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De la rue aux podiums new-yorkais : Lacoste fait sa révolution

Lacoste, c'est d'abord un nom, celui d'un champion, Mousquetaire de la petite balle jaune. Ce fut ensuite un produit, unique et blanc, la fameuse chemise Lacoste. Après le vêtement de sport, ce nom désigne un art de vivre. Devient un esprit. Celui qu'incarne un animal vert et sacré, le crocodile.


Petite histoire d'une grande maison


Le 10 septembre 1927, l'Equipe de France arrache la Coupe Davis aux Américains ; elle la conservera jusqu'en 1932. Quatre athlètes, Henri Cochet, Jacques Brugnon, Jean Borotra et René Lacoste, deviennent des héros, les "Mousquetaires" du tennis français. René a 23 ans. Fils d'un industriel de l'aéronautique, il tient sa première raquette à l'âge de 14 ans. À sa mort en 1996, plus qu'un remarquable palmarès sportif, il laisse une entreprise familiale mondialement reconnue, une griffe déjà légendaire. Ce qu'on sait moins, c'est que René Lacoste était un inventeur.


À travers cette chemise culte qui a fait de son patronyme un nom commun, il a d'abord inventé le sportswear. Jusqu'à lui, on courait après les balles vêtu de chemises de costume à manches longues en coton épais. Chercheur curieux et désireux d'améliorer son jeu, il invente le grip (la bandelette, d'abord faite de sparadrap, qui entoure le manche de la raquette), puis une machine capable de lancer des balles. Retiré de la compétition, il met au point la pastille anti-vibration, puis en 1963 la première raquette en acier (46 titres de tournoi du Grand Chelem à son actif, brava !), et en 1988 il lance la raquette Equijet (dont la forme mixe petit et grand tamis, Guy Forget lui apportera la consécration en remportant avec elle la Coupe Davis 1991). Peu de temps avant sa disparition il plancha sur une nouvelle génération de balles, mais le projet ne vit pas le jour. Peu importe, la maison Lacoste, aujourd'hui encore, a à cœur de s'inscrire dans un élan d'innovations qu'elle poursuit dans le secteur textile, grâce à la fidélité constante de ses partenaires historiques. Rares sont les entreprises qui depuis plus de 70 ans, possèdent une telle inébranlabilité.


Le croco s'invite dans la partie

On peut dire que cet animal-là est l'un des logos les plus célèbres et identifiables au monde. Or, comme de nombreuses légendes, il est arrivé un peu par hasard.
1925, Boston. René Lacoste se promène en compagnie des trois autres Mousquetaires dans les rues de la ville, en attendant une compétition prévue quelques jours plus tard à Philadelphie. Il tombe en admiration devant une mallette en peau de crocodile exposée dans une vitrine. "Si je remporte le match vous m'offrez cette mallette !", lance-t-il à son capitaine, Pierre Gillou. René perdra la match, mais l'anecdote avait été relatée à un journaliste qui résumera ainsi la rencontre : "Le jeune Lacoste n'a pas gagné sa valise en peau de crocodile, mais il a lutté comme un vrai crocodile !" Pour les Américains, Lacoste devient l'Alligator. En France, on lui préfère le surnom de Crocodile, mais l'image est la même : ce champion ne lâche jamais sa proie. En 1927, fier de ce titre de guerre, René Lacoste fait dessiner par son ami Robert George un crocodile à la gueule grande ouverte pour orner la poche de son blazer. Même si la côte de sympathie du redoutable saurien n'est pas la plus élevée du règne animal, le crocodile jouit d'une symbolique que Lacoste a su reprendre à son compte. À cette bête puissante et patiente correspond désormais une marque solide, pérenne, fidèle à ses valeurs. Le ténor de la pub, Jacques Séguela - qui signa de nombreuses campagnes pour la maison -, a ainsi pointé cette force toute en subtilité : "Le crocodile Lacoste, c'est un animal combatif, mais qui ne mord pas". Bien plus qu'un logo, le croco est un symbole, il signifie "signe" en grec. Oui, ce reptile immobile, ex-voto textile, fait signe : c'est la signature d'une griffe et un signe de ralliement.


Là où il est question de chemise...

