Montres & Joaillerie


Reverso : Chronologie d'une montre de légende

Pour se maintenir à son rang de mythe vivant de l'horlogerie, la Reverso doit sans cesse se renouveler, sans jamais perdre son âme.
Reverso : "je me tourne", en latin

Rares sont les marques qui peuvent se vanter d'avoir donné naissance à un modèle mythique, dont la notoriété mondiale survole les générations. Citons le constructeur automobile Porsche, avec la 911, ou Chanel et l'inégalable N°5. La manufacture horlogère Jaeger LeCoultre fait partie de ce clan, avec la Reverso.
Créée en 1931, cette montre est aujourd'hui encore le symbole vivant de la période Art déco. Le génial mécanisme de retournement de son boîtier a été inventé pour protéger la montre durant les matchs de polo. L'histoire de sa création est ainsi racontée dans les archives de la marque : remontons au temps des colonies britanniques en Inde, où les officiers s'adonnaient à leur sport favori, le polo. Un jour, l'un des joueurs rencontra César de Trey, un homme d'affaires proche de la manufacture. Il lui tendit sa montre, brisée par un choc durant un match, et lui demanda si on pouvait faire quelque chose pour protéger le verre, alors très fragile, des montres-bracelets.
Cette anecdote allait donner naissance à une légende. De retour en Europe, de Trey fit part de la suggestion à Jacques-David LeCoultre. Cet entrepreneur des grands défis voulut faire plus qu'une simple montre à couvercle. Il fallait chercher une autre source d'inspiration. L'ingénieur parisien René-Alfred Chauvot fut mandaté par LeCoultre et Jaeger pour développer une montre dont le boîtier pivoterait sur lui-même à 180 degrés, pour tourner le dos aux chocs et protéger son cadran. Son nom s'imposa. Reverso - "je me tourne", en latin.
Avec ses formes pures, géométriques, elle fit très vite de nombreux adeptes. Non seulement parce qu'elle reflétait l'esprit et le style Art déco, mais aussi parce que son verso pouvait être personnalisé par une gravure, qui rendait chaque montre unique.

La prééminence d'un modèle phare

Le revers(o) de la médaille tint à ce succès lui-même. La Reverso finit avec les années par vampiriser les autres créations de la manufacture, dont le catalogue allait peu à peu devenir un pâle reflet de cette monoculture d'entreprise. Les innombrables prouesses techniques réalisées par les ingénieurs de Jaeger LeCoultre au cours du XXe siècle allaient s'effacer aux yeux du grand public devant la prééminence de ce modèle phare. La manufacture se diversifia à partir des années soixante dans la construction de mécanismes et de mouvements pour d'autres grandes marques horlogères.
Le réveil sonna en 1986, quand fut prise la décision de revenir aux sources, pour retrouver la personnalité de la marque, vouée à la prouesse technologique. Symbole de ce savoir-faire, la pendule Atmos, qui tire son énergie des variations de température. Un principe d'une stupéfiante simplicité : dans une capsule hermétique se trouve un mélange gazeux qui se dilate quand la température augmente et se contracte quand elle baisse. La capsule se déforme comme le soufflet d'un accordéon et remonte, en permanence, le mouvement d'horlogerie ! Fleuron d'une technologie unique, la pendule Atmos est traditionnellement offerte à ses hôtes de marque par le gouvernement suisse.
Quand, en 2000, le groupe Richemont (Cartier, Vacheron Constantin, Piaget...) racheta Jaeger LeCoultre, l'une des priorités fut de lui redonner son rang de référence de l'horlogerie classique. En commençant par renouveler la gamme Reverso. "C'est une chance incroyable de posséder dans son catalogue l'une des seules icônes du monde horloger, s'enthousiasme Jérôme Lambert, 35 ans, directeur-général de la manufacture. La Reverso, qui vit en trois dimensions, porte notre marque. Elle est notre meilleur ambassadeur à travers le monde". Discrets par nature, les dirigeants de la manufacture ne s'étendent pas sur leurs résultats financiers. Tout juste apprendrons-nous que Jaeger LeCoultre réalise en un mois ce qui était, en 1987, le produit d'une année entière...

