demandé de dessiner des modèles pour une petite marque française, j'ai constaté que mes dessins pouvaient devenir réalité. Comme ça fonctionnait bien, les gens avec lesquels je travaillais m'ont proposé d'intégrer le studio Dior.

La chaussure est-elle la pièce maîtresse de l'élégance ?

Je ne vais pas vous dire non ! C'est capital pour la silhouette mais, en même temps, il n'y a pas LA bonne chaussure au bon moment. Dans les années 70, un seul genre déterminait toute la silhouette. Les femmes achetaient Elle et elles savaient quelle était la tenue de la saison, la bonne longueur de jupe, quel genre de chaussures il fallait porter... Aujourd'hui, les combinaisons sont plus variées et ça rend les choses plus compliquées.

Comment savoir si une chaussure convient à une tenue ?

Question de perception personnelle ! Aujourd'hui, les femmes peuvent se permettre plein de styles. Elles peuvent changer d'un jour à l'autre, d'un moment à l'autre, sans problème.

Aimeriez-vous travailler pour une marque populaire ?

Si la volonté est d'apporter de la création à des prix nobles, oui, pourquoi pas ? Mais si c'est pour diffuser des choses qui ont déjà été faites avant, moins bien et de moins bonne qualité, alors non ! Avec La Redoute, on s'y est pris à plusieurs fois avant que ça marche. Au départ, on partait sur une collection spéciale La Redoute, une espèce de deuxième ligne de ce que je fais sous mon nom. Finalement, on a produit pour eux le best-seller, c'est-à-dire le modèle le plus emblématique de mes collections : un escarpin très fin, à bout ouvert, avec deux couleurs et deux matières. Si on travaille pour un plus grand nombre, il faut avoir ce désir de donner ce que l'on a de mieux. Ça ne nuit à personne. Au contraire, ça permet à des femmes qui ne pourraient pas dépenser 300 à 500 € dans une paire de chaussures de se les offrir à140 €.

Vous dessinez pour Balenciaga, Hermès (chaussures et joaillerie) et les sacs Sebago. Quand vous travaillez pour Hermès, collaborez-vous avec Jean Paul Gaultier ?

On se rencontre au moment de la mise au point des prototypes. On lui présente des dessins et il pose des options sur des modèles mais on n'a pas les mêmes timings. Je suis obligé de démarrer beaucoup plus tôt car les temps de fabrication sont plus longs. S'il a un besoin de matières ou de couleurs spécifiques pour les défilés, on s'adapte.

Quelles sont vos sources d'inspiration ?

Certaines fois, j'ai envie de faire plaisir aux femmes, de leur faciliter la vie avec des chaussures qu'elles vont porter tout le temps, adorer retrouver. D'autres fois, j'ai envie de modèles qu'elles vont mettre peu mais avec lesquels elles vont se sentir au top. À d'autres moments, j'ai envie de les protéger. Je dessine tout le temps, n'importe quand. C'est comme parler, manger, boire ou respirer... N'importe où, ça peut être dans mon lit, chez moi, dans le train, dans l'avion, sur le dos d'une facture...

Pourquoi dessinez-vous des talons ?

Les femmes en talons se sentent fortes, il y a un "truc de domination". Ça oblige une certaine tenue du corps et, paradoxalement, ça les rend plus fragiles parce que ça les met en équilibre sur un truc improbable. Les femmes mettent des talons pour plaire aux hommes et pour se renforcer mais, en se renforçant, elles s'affaiblissent. Cette ambivalence m'intéresse et m'excite.

L'hiver prochain sera-t-il botté ?

Les bottes seront moins cavalières, plus moulantes et plus féminines. Certaines montent au-dessus du genou, très discrètement, juste une jambe en cuir avec un petit talon, pas de motifs,
pas de boucles, rien... La jambe de cuir est gainée d'une jolie couleur.

Avez-vous toujours envie de plate-forme ?

On s'habitue à la plate-forme, ça modifie tellement la silhouette ! Les femmes prennent 14 ou 15 centimètres d'un coup, c'est difficile, après, de redescendre. Évidemment, ça alourdit le pied, mais ça fait des jambes toutes fines. Certes, on ne peut pas plier le pied, mais les femmes sont
prêtes à beaucoup de sacrifices pour changer d'allure, être à la mode et être plus belles. Ça, c'est la force incroyable de la mode.

Quelles sont vos envies ?

Il y a des choses que je n'ai vraiment plus envie de faire, comme des collections trop monolithiques, trop dures, trop agressives. J'ai envie de choses plus féminines et plus contradictoires. J'ai des modèles extrêmement graphiques pour l'hiver prochain mais aussi des chaussures en tutu. Chercher l'éclectisme fait partie de la modernité.



Florence Julienne de Sourdis 



                                                                                            Cet article est paru dans ENJOY n°1 
                                                                                                        
Septembre 2006
Boutique Pierre Hardy
156, galerie de Valois
Jardins du Palais Royal - 75001 Paris
Tél. : 01 42 60 59 75

www.pierrehardy.com