Inde : Continent Volte-face
Qu'elle fascine, intrigue ou choque parfois le visiteur, l'Inde est un continent complexe où se télescope tout et son contraire. Selon l'écrivain et grand voyageur Mark Twain "c'est l'unique contrée au monde que tout homme souhaite voir et, l'ayant vue une fois, ne serait-ce qu'entraperçue, il n'échangerait cette fugitive vision contre toutes les merveilles du Globe réunies ». Namaskar (salut sacré) au pays des extrêmes.
Un kaléidoscope
Le vol jusqu'au continent mystérieux est à lui seul un sas d'immersion qui prépare le voyageur à cette nouvelle rencontre. Et quand on pose le pied à terre, l'Inde fait voler en éclats nos certitudes, déshabille nos repères pour nous vêtir de sa réalité nue et crue. Une réalité où les paradoxes et les extrêmes sont liés. Dans ce kaléidoscope humain et géographique, des plages idylliques se perdent en écho dans les plus hautes montagnes du monde, les palais côtoient les bidonvilles, la main crasseuse d'un enfant mendiant vous gifle sa misère au carrefour de Delhi, le portable dernier cri de la diaspora hindoue résonne près d'un infirme rampant, un sari éclatant ondule au milieu de vaches efflanquées. Et pourtant tout a sa place et son sens. De cet écheveau éclectique, l'Inde tisse une formidable unité et se déhanche doucement entre archaïsme et modernité. Si elle dérange, c'est parce qu'elle est le miroir de l'humanité dans ce qu'elle a de plus beau, de plus laid, de plus vil et de plus sacré. Ici, pas de triche. Tout EST et chacun participe comme il peut à cet immense puzzle de 1 milliard d'habitants.
Delhi, ruche humaine
L'arrivée à Delhi, capitale du continent déconnecte d'emblée de tout "branchement" connu. Dans cette ruche humaine de 12 millions d'habitants, voitures, motos, touk-touk et bus brinquebalants slaloment entre vaches, singes et piétons en klaxonnant incessamment. Sans bruit, on ne passe pas. Mieux vaut cibler les quartiers à visiter, prendre quelques jours, négocier un transport et se laisser guider pour pénétrer dans le cour et l'âme de l'ancienne cité des Moghols et dénicher ses quelque 1000 bâtiments ou monuments : au fond des ruelles, dans les arrière-cours des maisons, au milieu des parcs. La ville offre deux visages : New Delhi, la nouvelle, avec ses designers, ses créateurs de mode et ses élégantes architectures anglo-indiennes ; Old Delhi (à visiter en rickshaw, bicyclette taxi) avec ses marchés grouillants et ses sites historiques, vestiges de son passé historique, temps du règne du puissant empereur moghol Shah Jahan. Ne ratez pas la mosquée Jama Masjid, la plus grande de l'Inde, monument édifié par l'empereur à la gloire du pouvoir islamique. Pour cette promenade dans Old Delhi, évitez le vendredi car la mosquée est envahie par les fidèles. Fixez le prix de la course avant et payez une fois à destination. Le chauffeur vous attendra pendant les visites. À l'est et au nord de Delhi, le dargah (tombeau) de Nizam ud-Din Chisti et le mausolée de l'empereur Humayun basculent le curieux dans un autre temps. Choisissez plutôt la fin de l'après-midi quand le soleil exacerbe le grès rouge et le marbre. À quelques kilomètres se dressent les cinq étages du Qutb Minar, qui servait de minaret à la mosquée adjacente. À droite de la tour, le portail Alai Darwaza a conservé de superbes panneaux sculptés de bas-reliefs.