L'élan créateur retrouvé

Le grand défi des années quatre-vingt-dix a donc été de renouveler la Reverso sans la dénaturer. C'est ainsi qu'apparurent en 1991 les premiers modèles dotés de complications (tourbillon, répétition minute, fuseaux horaires multiples, quantièmes perpétuels...). Citons aussi, en 1994, la Duoface, dont les deux cadrans dos-à-dos donnent chacun l'heure avec une esthétique différente. Une prouesse, puisque le mécanisme doit entraîner sur chaque face des aiguilles tournant en sens opposé. Depuis 2001, les nouveautés s'enchaînent, à l'image de la ligne Grande Reverso, qui s'adapte à la perfection aux canons actuels de la montre masculine de grand diamètre. Remarquable est la Septantième, qui abrite une réserve de marche de 8 jours avec double barillet.
Installée depuis 1833 à 1 000 mètres d'altitude en vallée de Joux, dans les bâtiments qui hébergeaient le modeste atelier de son fondateur, Antoine LeCoultre, et qui accueillent aujourd'hui plus de 200 horlogers, la manufacture semble avoir retrouvé son élan créateur. Des ateliers Jaeger LeCoultre sortent chaque année 45 000 montres dont environ une moitié de Reverso. Conscients de la fragilité que représenterait le développement d'une gamme ne reposant que sur des montres rectangulaires, ses dirigeants ont entrepris de puiser dans le passé de la marque pour renforcer leur offre en montres rondes. La sublime Master Compressor, dans ses multiples variantes, représente ainsi à n'en pas douter un sommet de l'horlogerie mondiale. Et la série limitée Master Antoine LeCoultre a obtenu le Grand prix d'Horlogerie de Genève en 2003. Mais ceci est une autre histoire.


Cet article est paru dans
Demeures & Châteaux
www.demeuresetchateaux.fr
Mai 2005
Par Laurent CAILLAUD
Entretien avec Janek Deleskiewicz Directeur artistique de Jaeger LeCoultre depuis 1986

"Nous sommes les héritiers de l'esprit Art déco"

Demeures & Châteaux : Comment un designer peut-il faire évoluer un tel dessin, dont les cotes semblent figées depuis 1931 ?

Janek Deleskiewicz : Le rétro pour le rétro n'est pas intéressant. Ici, nous sommes face à un défi constant. J'ai longtemps travaillé sur la Reverso avant de m'apercevoir qu'elle avait été conçue selon la règle du nombre d'or, que connaissent bien tous les étudiants en architecture. Impossible de quitter ce principe. Nous avons donc d'abord concentré nos efforts sur le graphisme et la calligraphie en gardant quelques principes, comme l'interdiction d'utiliser des chiffres Romains ou l'usage des aiguilles bleues. La vraie révolution fut, en 1991, l'arrivée des complications. Nous nous sommes d'ailleurs promis d'apporter une nouvelle complication tous les deux ans.

Parmi les versions récentes, quelle est celle qui vous semble la plus réussie ?

"A part les séries limitées, très sophistiquées, probablement la Gran'Sport, qui est la seule Reverso étanche à 5 atmosphères. Elle fut très difficile à concevoir, car un joint se doit d'être rond, alors que son boîtier est rectangulaire. Nous avons dessiné une boîte galbée, avec des joints arrondis dans les angles. Cette montre a eu beaucoup de succès lorsque nous l'avons proposée avec un bracelet caoutchouc. Nous avons d'ailleurs créé pour ce modèle un nouveau fermoir particulièrement solide, fait de 52 pièces. Un système qui a été repris, depuis, par d'autres marques".

La mode a fait considérablement grandir la taille des montres depuis quelques années. Vous surfez sur ce créneau avec la Grande Reverso...

"Attention, il n'est pour moi pas question de mettre un mouvement de taille normale dans une grande boîte, en perdant de l'espace. Cette nouvelle génération de Reverso abrite un calibre à double barillet, qui lui offre une réserve de marche de 8 jours. On conserve ainsi, avec cette montre, l'esprit-même de l'Art déco. C'est-à-dire une rationalisation des formes doublée d'une recherche de confort et d'ergonomie".

http://www.jaeger-lecoultre.com