Les Vins Lucien Le Moine à Beaune, en Bourgogne
Pourquoi avais-je fait ce jour-là une entorse à mon règlement, je ne saurais dire. C'est ce que je me disais en humant le premier vin proposé. Il sentait bon, la bouche était franche et délicate, le suivant aussi, ainsi que toute la série...
Comme un magicien...
L'homme était charmant, à l'écoute, guère péremptoire. Chacun des vins racontaient une histoire, loin de toute standardisation, sans la présence de l'incontournable couverture de chêne neuf. Les vins intriguaient, et l'homme aussi, avec son histoire mêlant Liban natal et six ans en Israël dans un couvent cistercien où déjà il s'occupait du vin... A cela s'ajoute des études d'oenologie à Montpellier, suivies de quelques années passées dans un négoce bourguignon, avant de créer avec la complicité de sa femme le leur, en 1999.
Je reconnais que dans mon esprit, l'image du négociant-éleveur était quelque peu ternie. Obnubilé que nous sommes par la personnalité du vigneron, et le désir non exprimé qu'il nous mette en contact direct avec cette fameuse nature parfois approchée souvent fantasmée. Alors un négociant-éleveur ! Un tricheur, forcément un tricheur. Ce soir-là le tricheur m'apparut plus comme un magicien faisant jaillir à l'aide de sa baguette des vins à la pureté cristalline. Tel saint-Thomas, il me fallait voir et saisir la première opportunité de lui rendre visite à Beaune. Ce fut le mardi 26 octobre dernier.
La ligne de partage des climats
Etait-ce un premier signe? Alors que Mounir m'avait prévenu que son chais n'était pas facile à trouver et qu'il était préférable de téléphoner avant, nous constatâmes que mon hôtel, choisi au hasard, n'en était situé qu'à une centaine de mètres!
Avant la dégustation, il insista pour me faire visiter le vignoble. Ce n'était pas ma première fois, mais jamais avec un tel passionné. J'en garde un souvenir ému, comme lorsqu'il arrêta la voiture à l'endroit où Clos de Vougeot, Musigny et Grands-Echezeaux se jaugent, à la fois si proches et néanmoins si différents.
Pour Mounir, la ligne de partage des climats est celle, naturelle, créée par le ruissellement des petites sources ayant creusé le rocher depuis des millénaires. Comme dans le désert et ses oasis fécondes, l'eau, source de vie, délimite les parcelles, transporte les sels minéraux et nourrit la sève de la vigne. A la fois poétique et tellement vrai pour celui qui saura ouvrir les yeux devant de tels paysages.
Mounir, le contemplatif, les aura ouverts et se sera fixé le but de restituer du mieux possible, les subtilités de ces irremplaçables climats délimités par l'homme. Encore fallait-il qu'il puisse accéder aux meilleurs raisins de ses amis vignerons.
Jovial, passionné et obstiné
Mais l'homme jovial, et passionné est obstiné. En 1999, il récupéra 33 pièces sur 19 crus. Puis ce sera 70 pièces sur 33 crus en 2002, avec comme objectif maximum d'atteindre 100 pièces. Il fait fabriquer ses fûts avec ses propes douelles afin d'être sûr de leur qualité et il réalise des élevages sur lies sans soutirage pour ne pas fatiguer les vins et enfin il effectue la mise en bouteilles par gravité en utilisant l'azote pour éviter là-aussi tous risques d'oxydation.
Place à la ...
Dégustation:
- Bourgogne 2003 : Elaboré sur Fixin et Marsannay. Beau nez expressif sur la cerise noire, soyeux, séveux, du grain.
- Volnay Les Caillerets 2003 : Nez de quetsches, prunes cuites, noyau, violette, bouche soyeuse, velouté.
- Pommard Les Epenots 2003 : Nez plus puissant que le précédent, viande, cuisson, griottes cuites, à la fois des tanins et une bonne fraîcheur acidulée. Vin de garde.
- Corton-Bressandes 2003 : Nez terreux, notes fumées(Il Cortonne), giboyeux, amande de fruit sur fond de cannelle.
- Morey-St-Denis Clos des Orrnes 2003 : Tout en subtilités, doux et tendre.
- Nuits-St-Georges Les Vaucrains 2003 : On retrouve la roche de Nuits, nez de pierre, poivre noir avec pour le rendre plus aimable un fond fruité fraise des bois, mûre.
- Lavaux-St-Jacques 2003 : On retrouve les arômes de cuisson, cuir, moka, finale toastée et grillée sur la cerise noire.
