Mode & Beauté


Destins croisés

On l'a longtemps considéré comme le fils de... Cinq ans après avoir pris la direction de HoganEmanuele Della Valle s'est émancipé de son géant de père, et applique à la société qu'il dirige sa propre vision du produit lifestyle par excellence. Et ça marche. L'histoire, ou plutôt les histoires, parce qu'elles sont deux, qui se coupent et s'entrecoupent, doivent être racontées séparément, l'une se plaçant dans la perspective de l'autre, comme dans le scénario d'un bon film à suspense - le seul univers qui passionne EDV plus encore que celui dans lequel il est né. D'un côté il y a Hogan, et toute la saga familiale. De l'autre Emanuele, 31 ans, qui la dirige et siège au conseil d'administration de Tod's.
Parcours croisés

Créée en 1986, Hogan fut la première marque de diversification de Tod's, maison culte créée par Diego Della Valle lorsque ce fils d'un fabricant de chaussures eut l'idée de revisiter le mocassin à picots pour en faire le produit culte que l'on sait. Plusieurs décennies plus tard, DDV règne sur un empire, voyage dans son jet ou son hélico privé, s'évade sur ses yachts et a confié à son fils aîné la direction des deuxième et troisième marques du groupe : Hogan (chaussures) et Fay (textile). Contrairement à une idée assez répandue, ce n'est pas Emanuele qui a créé Hogan, ni pour Emanuele que Diego Della Valle l'a fait. En revanche, il n'est pas exagéré de dire que c'est le fils qui a insufflé à la marque son identité actuelle, et son image. Car à l'inverse de ses arrière grand-père (cordonnier), grand-père (fabricant) et père (industriel successfui), Emanuele n'est pas un technicien de la chaussure : c'est avant tout un créatif. L'une des facettes de son talent propre est d'avoir su mettre en adéquation le capital industriel créé par son père, et son propre acquit en termes de tendance et de communication. Ce qui n'est pas si évident que cela ; l'histoire regorge d'exemples de rejetons soit n'ayant pas su faire fructifier l'héritage de leur père, soit même s'étant révélés incapables ne serait-ce que de le perpétuer.


Le Hogan d'aujourd'hui

Emanuele, lui, s'est servi du Hogan qu'il a trouvé en arrivant pour en faire le Hogan d'aujourd'hui. L'une des marques majeures dans son créneau. La première Hogan, lancée en 86, est une basket inspirée des chaussures de cricket des années 20. Il faudra attendre neuf ans pour voir apparaître la ligne suivante l'Athletic. Puis deux ans encore pour l'nteractive, best-seller de la maison depuis 1997. En 2000 sort le premier sac maison :le "Panamerican" , qui connaît un succès immédiat dans le monde entier. Emanuele rejoint la maison en 2001, au poste de directeur, et participera au développement des lignes Olympia (2004) et Sprint (2006), aujourd'hui les plus représentatives de la griffe. Vingt ans après sa création, Hogan compte aujourd'hui 29 boutiques dans le monde, parmi lesquelles Paris, Milan, Florence, Londres, New-York, Tokyo, Hong Kong... A sa tête, un homme de 31 ans que son père espérait voir devenir avocat.


Une scolarité entre jet-set et terrain

Né à Macerata, dans la région des Marches où sont produites 90 % des chaussures italiennes (Santoni et Cesare Paccioti sont voisins) en 1975, le jeune Emanuele effectue le début de sa scolarité près de chez lui, avant d'intégrer à 14 ans le célèbre Collège suisse du Rosey, établissement hyper-chic et ultra-privé que ne fréquentent que les enfants du gotha industriel et politique international. Son diplôme obtenu, il tente une première année de droit à Milan pour faire plaisir à Papa mais renonce rapidement au barreau pour parcourir le monde, découvrir les cultures et accumuler les expériences. N'imaginez pas une vie vie de fils à papa écumant les boîtes de nuit : si le jeune Della Valle avoue un net penchant pour les bons restaurants, le champagne et les femmes, il semble avoir dès cette époque une idée précise de là où il souhaite que son destin l'emmène, car s'il choisit d'aller faire le vendeur à Hong Kong puis de découvrir la communication à New-York, il choisit ses employeurs avec circonspection: Armani et Vogue notamment. Résultat des courses: à 26 ans, Junior parle quatre langues (dont le Français) et partage sa vie entre Milan et New-York (quoi qu'on le croise aussi beaucoup à Londres et Paris) lorsqu'il intègre Hogan.


Une nouvelle image 

Deux ans à la tête de l'entreprise pour lui insufler une image chic, urbaine et sportive, et 2003 marque son entrée au conseil d'administration de Tod's SPA. Mais cette année est surtout celle de deux aboutissements personnels, avec la création d'un studio de production cinématographique, Lightbulb Pictures, et surtout de son agence de communication et de publicité, qui prend en charge la communication et la publicité de Hogan, Fay... et Tod's. Sur une trajectoire qui lui est propre, EDV se crée son petit empire dans l'orbite de la comète familiale, sans rien renier de sa propre personnalité. Accroche-toi à ton rêve:  passionné de cinéma et rêvant de devenir un jour un réalisateur aussi apprécié que Kubrick, Coppola et Scorcese, ses maîtres à Emanuele concilie avec bonheur les rêves et la réalité. Pour Hogan, il rêve d'une adéquation parfaite avec le mode de vie moderne, d'un véritable lifestyle. Il sait de quel côté regarder et s'inspirer: Tod's, la marque créée de toutes pièces par son père, est aujourd'hui étudiée comme cas d'école à Harvard. Diego lui a construit une légende autour de stars (Audrey Hepburn, Cary Grant) qui avaient disparu lorsque la marque fut créée, et que d'autres stars ont nourri - Sharon Stone, Alain Delon, Caroline de Monaco, Harrison Ford et bien d'autres, ont massivement adopté le célébrissime mocassin à picots. Aujourd'hui Ben Affleck, Jean Réno, Olivier Martinez, Kevin Costner (entre autres) chez les hommes, Charlize Theron, Nicole Kidman, Uma Thurman, Julian Moore (pour ne citer qu'elles) chez les femmes - excusez du peu - s'affichent chaussés de Hogan, et participent à la légende naissante de la marque. Quelle famille !


Un artiste avant tout

Porté par ces multiples succès, Emanuele Della Valle ne prend pas la grosse tête. Partageant sa vie entre avions et palaces, il est devenu le nomade casual chic que sa marque représente si parfaitement. Ambitieux sans doute mais aussi généreux, pudique mais bavard, l'homme s'enflamme lorsqu'il parle de Hogan, sa marque, son bébé, de ses voyages ou du cinéma, pour lequel il nourrit une passion d'artiste.
"L'Artiste"... lorsqu'il lui a donné ce surnom, Diego Della Valle imaginait -il à quel point son fils saurait poursuivre son œuvre à sa manière, et faire briller une seconde marque parmi les étoiles ?...

                                                                                                         
                                                                                                                 

                                                                                                                     Cet article est paru
                                                                                                                     dans Pointure n°8

Octobre 2006