Éloge de la paresse
Il faut environ quatre heures de Delhi en train pour remonter vers le Nord en direction des contreforts de l'Himalaya. Il est 6 heures du matin et déjà une effervescence fébrile anime la gare comme un jour de grand départ en vacances scolaires ! Le soleil se lève à peine sur Delhi et vêtit d'ombres jaunes des silhouettes fantomatiques qui s'agitent dans les rues. Vaches, babouins se disputent les quais au milieu d'une foule bigarrée totalement détachée du spectacle. Prendre le train relève de l'expérience pittoresque et suppose un certain sens de l'orientation mais reste cependant inoubliable ! Distribution de journaux, thé, friandises, repas ne cessent de défiler pendant que la musique indienne berce tout son monde. C'est au nord-est de l'Inde, frôlant la Chine et le Népal que l'Ananda (en sanskrit "Santé et Contentement") a bâti son nid. Telle une aire de rapace, l'ancien palais du Maharadja de Theri-Garhwal (1895) dresse sa grâce altière au-dessus de la vallée du Gange. D'ailleurs les aigles royaux survolent régulièrement le site comme s'ils surveillaient leur résidence princière. C'est dans les 50 hectares de forêts et de jardins que l'hôtel et son spa se cachent pour célébrer l'éloge de la paresse. La décoration évoque l'Inde royale : étoffes de soie, mobilier d'époque, objets d'art. Dans une des ailes du palais, une bibliothèque rassemble des livres et des manuscrits anciens. Une table de billard indienne, une salle de bridge et un salon de thé témoignent de la splendeur de l'époque du Raj. Classé premier au monde par le magazine Conde Nast Traveller, le spa de l'Ananda offre, sur 2100 m² et 20 salles de soins, une carte complète de traitements ayurvédiques, hydrothérapiques, de massages et de soins du corps. Passionné de cure de jouvence, le Maharaja avait fait installer des bassins aux alentours du palais afin de récupérer l'eau minérale des montagnes de l'Himalaya, très riche en minéraux et assainissante pour le corps. Aujourd'hui encore, l'Ananda perpétue la tradition. L'endroit respire lentement dans un souffle quasi-monacal, sorte de jardin d'Eden à la fois luxueux et ascétique où des paons font la roue et des gibbons jouent les gourmands dans les arbres. On croit rêver ! Les soins rythment cette harmonie avec la nature et l'emploi du temps se limite à soi : au bord de la piscine, sur la terrasse surplombant la vallée, dans le parc du palais. Silence et environnement sont propices à la méditation. Là, un cours de yoga dans l'amphithéâtre (des sessions sont dispensées par des professionnels issus de la très réputée Bihar School of Meditation), ici un lecteur sur un banc. Un joueur de flûte entame une mélopée dans le spa. Celui-ci est essentiellement centré sur la science indienne de l'Ayurvéda "science de la longévité" en sanskrit. Selon l'Ayurvéda, le corps est contrôlé par trois forces : pitta (celle du soleil qui agit sur la digestion et le métabolisme) ; kapha (force de la lune qui apaise les organes) ; vata (l'effet du vent sur le mouvement et le système nerveux). Le diagnostic effectué après consultation avec un des médecins du spas, tient compte à la fois des troubles physiques, des émotions, du cadre familial et du mode de vie. Cette approche holistique a pour but le rajeunissement des cellules et des tissus dégradés pour permettre une plus grande longévité. On établit également un bilan diététique individuel complet (l'alimentation est au cour de la philosophie de l'Ananda) pour que chaque hôte parvienne à un état de santé et à un poids qui lui conviennent. La "purification" passe aussi par les tuniques blanches gracieusement prêtées durant le séjour et l'on se sent délesté et lavé de tout artifice. Parmi les nombreuses activités physiques et sportives (rafting, safari, pêche), le trekking est un bon moyen de goûter à l'ivresse de la montagne. De l'hôtel, un trek d'environ 4 heures aller-retour permet de grimper jusqu'au temple de Kunjapuri en passant par des villages. À l'entrée du temple, les pèlerins font résonner la cloche en signe d'appel et de bénédiction à la divinité. De la cour du temple, on plonge sur les sommets enneigés de la "Résidence des Dieux". L'Ananda organise également des visites dans deux centres sacrés incontournables du pèlerinage hindou : Haridwar et Rishikesh.
