Matisse et les tissus
Matisse était fou de tissus. Il en faisait collection et ils ont fortement influencé son style et son oeuvre.
Le Musée Matisse du Cateau-Cambrésis dans le Nord - une région dont l'artiste était originaire, descendant d'une famille de tisserands... organise avec la Royal Academy de Londres et le Metropolitan Museum de New York, où elle sera ensuite présentée, une étonnante exposition sur ce théme, intitulée "Matisse et la couleur des tissus".
Le Musée Matisse du Cateau-Cambrésis dans le Nord - une région dont l'artiste était originaire, descendant d'une famille de tisserands... organise avec la Royal Academy de Londres et le Metropolitan Museum de New York, où elle sera ensuite présentée, une étonnante exposition sur ce théme, intitulée "Matisse et la couleur des tissus".
Les paysans confectionnaient alors chez eux de luxueux tissus pour la haute couture parisienne
Jusqu'au 13 février le Musée Matisse propose de découvrir la passion que cet artiste vouait aux tissus, à travers 80 de ses oeuvres et sa collection d'étoffes.
Petit-fils et arrière-petit-fils de tisserands, l'artiste grandit au milieu des métiers à tisser à Bohain-en-Vermandois (Aisne), à une quinzaine de kilomètres du Cateau, où il est né. Une région où les paysans confectionnaient alors chez eux de luxueux tissus pour la haute couture parisienne et la soierie de Lyon.
Matisse, qui passa donc son enfance parmi les tisseurs du Cateau et de Bohain, a peint toute sa vie des scènes d'intérieurs et des femmes vêtues de robes souvent exotiques, dans des décors exubérants de tissus et de tapis qui furent autant de petits théâtres nécessaires à la composition de ses tableaux.
Les étoffes jouent un rôle essentiel dans son oeuvre
L'exposition présente, pour la première fois, l'extraordinaire collection de tissus (toiles de Jouy, blouses roumaines, tissus arabes et orientaux ...) que Matisse accumula toute sa vie et les peintures, dessins et gravures dans lesquels les étoffes jouent un rôle essentiel pour leurs couleurs, leurs matières et leurs motifs décoratifs.
Selon Dominique Szymusiak, conservatrice en chef du Musée Matisse "Les étoffes se trouvaient depuis 50 ans dans des malles chez les descendants de Matisse. Elles n'avaient jamais été sorties".
"J'avais commencé un petit musée d'échantillons"
Peu après son arrivée à Paris, vers 1895, Matisse, dont on célèbre cette année le 50ème anniversaire de la mort, commence à collectionner les tissus et à constituer sa "bibliothèque" : "Camille [sa première compagne] avait un sens inné des belles étoffes, dont Matisse ne pouvait déjà plus se passer, écrit Hilary Spurling dans le catalogue publié par les éditions Gallimard. Les tissus précieux auxquels il était habitué à Bohain lui manquaient cruellement à Paris; il entreprit donc d'en faire collection - "J'avais commencé un petit musée d'échantillons" dira-t-il - en grappillant des bouts de broderies ou de tapisseries qu'il achetait d'occasion pour quelques sous aux éventaires proches de Notre-Dame".
"Ces tissus /.../ sont comme un volume important dans ma bibliothèque de peintre. "
L'anecdote révélatrice rapportée par Aragon
"En 1906, l'inspiration lui vient des tapis algériens, qui envahissent les toiles peintes cet été-là, relate Hilary Spurling. C'est la première fois, mais non la dernière, que dans ses tableaux des étoffes vont l'aider à modifier les canons traditionnels : volumes, formes et perspective. D'autres tissus interviennent dans ce processus, par exemple une certaine toile de Jouy dont le peintre s'était éprise quelques années auparavant.
D'après une confidence rapportée par Aragon, il se trouvait à l'impériale d'un omnibus au carrefour de Buci, alors repaire de prostituées, de brocanteurs et de fripiers, quand son œil aperçut à la vitrine d'une boutique le morceau de tissu en question.
Il s'agit d'une toile de coton bleu pâle, sur laquelle est imprimé un motif stylisé en bleu représentant des arabesques de feuillage et des paniers de fleurs. Elle fait une apparition timide, rien d'autre qu'une tenture de convention, dans certains tableaux comme le portrait de "Pierre étreignant son cheval Bidouille", qui date de l'année suivante. Elle revient en toile de fond dans une série de natures dites "mortes" d'une vitalité inattendue."