Le puriste en effet ne dit pas polo, mais chemise. Le distingo a son importance, car si Lacoste est immuablement lié au sport, la chemise reste un essentiel de toute garde robe, et un vêtement de ville. Ainsi la 1212, vêtement de sportif pour les sportifs, est-elle devenue un vêtement universel et polyvalent, pour tous et pour toujours.
À la fin des années 20, René Lacoste fait confectionner pour son usage personnel des chemises afin de "mieux supporter la chaleur sur les courts américains", dans un tissu en maille découvert chez un chemisier londonien. La Fédération Française de tennis n'apprécie guère ces nouvelles formes moulantes et ces manches courtes. Mais persuadé que sa confortable découverte peut améliorer le bien-être de ses partenaires et adversaires, René Lacoste se rapproche en 1933 d'André Gillier, puissant entrepreneur dans la bonneterie spécialiste de la maille. Les deux hommes s'associent et fondent en 1939 la société La Chemise Lacoste. La première joint-venture de l'histoire de la maison est toujours effective. 65 % sont aujourd'hui la propriété de la famille Lacoste, les 35% restants appartenant au groupe Devanlay (qui a racheté l'entreprise d'André Gillier en 1965).

En 1933, la chemise 1212 fait son apparition et sa révolution. Son secret réside dans l'aspect alvéolé du coton, obtenu au prix d'un tissage particulier, qui laisse respirer la peau et porte le joli vocable de "jersey petit piqué". La qualité Lacoste commence avec le choix du coton, dont on doublera le fil avant de le tricoter sur les métiers afin d'obtenir un maillage plus résistant, ainsi que des couleurs et des finitions bien plus stables. Et si la chemise Lacoste est l'objet de la plus grande contrefaçon mondiale, c'est qu'on n'a pas encore trouvé sa remplaçante.



LACOSTE AU REBOND
Entretien avec Guy Latourette, président du Directoire

Il est arrivé chez Lacoste lors de la réorganisation générale orchestrée par les frères Maus à la tête du groupe Devanlay, dont il a recentré l'activité vêtement sur la marque Lacoste. À son actif, le développement de la griffe dans le monde entier, son rajeunissement et sa prospérité.

Quelle est la force de Lacoste ?
La qualité. A la différence de la concurrence, nous sommes les seuls dans le secteur du sportswear à fabriquer nous-mêmes. Cela nous permet de maintenir un niveau de qualité très constant et uniforme dans le monde entier, mais aussi de développer des produits et matériaux innovants dans des cellules de recherche.

Qui est votre concurrent direct ?
Le principal est Ralph Lauren. Même cible venant du sport, même si elle représente une petite part des ventes. Le spectre de Ralph Lauren est plus large que le nôtre, allant de la robe du soir au survêtement. En revanche, aux Etats-Unis, notre premier marché, notre image est meilleure.

À propos d'image, comment avez-vous vécu la phase étiquetée "banlieue" ?
A l'époque, dans les années 90, ça n'était pas un problème. Car ces jeunes ont rajeuni la marque, la rue est un excellent prescripteur de tendances, et le sport a toujours été un univers transversal. Nike est porté par toutes sortes de populations et cela ne gêne personne. Mais nous faisons du haut de gamme. Le risque était la rupture de l'équilibre. Il fallait une communication qui rassure la clientèle traditionnelle sans exclure qui que ce soit.

Les nouvelles campagnes de communication ont d'ailleurs pris un tournant radicalement différent...
En effet. D'abord orientée très produit, pour montrer que Lacoste ne faisait pas que des polos, la communication illustre aujourd'hui un certain art de vivre. Le visuel de René Lacoste, la légende, traduit en termes contemporains, nous assoit sur notre territoire.

La médiatisation du directeur artistique, Christophe Lemaire, fait partie du lifting ?
Oui. À L'époque de Gilles Rosier, Lacoste refusait de communiquer sur son créateur. Lorsque j'ai engagé Christophe Lemaire, j'ai tenu à ce qu'il parle de son travail. Son arrivée a donné un réel coup de jeune. Il a réussi à affiner, à améliorer nos basiques en les rendant plus contemporains.

Pourquoi défiler à New York plutôt qu'à Paris ?
Parce que les défilés new yorkais mêlent les collections homme et femme, comme nous, et que les Etats-Unis sont le pays du sportswear. C'est là-bas que notre succès est le plus fort (250 millions de dollars de chiffre d'affaires, et 45 boutiques en propre dans des zones exclusives). En outre, le défilé de NYC a un retentissement très fort en Asie. Paris, une place de rêve, est plus mode. Notre désir est de faire du sportswear très mode, mais en marge des tendances éphémères.