Ganga mon amour
On raconte que l'irascible Ganga (le grand fleuve sacré), fille de l'Himalaya, contrainte de descendre de son royaume céleste pour fertiliser la terre, menaça d'inonder la terre de ses eaux bouillonnantes. Mais Shiva, dieu hindou de la création et de la destruction (l'un des trois grands dieux avec Brahma et Vishnou) enveloppa la déesse dans son opulente chevelure et apaisa sa colère. C'est ainsi que le plus long fleuve sacré du sous-continent (2700km) prit sa source au confluent de deux torrents pour rejoindre le fleuve du Bengale. C'est à Haridwar, l'une des sept cités saintes de l'hindouisme dans l'état de l'Uttar Pradesh, que le Gange prend sa source avant de rejoindre les plaines vallonnées, au niveau des ghats (marches) de Har-ki-Pairi. En fin d'après-midi, sous la tour de l'horloge Clock Tower, les fidèles viennent se purifier dans les eaux tumultueuses du fleuve : femmes, hommes, enfants, vieillards sacrifient à ce rituel et offrent fleurs et pièces de monnaie aux eaux sacrées. Un sadhu (saint homme) adepte de Shiva fait une puja (prière) sur les berges. Des barbiers jouent du rasoir sur fond de musique tonitruante. L'odeur des légumes frits se mêle à celle des épices, de la poussière et de la pisse de vache. On chante, on prie en silence, on pleure. L'Inde vous saute à la gorge et ne vous lâche plus. Impossible de rester indifférent devant cette cour des miracles où des images "divines" s'entrechoquent avec des scènes crues. Rishikesh, dans la zone montagneuse du Garhwal est célèbre depuis que les Beatles s'y sont arrêtés pour rendre visite à leur gourou dans l'un des nombreux ashrams qui s'alignent le long des berges. Capitale du yoga et berceau de l'Ayurvéda, Rishikesh est une des places les plus sacrées du continent. Assister au coucher du soleil à la cérémonie de Ganga Arati au pied de Triveri Ghat qui traverse le fleuve est un moment fort où là encore rêve et réalité se fondent en une dimension mystique. Le luxe côtoie la misère et le kitch se mêle au sacré. La foule se presse. On veut les meilleures places pour "voir" le gourou sous une immense statue de Shiva. Une ferveur collective s'empare de l'assemblée tandis que des shastri pandid (enfants de "chour") se mettent à psalmodier des pujas. Le soleil a fait place à des lampes à huiles qui célèbrent de leurs feux la divinité. Et c'est dans une liesse finale sur fond de gongs et de chants que s'achève la cérémonie alors que les dernières offrandes de fleurs glissent sur le fleuve sacré. Himalaya, Shiva, Krishna, Rishikesh.Ces mots portent les couleurs des saris mais ne sont qu'une des innombrables étoffes de l'Inde. Des mots prodigieux libres comme l'air et vifs comme des cris d'oiseaux. L'Inde dégage une beauté violente aux multiples facettes. Derrière l'Inde qui brille, il y a encore et toujours l'incommensurable misère du peuple (300 millions d'Indiens vivent avec moins de 1 dollar par jour). Épicé comme un karri, velouté et sucré comme un lassi*, tonifiant comme un chaï, apaisant comme un dahli*, le pays aux mille visages désarme pas ses volte-face instantanés. Plutôt que de le réduire à des clichés exotiques ou à des haillons de misère, il faut se frotter à son intimité charnelle et sonder l'âme d'un peuple tourné vers l'invisible. Et quand l'Inde ouvre ses mains jointes, c'est pour marquer le curieux ou le pèlerin, là. Sur le troisième oil. Namaskar.
*lassi : boisson au lait sucré
*dahli : yaourt
Le vol jusqu'au continent mystérieux est à lui seul un sas d'immersion qui prépare le voyageur à cette nouvelle rencontre. Et quand on pose le pied à terre, l'Inde fait voler en éclats nos certitudes, déshabille nos repères pour nous vêtir de sa réalité nue et crue. Une réalité où les paradoxes et les extrêmes sont liés. Dans ce kaléidoscope humain et géographique, des plages idylliques se perdent en écho dans les plus hautes montagnes du monde, les palais côtoient les bidonvilles, la main crasseuse d'un enfant mendiant vous gifle sa misère au carrefour de Delhi, le portable dernier cri de la diaspora hindoue résonne près d'un infirme rampant, un sari éclatant ondule au milieu de vaches efflanquées. Et pourtant tout a sa place et son sens. De cet écheveau éclectique, l'Inde tisse une formidable unité et se déhanche doucement entre archaïsme et modernité. Si elle dérange, c'est parce qu'elle est le miroir de l'humanité dans ce qu'elle a de plus beau, de plus laid, de plus vil et de plus sacré. Ici, pas de triche. Tout EST et chacun participe comme il peut à cet immense puzzle de 1 milliard d'habitants.