Il transforme son atelier en petit théâtre
Matisse part au Maroc le 30 janvier 1912. Depuis de nombreuses années, il a développé un goût très fort pour l'art islamique. En 1910, il s'était rendu, en compagnie d'Albert Marquet, à Munich, où il visite longuement la première exposition internationale d'art musulman qui rassemble 3.500 pièces, en particulier des tapis et des étoffes. Il visite le sud de l'Espagne, fasciné par l'art décoratif Andalou. Il n'aura de cesse de chercher l'accord entre ses attentes de peintre occidental porté par Cézanne et "la révélation de l'Orient" qui nourrit et ouvre son champ d'exploration artistique.
Tentures d'Afrique du Nord, tissus océaniens, kubas du Congo, blouses romaines, robes de haute couture... l'artiste achète au gré de ses voyages et de ses coups de coeur.
A partir de 1918, quand Matisse s'installe à Nice, il transforme son atelier en petit théâtre pour y peindre de frivoles odalisques, habillées de robes et turbans arabes, avec des ceintures de soie et des pantalons légers, qui posaient sur des divans, tapis ou coussins devant des paravents drapés de tissus, comme pour un décor de scène (Le Paravent mauresque, Museum of Art, Philadelphie, Odalisque au Paravent, Statens Museum for Kunst, Copenhague). Il possédait des malles entières de tissus exotiques et de robes. Son atelier niçois, puis sa villa de Vence regorgaient de ces étoffes, dans lesquelles il puisait pour composer ses oeuvres.
Le secret de Matisse
Le charme de cette exposition, comme du somptueux catalogue qu'y consacre les éditions Gallimard tient au fait que l'on peut saisir le secret de Matisse tel que l'a défini son ami, le subtil Aragon, dans le "roman d'Art" où il le met en scène : "Le plus mystérieux en lui, c'est peut-être qu'il comprenne comme pas un le passage de l'étoffe à la chair, le croisement de ces choses qui glissent dans l'habillement des femmes, et de la femme elle-même, bretelles de chemises, rubans, et comment tout cela tourne aux reins, près de l'aisselle, à l'attache du sein. Mille secrets de comportement qui ne sont pas dans les dictionnaires." (Aragon, "Henri Matisse, Roman", tome 1, p.68)
C'est dans cette même oeuvre, d'ailleurs, que l'on trouve cette belle formule de Matisse sur le luxe, que tout véritable artiste peut adopter :
"Mon luxe ? N'est-il pas communicable car c'est un bien au-dessus de l'argent à la portée de tous."
Jusqu'au 13 février le Musée Matisse propose de découvrir la passion que cet artiste vouait aux tissus, à travers 80 de ses oeuvres et sa collection d'étoffes.
Petit-fils et arrière-petit-fils de tisserands, l'artiste grandit au milieu des métiers à tisser à Bohain-en-Vermandois (Aisne), à une quinzaine de kilomètres du Cateau, où il est né. Une région où les paysans confectionnaient alors chez eux de luxueux tissus pour la haute couture parisienne et la soierie de Lyon.
Matisse, qui passa donc son enfance parmi les tisseurs du Cateau et de Bohain, a peint toute sa vie des scènes d'intérieurs et des femmes vêtues de robes souvent exotiques, dans des décors exubérants de tissus et de tapis qui furent autant de petits théâtres nécessaires à la composition de ses tableaux.
Les étoffes jouent un rôle essentiel dans son oeuvre
L'exposition présente, pour la première fois, l'extraordinaire collection de tissus (toiles de Jouy, blouses roumaines, tissus arabes et orientaux ...) que Matisse accumula toute sa vie et les peintures, dessins et gravures dans lesquels les étoffes jouent un rôle essentiel pour leurs couleurs, leurs matières et leurs motifs décoratifs.
Selon Dominique Szymusiak, conservatrice en chef du Musée Matisse "Les étoffes se trouvaient depuis 50 ans dans des malles chez les descendants de Matisse. Elles n'avaient jamais été sorties".
