Florence est une diva
Dis-moi où tu habites, comment tu habites et je te dirai qui tu es. Cet adage se vérifie à Florence, principal vivier des artistes à la fois architectes, peintres et sculpteurs. Ils s’appelaient Giotto, Michel-Ange, Bernin… La Toscane a même vu naître un navigateur, qui longea les côtes du Nouveau Monde. On a utilisé son prénom pour baptiser les deux Amériques. Il s’appelait Amerigo Vespucci.
Bill Viola au Palazzo Strozzi
Et c’est un américain, le vidéaste Bill Viola, qui a le vent en poupe dans la ville de la Renaissance en ce Printemps 2017. Il a grandi dans le Queens à New York, ne voyant l'art que dans les musées, pas dans les rues, ni dans les églises. Arrivé à Florence au milieu des années 70, il passa deux ans au sein d'un groupe artistique d'avant-garde. La compagne de Viola, Kira Perov, co-commissaire de l'exposition, explique : "Bill a toujours été très intéressé par ce qu'il y avait à voir à Florence mais il n'a commencé à s'en inspirer consciemment que des années plus tard, face à la mort".43 ans plus tard, le voici de retour… au Palazzo Strozzi. Sous la houlette du directeur, Arturo Galansino, une exposition "Electronic Renaissance" est ouverte au public jusqu’au 23 juillet 2017. Ce pionnier de l'art vidéo explore les liens entre ses oeuvres et des tableaux achevés il y a 400-600 ans.
Ses installations sont présentées avec les chefs-d’oeuvres qui les ont inspirées. "The Greeting" (La Salutation), d’après la "Visitation" de Pontormo (1528-1529), montre la jeune Marie saluant sa vieille cousine Elisabeth, alors que la première est enceinte de Jésus et la seconde de Jean-Baptiste. Dans la version vidéo de Viola, deux femmes tout sourire se saluent au ralenti, comme si elles se croisaient par hasard dans la rue. L'exposition juxtapose aussi une fresque du Florentin Paolo Uccello représentant le déluge biblique avec une installation vidéo spectaculaire de 2002 de Viola "The Deluge (Going forth by day)". Une forme d’éternité règne sur ces images. Une façon de montrer combien le passé est moderne.
Le James Bond 007 de l'art
Ce même sentiment, je l’ai éprouvé dans la confortable demeure au bord de l’Arno de Rodolfo Siviero surnommé "James Bond 007 de l’art". Historien de l’art et officier de renseignement italien passé au service des forces alliées, il récupéra le patrimoine artistique italien devenu butin de guerre des ennemis et des alliés. Dans la bibliothèque, Siviero cachait des statues, peintures soustraites par la Kunstschutz allemande à la Galerie des Offices et aux autres galeries d’art florentines. A sa disparition en 1983, il légua sa maison à la région Toscane. Le rez-de-chaussée devint musée. On y sent une sorte de sereine sagesse. Un manuscrit encore posé sur la table, des statues en bois polychrome remontant au Quattrocento, des peintures à fond d'or, des bronzes, des reliquaires, une pipe, tout nous rappelle la présence d’un homme. Avec l’heureux recueillement que l’on éprouve loin des divertissements carnavalesques de la vie.
Villa La Pietra
Ce mot "recueillement" revient sur les lèvres à la Villa Pietra. Cette propriété du XVe siècle fut léguée en 1994 par son propriétaire, Sir Harold Acton, à l’Université de New York. Elle accueille 350 jeunes gens par semestre pour étudier au milieu de collections artistiques uniques. Le mécène américain avait choisi de vivre dans un monde qui paraît bel et bien assourdi et distant de Florence. Dans le jardin règne un silence profond et Florence, soudain, n’a plus le rôle star. La vie dans la demeure de Sir Harold Acton ressemblait à un théâtre.
Le charme de la Villa tient sans doute à cette rencontre perpétuelle du passé et du présent que seule a permis sans doute sa ferveur d’amoureux des arts. Un amour que Mrs Acton, fille de banquiers de Chicago, ne partageait pas. "Elle détestait ces Madones !"
Le cimetière des Anglais
Si l’on veut retrouver une autre Florence, sévère, religieuse, nimbée de mystère, il faut se rendre au cimetière des anglais. Destiné à recevoir les dépouilles des protestants de Florence, il remonte à 1827 et se présente comme une butte ovale entourée de grilles qui surplombe la piazza Donatello. On y circule au milieu de dalles blanches, de grilles rouillées, de buissons de romarin, de lavandes et de myrtes. Le squelette décharné de la mort traîne sa faux sous un ciel éternel. Je m’assois sur un banc et je vois des croix, des bas-reliefs gravés de phrases évangéliques. On croit tourner le dos à l’Histoire et l’Histoire est encore devant soi.
La mosaïque Florentine
Cet ancien couvent fut manufacture d’art pendant trois siècles, spécialisée dans le travail des pierres dures. Il fut fondé en 1588. On y pratiquait la technique de la mosaïque, peinture en pierre qui utilise les couleurs naturelles des pierres taillées en section. Elles sont assemblées pour former un tableau. C’est aujourd’hui un musée. Dans les ateliers, les restaurateurs sont les dignes héritiers des artisans florentins de la Renaissance.
Abbaye de San Miniato Al Monte
Florence a deux atouts en apparence contradictoires : elle est cosmopolite et provinciale. Elle offre une ouverture culturelle et sociale sur le monde mais aussi le calme, l’enchantement d’une vie sereine ; Avant que le crépuscule ne s’empare de la ville, je gagne par une série d’escaliers et de terrasses, la "Porte du Paradis" de San Miniato al Monte, un monastère fondé en 1013. Une porte d’espérance ouverte depuis plus de 1 000 ans sur le ciel de Florence. Mes lunettes de soleil agissent comme un filtre de pure illusion. Sur la ville en bas, les pierres deviennent roses, l’eau de l’Arno vert jade et dans le ciel immense, le soleil finit sa course dans un délire en technicolor.
Michèle Lasseur
Mai 2017