Delhi, ruche humaine
L'arrivée à Delhi, capitale du continent déconnecte d'emblée de tout "branchement" connu. Dans cette ruche humaine de 12 millions d'habitants, voitures, motos, touk-touk et bus brinquebalants slaloment entre vaches, singes et piétons en klaxonnant incessamment. Sans bruit, on ne passe pas. Mieux vaut cibler les quartiers à visiter, prendre quelques jours, négocier un transport et se laisser guider pour pénétrer dans le cour et l'âme de l'ancienne cité des Moghols et dénicher ses quelque 1000 bâtiments ou monuments : au fond des ruelles, dans les arrière-cours des maisons, au milieu des parcs. La ville offre deux visages : New Delhi, la nouvelle, avec ses designers, ses créateurs de mode et ses élégantes architectures anglo-indiennes ; Old Delhi (à visiter en rickshaw, bicyclette taxi) avec ses marchés grouillants et ses sites historiques, vestiges de son passé historique, temps du règne du puissant empereur moghol Shah Jahan. Ne ratez pas la mosquée Jama Masjid, la plus grande de l'Inde, monument édifié par l'empereur à la gloire du pouvoir islamique. Pour cette promenade dans Old Delhi, évitez le vendredi car la mosquée est envahie par les fidèles. Fixez le prix de la course avant et payez une fois à destination. Le chauffeur vous attendra pendant les visites. À l'est et au nord de Delhi, le dargah (tombeau) de Nizam ud-Din Chisti et le mausolée de l'empereur Humayun basculent le curieux dans un autre temps. Choisissez plutôt la fin de l'après-midi quand le soleil exacerbe le grès rouge et le marbre. À quelques kilomètres se dressent les cinq étages du Qutb Minar, qui servait de minaret à la mosquée adjacente. À droite de la tour, le portail Alai Darwaza a conservé de superbes panneaux sculptés de bas-reliefs.
Éloge de la paresse
Il faut environ quatre heures de Delhi en train pour remonter vers le Nord en direction des contreforts de l'Himalaya. Il est 6 heures du matin et déjà une effervescence fébrile anime la gare comme un jour de grand départ en vacances scolaires ! Le soleil se lève à peine sur Delhi et vêtit d'ombres jaunes des silhouettes fantomatiques qui s'agitent dans les rues. Vaches, babouins se disputent les quais au milieu d'une foule bigarrée totalement détachée du spectacle. Prendre le train relève de l'expérience pittoresque et suppose un certain sens de l'orientation mais reste cependant inoubliable ! Distribution de journaux, thé, friandises, repas ne cessent de défiler pendant que la musique indienne berce tout son monde. C'est au nord-est de l'Inde, frôlant la Chine et le Népal que l'Ananda (en sanskrit "Santé et Contentement") a bâti son nid. Telle une aire de rapace, l'ancien palais du Maharadja de Theri-Garhwal (1895) dresse sa grâce altière au-dessus de la vallée du Gange. D'ailleurs les aigles royaux survolent régulièrement le site comme s'ils surveillaient leur résidence princière. C'est dans les 50 hectares de forêts et de jardins que l'hôtel et son spa se cachent pour célébrer l'éloge de la paresse. La décoration évoque l'Inde royale : étoffes de soie, mobilier d'époque, objets d'art. Dans une des ailes du palais, une bibliothèque rassemble des livres et des manuscrits anciens. Une table de billard indienne, une salle de bridge et un salon de thé témoignent de la splendeur de l'époque du Raj. Classé premier au monde par le magazine Conde Nast Traveller, le spa de l'Ananda offre, sur 2100 m² et 20 salles de soins, une carte complète de traitements ayurvédiques, hydrothérapiques, de massages et de soins du corps. Passionné de cure de jouvence, le Maharaja avait fait installer des bassins aux alentours du palais afin de récupérer l'eau minérale des montagnes de l'Himalaya, très riche en minéraux et assainissante pour le corps. Aujourd'hui encore, l'Ananda perpétue la tradition. L'endroit respire lentement dans un souffle quasi-monacal, sorte de jardin d'Eden à la fois luxueux et ascétique où des paons font la roue et des gibbons jouent les gourmands dans les arbres. On croit rêver ! Les soins rythment cette harmonie avec la nature et l'emploi du temps se limite à soi : au bord de la piscine, sur la terrasse surplombant la vallée, dans le parc du palais. Silence et environnement sont propices à la méditation. Là, un cours de yoga dans l'amphithéâtre (des sessions sont dispensées par des professionnels issus de la très réputée Bihar School of Meditation), ici un lecteur sur un banc. Un joueur de flûte entame une mélopée dans le spa. Celui-ci est essentiellement centré sur la science indienne de l'Ayurvéda "science de la longévité" en sanskrit. Selon l'Ayurvéda, le corps est contrôlé par trois forces : pitta (celle du soleil qui agit sur la digestion et le métabolisme) ; kapha (force de la lune qui apaise les organes) ; vata (l'effet du vent sur le mouvement et le système nerveux). Le diagnostic effectué après consultation avec un des médecins du spas, tient compte à la fois des troubles physiques, des émotions, du cadre familial et du mode de vie. Cette approche holistique a pour but le rajeunissement des cellules et des tissus dégradés pour permettre une plus grande longévité. On établit également un bilan diététique individuel complet (l'alimentation est au cour de la philosophie de l'Ananda) pour que chaque hôte parvienne à un état de santé et à un poids qui lui conviennent. La "purification" passe aussi par les tuniques blanches gracieusement prêtées durant le séjour et l'on se sent délesté et lavé de tout artifice. Parmi les nombreuses activités physiques et sportives (rafting, safari, pêche), le trekking est un bon moyen de goûter à l'ivresse de la montagne. De l'hôtel, un trek d'environ 4 heures aller-retour permet de grimper jusqu'au temple de Kunjapuri en passant par des villages. À l'entrée du temple, les pèlerins font résonner la cloche en signe d'appel et de bénédiction à la divinité. De la cour du temple, on plonge sur les sommets enneigés de la "Résidence des Dieux". L'Ananda organise également des visites dans deux centres sacrés incontournables du pèlerinage hindou : Haridwar et Rishikesh.
