Gastronomie


Sensing : la voie du nouveau bistrot chic parisien

Quoi de neuf sur la rive gauche à Paris ? L'ouverture du nouveau restaurant dirigé par Guy Martin, le chef triplement étoilé du Grand Véfour à Paris. Le "Sensing" remplace "Dominique" rue Bréa, à deux pas de Montparnasse. Aux commandes de ce bistrot chic, le jeune chef talentueux Remi Van Peteghem, qui propose dans un décor résolument contemporain une cuisine sensuelle et un coquine. Snacking, foie gras, cochon fermier, pigeon d'Anjou, boeuf "blonde" d'Aquitaine...
Voilà, c'est fait, Françoise Dépée, l'étoile de la rue Bréa est partie et son restaurant "Dominique" s'est métamorphosé en bistrot chic. On ne goûtera plus le Sevruga iranien tant aimé par Françoise Sagan ni les cêpes marinés appréciés par François Mitterrand, lui qui aimait venir avec Mazarine se frotter à la cuisine russe. À la lisière de Montparnasse, ce restaurant russe atypique - le seul à Paris où aucun orchestre ne venait parasiter la haute tenue des assiettes - vit défiler au lendemain de la révolution bolchévique tout ce qui comptait d'intellectuels, blancs et roses. On y croisait même Schialapine et celui que Vladimir Fédorovski appelle "le Brassens russe", le poète Okoudjava Boluat, qui fut aussi "la voix de la liberté". Seule survivante de l'établissement, la charmante Sophie Jousseaume qui se met en quatre pour recevoir "comme à la maison, aussi simplement." Son complice, Franck Karabogossian, transfuge de chez Hélène Darroze, est aussi un hôte bien accueillant.


Transparence et collection Baccarat

Guy Martin a repris le flambeau et ce chef savoyard dont on apprécie la discrétion et l'élégance, le savoir-faire si précis et un certain goût pour une modernité tranquille n'a pas voulu se dédoubler et se partager entre le Grand Véfour, où il officie toujours, et cette nouvelle cantine. Il a préféré avec intelligence confier les cuisines (entièrement refaites) à Remi Van Peteghem, qui auparavant s'était frotté à deux grands chefs, Christian Le Squer ("Ledoyen") et Jean-Louis Nomicos ("Lasserre") dont il fut le sous-chef pendant deux ans. Il faut ajouter un troisième nom, évidemment : Guy Martin avec qui il travailla en 2001. Ce jeune et mince barbu développe une cuisine de snacking (vraie tendance aujourd'hui) et de bistrot très parisien.
Certains reprocheront aux lieux ses mille feux, cette épate de matières claires et lumineuses, surtout dans la première salle. Mais le décorateur Jérôme Faillant-Dumas, ancien directeur artistique pour les parfums Saint-Laurent a joué sur la transparence avec la création d'un mur enchâssant une collection de flacons extraits du musée Baccarat et un miroir sans teint dans l'entrée permettant à chaque passant dans la rue derrière le verre dépoli, de se transformer en fantôme !


Cromesquis et yuzu

Le salon qui prolonge la première pièce après un petit couloir est plus intime, plus chaleureuse sans doute. Dernière option, monter à l'étage où deux alcôves favorisent les repas d'affaires...
Avant tout, dans "Sensing" il y a sens, sensualité. Et on retrouve cet appétit, cette légèreté et l'empreinte d'une cuisine voluptueuse d'abord dans cette "Assiette de snacking" (à manger avec les doigts), composée d'une guimauve aux herbes et de petits légumes comme ces carottes bicolore, ou d'un cromesquis de foie gras et d'une gelée verte. Mais attention à la coupelle dans laquelle fleurissent plusieurs pousses de yuzu, cet agrume chinois répandu au Japon : n'essayez pas comme moi de découper le socle fait de coton, vous ne pourrez pas le manger ! Soyez plus raisonnable et cueillez quelques feuilles pour avoir ce goût étrange mi acide mi amer dans la bouche. Toujours dans cette version "snackée" (à la new-yorkaise, rappelant le principe des tapas espagnoles), craquez aussi pour le tartare de thon, émulsion de tomates et le chutney de fruits au curry et gambas rôtie.


Thon mi-cuit et jurançon blanc

Après ces amuses bouches, pourquoi ne pas enchaîner avec des entrées comme ce petit maquereau (lisette) posé sur une pâte feuilletée, accompagné d'un tartare de tomates ou le rouget en fine gelée, tartare de tomate. Pour suivre, les plats de résistance. Le thon mi cuit au foie gras et artichaut est merveilleux d'onctuosité et d'équilibre comme le cochon fermier des Côtes d'Armor, rôti en purée, aussi tendre que la chair d'un bébé, et au goût délicat. Un Jurançon blanc et sec, CuvéeMarie, est d'un accord idéal.
Un bon point décerné à Laurent, le maître d'hôtel de 25 ans, qui a quitté la brigade de Christian Le Squer pour mettre tout sa délicatesse au service de la cuisine du chef. Un autre bon point à offrir cette fois au pâtissier Sébastien Teron qui sait clore un repas avec un pamplemousse en supêmes sur sablé citron et glacé ou un chocolat, en ganache noire et tartelette, belle déclinaison chocolatée entre mousse et sablé, d'une densité d'un noir profond. Dernier clin d'oeil à Sophie Jousseaume qui connaît vos goûts et vous apporte un nécessaire à thé en porcelaine pour que vous infusiez vous-même un Yunnan King, un Yin Zhen Ba Hao ou un Wulong premier cru. Quelle élégance !
Octobre 2006
Par Gilles BROCHARD
SENSING
19, rue Bréa, 75006 Paris
Tél : 01 43 27 08 80.
sensing@orange.fr
www.restaurant-sensing.com (site en construction)
Fermé le dimanche.
Snacking : de 5 à 8 €
Entrées : de 16 à 24 €
Poissons : de 24 à 35 €
Viandes : de 29 à 35 €
Fromages (Quatr'homme) : 12 €
Desserts : 10 ou 12 €