Que réserve l'avenir à Lacoste ?
Fin 2007, toutes nos boutiques auront été remaniées. Depuis 5 ans, nous avons changé notre concept de distribution avec l'aide de Christophe Pillet pour le mobilier et Patrick Rubin pour l'architecture. Nous voulions rompre avec les points de vente concurrents, tout en bois et lignes strictes. Nos boutiques sont donc très lumineuses, jouent sur des matériaux nouveaux, sur des formes arrondies, sur les couleurs de la marque. Nous allons aussi faire évoluer le "Club", aller vers les belles matières, vers la veste, le pull en 3D, sans couture, au tomber merveilleux...



Christophe Lemaire et le nouveau style Lacoste

Trois collections distinctes et complémentaires dessinent le style Lacoste : la ligne Sport, technique, à la fois innovante et fidèle aux origines ; la ligne Sportswear, qui décline les basiques à la ville, et la ligne Club qui, depuis 2003, arbore un crocodile gris argent et non plus vert. Des prix plus élevés et des matériaux nobles, pour une élégance plus sophistiquée.

Lacoste ne s'est jamais souciée de la tendance mais il se trouve que la maison est tout à fait en phase avec celle, actuelle, du sport-chic, décontracté sans être négligé. Rien d'étonnant à son magistral succès outre-Atlantique, où la référence mode du moment, Marc Jacobs, apparaît à l'issue de ses défilés Vuitton, avec des baskets Adidas en guise de boutons de manchettes.

Lacoste bénéficie en outre de ce qu'il reste du prestige français, le savoir-faire, ce petit supplément d'âme concentré dans 0,3 gramme de fil vert brodé sur la poitrine. Juste assez pour conquérir les territoires asiatiques, latino-américains et russes, à leur tour enclins au luxe, friands de marques de prestige, de made in France, et surtout d'images fortes.

Christophe Lemaire, directeur artistique de la maison depuis 2000, l'a compris et a extrait du patrimoine de la maison les ingrédients d'une nouvelle recette, plus appétissante, à la fois acidulée et précise. "Héritier autoproclamé des années Pop", comme il se définit lui-même, le créateur, qui a fait ses classes chez Mugler, Yves Saint Laurent et Lacroix, se plaît à manipuler les codes de la maison, et à composer un vocabulaire moderne avec les essentiels du vêtement Lacoste. Il marie fonctionnel et utilitaire avec urban chic, et saupoudre le tout de couleurs vivifiantes. Ainsi parées, ses collections butinent à l'envi les différents nectars de la culture contemporaine, mix de hip-hop-rock-pop, british college et street savvy. Ça pétille, c'est frais, mais aujourd'hui porter du Lacoste c'est aussi jouer avec le décalage du faussement propret. La rue, toujours alerte, y vient : le croco sautille à Paris sur le torse des garçons à l'allure pointue, à New York sur les stars du R'n'B, à Tokyo dans les fêtes secrètes de la jet set.

En une demi-décennie, Christophe Lemaire est parvenu non seulement à multiplier le chiffre d'affaire par deux, mais surtout à dédramatiser l'héritage Lacoste et finalement à le rendre vivant. Belle victoire pour cette marque à l'origine exclusivement sportive, qui a su se forger un univers vestimentaire à part entière...



Aurélie Galois 




                                                                                                      
                                                                                          Cet article est paru dans DANDY n°12

Juillet 2006
Lacoste en chiffres

6000 personnes totalisent la production ouvrière dans le monde (au Pérou et en Chine), dont 1100 en France (à Troyes essentiellement).

850 boutiques à travers la planète

1,3 milliards d'euros, le chiffre d'affaire de Lacoste. 900 millions d'euros provenant du vêtement, le reste du parfum, et à moindre échelle des lunettes et de la maroquinerie.

230 grammes et 20 km de fil de coton Pima (qui pousse au nord du Pérou), voilà de quoi est faite une chemise Lacoste.

7 millions, voilà combien on en vend en moyenne.

Plus de 500 modèles composent le prêt à porter Lacoste.

65 coloris constituent la gamme qui jusqu'en 1951 ne comptait que le blanc, seule teinte autorisée sur les terrains de sport. l



Biblio : La légende Lacoste, Patricia Kapferer, Tristan gaston-Breton, éditions du Cherche Midi.