"J'avais commencé un petit musée d'échantillons"
Peu après son arrivée à Paris, vers 1895, Matisse, dont on célèbre cette année le 50ème anniversaire de la mort, commence à collectionner les tissus et à constituer sa "bibliothèque" : "Camille [sa première compagne] avait un sens inné des belles étoffes, dont Matisse ne pouvait déjà plus se passer, écrit Hilary Spurling dans le catalogue publié par les éditions Gallimard. Les tissus précieux auxquels il était habitué à Bohain lui manquaient cruellement à Paris; il entreprit donc d'en faire collection - "J'avais commencé un petit musée d'échantillons" dira-t-il - en grappillant des bouts de broderies ou de tapisseries qu'il achetait d'occasion pour quelques sous aux éventaires proches de Notre-Dame".
"Ces tissus /.../ sont comme un volume important dans ma bibliothèque de peintre. "
L'anecdote révélatrice rapportée par Aragon
"En 1906, l'inspiration lui vient des tapis algériens, qui envahissent les toiles peintes cet été-là, relate Hilary Spurling. C'est la première fois, mais non la dernière, que dans ses tableaux des étoffes vont l'aider à modifier les canons traditionnels : volumes, formes et perspective. D'autres tissus interviennent dans ce processus, par exemple une certaine toile de Jouy dont le peintre s'était éprise quelques années auparavant.
D'après une confidence rapportée par Aragon, il se trouvait à l'impériale d'un omnibus au carrefour de Buci, alors repaire de prostituées, de brocanteurs et de fripiers, quand son œil aperçut à la vitrine d'une boutique le morceau de tissu en question.
Il s'agit d'une toile de coton bleu pâle, sur laquelle est imprimé un motif stylisé en bleu représentant des arabesques de feuillage et des paniers de fleurs. Elle fait une apparition timide, rien d'autre qu'une tenture de convention, dans certains tableaux comme le portrait de "Pierre étreignant son cheval Bidouille", qui date de l'année suivante. Elle revient en toile de fond dans une série de natures dites "mortes" d'une vitalité inattendue."
Il transforme son atelier en petit théâtre
Matisse part au Maroc le 30 janvier 1912. Depuis de nombreuses années, il a développé un goût très fort pour l'art islamique. En 1910, il s'était rendu, en compagnie d'Albert Marquet, à Munich, où il visite longuement la première exposition internationale d'art musulman qui rassemble 3.500 pièces, en particulier des tapis et des étoffes. Il visite le sud de l'Espagne, fasciné par l'art décoratif Andalou. Il n'aura de cesse de chercher l'accord entre ses attentes de peintre occidental porté par Cézanne et "la révélation de l'Orient" qui nourrit et ouvre son champ d'exploration artistique.
Tentures d'Afrique du Nord, tissus océaniens, kubas du Congo, blouses romaines, robes de haute couture... l'artiste achète au gré de ses voyages et de ses coups de coeur.
A partir de 1918, quand Matisse s'installe à Nice, il transforme son atelier en petit théâtre pour y peindre de frivoles odalisques, habillées de robes et turbans arabes, avec des ceintures de soie et des pantalons légers, qui posaient sur des divans, tapis ou coussins devant des paravents drapés de tissus, comme pour un décor de scène (Le Paravent mauresque, Museum of Art, Philadelphie, Odalisque au Paravent, Statens Museum for Kunst, Copenhague). Il possédait des malles entières de tissus exotiques et de robes. Son atelier niçois, puis sa villa de Vence regorgaient de ces étoffes, dans lesquelles il puisait pour composer ses oeuvres.
Le secret de Matisse
Le charme de cette exposition, comme du somptueux catalogue qu'y consacre les éditions Gallimard tient au fait que l'on peut saisir le secret de Matisse tel que l'a défini son ami, le subtil Aragon, dans le "roman d'Art" où il le met en scène : "Le plus mystérieux en lui, c'est peut-être qu'il comprenne comme pas un le passage de l'étoffe à la chair, le croisement de ces choses qui glissent dans l'habillement des femmes, et de la femme elle-même, bretelles de chemises, rubans, et comment tout cela tourne aux reins, près de l'aisselle, à l'attache du sein. Mille secrets de comportement qui ne sont pas dans les dictionnaires." (Aragon, "Henri Matisse, Roman", tome 1, p.68)
C'est dans cette même oeuvre, d'ailleurs, que l'on trouve cette belle formule de Matisse sur le luxe, que tout véritable artiste peut adopter :
"Mon luxe ? N'est-il pas communicable car c'est un bien au-dessus de l'argent à la portée de tous."
Novembre 2004
Par Yves CALMEJANE