- Chambolle-Charmes 2003 : Nez floral, rosé épanouie, fruits très mûrs, presque figues, à la fois compact et ample, impressionnant!
- Vosne-Romanée 1er cru Les Suchots 2003 : Sombre, noir, encre, puissant et viril, finit sur le fûrné. Ce vin a connu le feu.
- Chambolle-Les Amoureuses 2003 : On ne peut qu'être qu'amoureux avec ces fragrances safranées, sa délicatesse romantique, ses notes florales sur fond de fruits secs goûtant la myrtille et le cassis et sa finale longue et soyeuse.
- Charmes-Chambertin 2003 : Sous-Bois au soleil, croûtes de pain, zestes d'oranges douces, crêpes suzettes. Finale toastée à l'onctuosité de la crème de café au beurre. Il y a décidément de la pâtisserie dans ce vin!
- Clos-St-Denis 2003 : On retrouve le côté pâtisserie avec une saveur un peu à l'aigre-doux tendant vers le balsamique. Très épicé. A essayer sur un canard laqué.
- Clos de la Roche 2003 : Nez sur la terre et la pierre (rouge pour ce clos), terre glaise, fraîcheur mentholée, verveine, romarin, tilleul, le tout sur un fond de petits fruits rouges. Forte personnalité.
- Echezeaux 2003 : Fraîcheur minérale, opulent, fruits mûrs, assez dense, belle montée en bouche avec une finale restant virile du fait de sa puissance en tanins.
- Bonnes Mares 2003 : Nez très délicat, vin au bel équilibre à la fois complexe et simple en même temps, beaucoup de classe.
- Chambertin Clos de Bèze (dit Le Moine) Odeur de cave fraîche, lichen, mousses séchées, beaucoup de finesse et d'élégance avec une persistance incroyable.
- Bourgogne blanc 2003( Monthélie, Meursault, Mercurey) Du gras, de la rondeur, gourmand.
- Pernand-Vergelesses Sous Frétille : Arômes surprenants de sauvignon tout en restant gras, avec une finale fraîche.
- Saint-Aubin 1er cru en Rémilly 2003 : (Situé au dessus du Montrachet) Le nez semble marqué par la présence voisine de la forêt avec ses notes de genêts sur fond de minéralité saline, bouche ronde avec une finale toute en douceur sur le beurre vanillé.
- Meursault-Genevrières 2003 : Très floral, fleurs blanches, chèvrefeuille, acacia, eucalyptus. Bouche sur la fraîcheur citronnée, très élégant.
- Meursault-Perrières 2003 : Ce cru proche de Puligny possède des arômes de pêche abricotée, de pomme verte, de sorbet mangue, le tout sur une trame minérale.
- Puligny-Folatières 2003 : Un cru situé dans la continuité du Montrachet. Texture très fruitée avec le grain de la poire, de l'abricot, de la pèche sanguine, du noyau. possède un style proche d'un bon Condrieu.
- Corton Charlemagne 2003 : Minéral, poire, farandole de fruits secs, noisette, confiture de fruits à chair blanche, zestzs de citron, clémentines, finale sur le toasté, le grillé. Impressionnant!
- Batard-Montrachet 2002 : 25 mois de fermentation. Style grand liquoreux devenu sec, délicatesse, onctuosité, fleurs d'oranger, encens, suie, larmes de cèdre comme s'extasie Mounir. Une curiosité.
Chapeau bas pour ces artistes
Je n'avais pas connu tel voyage en Bourgogne depuis, bien sûr, la dégustation des vins de la Romanée-Conti 2001 et, souvenir plus lointain, une mémorable dégustation par l'équipe au grand complet des vins du Domaine Leroy millésime 1995.
C'est dire si j'ai été séduit et convaincu par l'excellence du travail de Rotem (malheureusement malade ce jour-là) et Mounir. Ce qui m'a le plus impressionné c'est le respect quasi religieux qu'ils portent aux crus que quelques vignerons bien inspirés ont accepté de leur vendre.
Il se murmure que certains d'entre eux viennent discrètement les déguster et restent bouche bée devant la fraîcheur et l'élégance qu'ils ont conservées après le délicat élevage de nos deux éleveurs. Alors, si ce terme est synonyme d'élévation, nous ne pouvons que nous incliner ces rédempteurs d'une profession souvent justement décriée et nous réjouir de savoir que la pérennité de nos climats bourguignons est assurée par nos deux "Sourciers".
Chapeau bas pour ces artistes.