Ganga mon amour
On raconte que l'irascible Ganga (le grand fleuve sacré), fille de l'Himalaya, contrainte de descendre de son royaume céleste pour fertiliser la terre, menaça d'inonder la terre de ses eaux bouillonnantes. Mais Shiva, dieu hindou de la création et de la destruction (l'un des trois grands dieux avec Brahma et Vishnou) enveloppa la déesse dans son opulente chevelure et apaisa sa colère. C'est ainsi que le plus long fleuve sacré du sous-continent (2700km) prit sa source au confluent de deux torrents pour rejoindre le fleuve du Bengale. C'est à Haridwar, l'une des sept cités saintes de l'hindouisme dans l'état de l'Uttar Pradesh, que le Gange prend sa source avant de rejoindre les plaines vallonnées, au niveau des ghats (marches) de Har-ki-Pairi. En fin d'après-midi, sous la tour de l'horloge Clock Tower, les fidèles viennent se purifier dans les eaux tumultueuses du fleuve : femmes, hommes, enfants, vieillards sacrifient à ce rituel et offrent fleurs et pièces de monnaie aux eaux sacrées. Un sadhu (saint homme) adepte de Shiva fait une puja (prière) sur les berges. Des barbiers jouent du rasoir sur fond de musique tonitruante. L'odeur des légumes frits se mêle à celle des épices, de la poussière et de la pisse de vache. On chante, on prie en silence, on pleure. L'Inde vous saute à la gorge et ne vous lâche plus. Impossible de rester indifférent devant cette cour des miracles où des images "divines" s'entrechoquent avec des scènes crues. Rishikesh, dans la zone montagneuse du Garhwal est célèbre depuis que les Beatles s'y sont arrêtés pour rendre visite à leur gourou dans l'un des nombreux ashrams qui s'alignent le long des berges. Capitale du yoga et berceau de l'Ayurvéda, Rishikesh est une des places les plus sacrées du continent. Assister au coucher du soleil à la cérémonie de Ganga Arati au pied de Triveri Ghat qui traverse le fleuve est un moment fort où là encore rêve et réalité se fondent en une dimension mystique. Le luxe côtoie la misère et le kitch se mêle au sacré. La foule se presse. On veut les meilleures places pour "voir" le gourou sous une immense statue de Shiva. Une ferveur collective s'empare de l'assemblée tandis que des shastri pandid (enfants de "chour") se mettent à psalmodier des pujas. Le soleil a fait place à des lampes à huiles qui célèbrent de leurs feux la divinité. Et c'est dans une liesse finale sur fond de gongs et de chants que s'achève la cérémonie alors que les dernières offrandes de fleurs glissent sur le fleuve sacré. Himalaya, Shiva, Krishna, Rishikesh.Ces mots portent les couleurs des saris mais ne sont qu'une des innombrables étoffes de l'Inde. Des mots prodigieux libres comme l'air et vifs comme des cris d'oiseaux. L'Inde dégage une beauté violente aux multiples facettes. Derrière l'Inde qui brille, il y a encore et toujours l'incommensurable misère du peuple (300 millions d'Indiens vivent avec moins de 1 dollar par jour). Épicé comme un karri, velouté et sucré comme un lassi*, tonifiant comme un chaï, apaisant comme un dahli*, le pays aux mille visages désarme pas ses volte-face instantanés. Plutôt que de le réduire à des clichés exotiques ou à des haillons de misère, il faut se frotter à son intimité charnelle et sonder l'âme d'un peuple tourné vers l'invisible. Et quand l'Inde ouvre ses mains jointes, c'est pour marquer le curieux ou le pèlerin, là. Sur le troisième oil. Namaskar.
*lassi : boisson au lait sucré
*dahli : yaourt
Février 2007
Par Claire BUART